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L’archéologie, une passion également étrangère

Doaa Elhami, Mardi, 09 octobre 2018

Les missions étrangères font partie du paysage archéologique égyptien. Leurs travaux et fouilles durent parfois des décennies. Focus sur trois d’entre elles.

L’archéologie, une passion également étrangère
Reconstruction du piédestal. (Photo : Mission Archéologique Française de Thèbes-Ouest (MAFTO))

238 missions archéologiques de 23 pays opèrent en Egypte depuis des dizaines d’années. Parmi elles, une mission française au temple de Karnak depuis 51 ans, une mission suisse sur l’île d’Eléphantine depuis 49 ans et une mission polonaise à Saqqara depuis 31 ans. Pourquoi de si longs travaux sur un seul chantier ? Si certaines missions cherchent à faire des découvertes spectaculaires, d’autres misent davantage sur l’étude scientifique des sites. Chacune fonctionne en revanche sous la supervision du ministère des Antiquités et sélectionne son chantier en fonction de critères bien étudiés.

« Il s’agit avant tout, pour l’égyptologue, de répondre à une série de questions qui permettent de mieux comprendre l’histoire du monument : sa fondation, son architecture, sa décoration, mais aussi son fonctionnement à l’époque. Dans le cas du Ramesseum, qui est un temple de culte royal, il s’agit d’étudier toutes les dépendances du temple, de les identifier et de mieux comprendre quelles étaient leurs fonctions. Et puis, il s’agit encore d’enrichir cette histoire en essayant de comprendre comment ce temple a fonctionné au-delà du règne de Ramsès II, d’étudier sa profanation à la fin de l’époque ramesside, puis sa transformation en nécropole sacerdotale au cours de la troisième période intermédiaire, son démantèlement à l’époque ptolémaïque, sa récupération à l’époque copto-byzantine. Bref, le travail consiste ici à reconstituer la très longue histoire d’un édifice et mieux connaître aussi, en fonction de tous ces axes de recherche, quelle a été sa véritable vocation », explique le professeur Christian Leblanc, directeur de la Mission Archéologique Française de Thèbes-Ouest (MAFTO) et conseiller scientifique permanent auprès du ministère égyptien des Antiquités (CEDAE), qui opère sur le site du Ramesseum depuis plus de vingt ans.

Un avis partagé par Kamil Omar Kuraszkiewicz, professeur de l’Université de Varsovie et directeur de la mission polonaise opérant à l’ouest de Saqqara depuis une trentaine d’années. « C’est l’ancien directeur de cette mission, l’égyptologue polonais Karol Mysliwiec, qui a sélectionné ce site en 1987 pour y faire des fouilles. C’était encore un chantier couvert de sable et intact. A cette époque, ce site était plein d’énigmes à résoudre », explique le professeur Kuraszkiewicz.

Si Leblanc a choisi le Ramesseum dans le but de reconstituer l’Histoire et que Mysliwiec était à la recherche de nouvelles découvertes, les Suisses ont eu d’autres critères dans leur choix du site. L’ancien directeur de l’Institut suisse a choisi de travailler dans un site fortement menacé par le développement urbain, à savoir celui de l’île d’Eléphantine et de la vieille ville d’Assouan. « On étudie les conditions de vie, l’architecture domestique des villes et des agglomérations des Anciens Egyptiens », explique l’égyptologue Cornelius von Pilgrim, actuel directeur de l’Institut suisse des recherches architecturales et archéologiques en Egypte Ancienne, précisant que l’actuelle ville d’Assouan est construite sur les vestiges de l’ancienne ville. Par conséquent, la construction de nouveaux bâtiments détruit les vestiges antiques situés en dessous. « C’est souhaitable d’étudier ces ruines avant leur disparition », reprend von Pilgrim. Et d’ajouter : « Pour ce qui est de notre travail à Eléphantine, il consiste à documenter et à comprendre toutes les ruines visibles de la ville. Des fouilles sont aussi nécessaires pour mieux comprendre le développement de la ville et des bâtiments isolés au fil du temps », explique von Pilgrim. Il met l’accent sur la difficulté de fouiller des villes qui « sont habitées de manière permanente depuis plus de 4 500 ans. Ces villes sont constituées de centaines de maisons, de temples, de rues, d’institutions économiques et autres. Il faut une longue durée pour comprendre la structure d’une ville aussi complexe et son développement dans le temps. Comment comprendre 4 500 ans d’histoire grâce au travail d’une ou de deux générations d’archéologues ? Je pense que ce n’est pas possible », dit le professeur suisse, justifiant le si long travail sur le chantier.

L’importance de la pluridisciplinarité

Leblanc indique lui aussi que le fait « d’explorer, d’étudier, de relever les structures, de restaurer, de conserver et de valoriser les lieux du temple du Ramesseum exige une longue durée. Il faut du temps aussi pour démêler les différentes périodes qui ont forgé l’histoire d’un tel site ». Le professeur souligne en outre que la saison de travail sur le chantier ne dépasse pas les 2 ou 3 mois par an, ce qui explique la longue durée de la mission.

Le travail archéologique sur le terrain est soumis à des règles rigoureuses. « Les missions étrangères ont un double devoir : publier les résultats de leurs recherches et assurer la conservation, la restauration et la valorisation des concessions archéologiques dont elles ont pris la responsabilité. Il faut savoir à ce propos qu’une commission du Conseil suprême des antiquités peut se rendre sur des sites du patrimoine en cours d’exploration pour vérifier si les règles du ministère sont bien respectées », souligne Leblanc.

Ensuite, chaque directeur gère sa mission d’après les conditions du site lui-même, c’est-à-dire en fonction de l’état de celui-ci, de sa superficie et de ses contenus. Les diverses activités de chaque mission exigent une équipe composée de plusieurs spécialités auprès des archéologues : anthropologues, architectes, topographes, archéozoologues, archéobotanistes, céramologues, épigraphistes, chimistes, infographistes, géologues et bien d’autres. C’est grâce à cette pluridisciplinarité que les archéologues peuvent faire revivre le passé avec ses détails. « Les examens d’un squelette par les anthropologues de la mission polonaise opérant à Saqqara ont montré que le squelette en question, ayant le dos courbé, était un scribe de 50 ans », explique le professeur Kuraszkiewicz.

Ainsi, la coopération de différentes spécialités permet de répondre à beaucoup de questions. Ces travaux et activités archéologiques doivent, de plus, être documentés à travers des publications scientifiques.

Les principales découvertes depuis janvier 2018

Janvier : A Tell Al-Faraïn, Bouto, au gouvernorat de Kafr Al-Cheikh, des fours remontant à l’époque tardive ainsi que deux colonnes en calcaire et une statue en granit noir du roi Psémmatique Ier sont découverts.

— Plusieurs découvertes remontant à l’époque gréco-romaine sont faites dans la cour du terrain du théâtre Al-Abd, à Alexandrie.

— Un cimetière rocheux des Ier et IIe siècles est découvert à Al-Alamein.

— Un complexe administratif datant de la Ve dynastie est trouvé à Tell Edfou à Assouan.

— Une stèle d’offrande du roi Ramsès II est découverte à San Al-Hagar, Charqiya.

Février : A Abou-Sir, trois puits funéraires renfermant des sarcophages de faucons et autres sont trouvés.

— Les vestiges d’un temple romain à Kom Al-Rassafa sont découverts à Assouan.

— A Minya, dans la région de Touna Al-Gabal, un cimetière remontant à l’époque tardive est découvert.

Mars : La tête d’une statue de Ramsès II est trouvée au sud-est du temple de Kom Ombo.

— A Saqqara, découverte de la tombe datant de la période de Séthi Ier et de Ramsès II.

Avril : Dans l’oasis de Siwa, une partie d’un temple gréco-romain est trouvée.

— Une chapelle du dieu Osiris Ptah-Neb-ânkh, datant de l’époque tardive, est découverte au temple de Karnak à Louqsor.

— Une salle de fêtes et des fragments de la statue de Psammétique Ier sont découverts à Matariya.

— Un buste de l’empereur Marc-Aurèle est trouvé à Kom Ombo.

Mai : A Siwa, un temple romain datant de l’époque de l’empereur Antonius Pius, IIe siècle, a été mis au jour.

Juin : Dans le désert d’Assouan, une nécropole et des stèles ptolémaïques sont découvertes.

Juillet : Un atelier de momification, une cachette d’embaumeurs et un cimetière renfermant une trentaine de momies et du mobilier funéraire sont découverts à Saqqara près de la pyramide d’Ounas.

— Un sarcophage ptolémaïque en granit noir est découvert à Alexandrie.

— Des vases canopes sont trouvés dans la tombe de Karabasken, remontant à la XXVIe dynastie.

Août : 2 stèles ptolémaïques sont découvertes à Kom Ombo.

Septembre : Une tombe rocheuse remontant au Moyen Empire est découverte à Licht.

— Un tombeau de l’époque tardive, abritant un sarcophage de grès anthropoïde renfermant une momie, est découvert à Assouan, près du mausolée d’Aga Khan.

— Un sphinx ainsi que deux stèles ptolémaïques en grès sont trouvés au temple de Kom Ombo à Assouan.

— Un bâtiment avec plusieurs couloirs et quatre entrées est mis au jour à Hod Al-Demerdach, à Mit Rahina (Memphis).

1er octobre : Un cimetière de la Ve dynastie et une statue en granite rose sont découverts à Saqqara.

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