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Refus d’un libéralisme exacerbé

Héba Nasreddine, Mardi, 11 juin 2013

Avec une croissance de 2,2 % en 2012, l'économie turque occupe la 16e place mondiale. Mais les méthodes du régime pour parvenir à un tel développement sont loin de faire l’unanimité.

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Quand le Parti de la justice et du développement (AKP) est arrivé au pouvoir, la Turquie venait de subir l’une des pires crises économiques de son histoire en 2001. Aujourd’hui, elle est surnommée « la Chine de l’Eu­rope ». On s’attend même à ce qu’elle occupe la dixième place dans l’écono­mie mondiale d’ici 2023, date du cente­naire de la fondation de la République. C’est ce que promet Recep Tayyip Erdogan, président de l’AKP et premier ministre depuis 2003.

Déjà, Erdogan a fait ses preuves. Il a adopté une stratégie macroéconomique qui était à la base de réformes structu­relles majeures, accompagnée de mesures fiscales prudentes. Ces mesures qui, aiguillonnées par le processus d’ad­hésion de la Turquie à l’UE dont les négociations sont officiellement en cours depuis 2005, visaient principale­ment à libéraliser l’économie, à accroître le rôle du secteur privé et à améliorer l’efficacité du secteur financier.

Après une décennie de pouvoir, l’économie turque assiste à un saut spectaculaire, avec un taux de crois­sance de 8,8% en 2011, le troisième plus fort pour un pays émergent après la Chine et l’Inde. Le revenu par habitant a triplé de 3500 en 2002 à 10504 dol­lars en 2012. L’inflation a été contenue à moins de 10%, et son PIB a progressé en moyenne de 5% par an. La dette est passée de 75% à 41% du PIB.

Son économie s’est intégrée dans un environnement mondialisé, attirant plus de 123 milliards de dollars d’Investisse­ment Direct à l’Etranger (IDE), se classant ainsi 13e pays le plus attractif au monde. De même, les revenus du tourisme qui avoisinaient les 8,5 mil­liards de dollars en 2002 ont dépassé 25 milliards de dollars en 2012. L’économie turque a ainsi renoué avec une croissance durable, faisant l’entrée de la Turquie dans le G20.

Un miracle économique impression­nant qui a donné à la Turquie une influence sur la scène régionale. Pour les économistes, c’est un vrai boom économique qui a aussi permis à l’AKP de remporter pour la troisième fois consécutive les législatives de 2011, avec 50% des voix, et qui encourage Erdogan à se présenter aux élections présidentielles prévues en 2014.

Inégalité sociale

Pourtant, tout n’est pas rose dans le bilan économique turc. « L’AKP a man­qué l’occasion pendant cette période de prospérité pour mener à bien les réformes sociales. La croissance éco­nomique n’a pas compensé la montée du chômage, ainsi que la progression des inégalités sociales », déplore Fakhry Al-Feqqi, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire.

En fait, Erdogan, en suivant la poli­tique économique du FMI, a conduit la Turquie à occuper la 3e place mondiale pour la hausse des inégalités, selon l’Or­ganisation de Coopération et du Développement Economique (OCDE). Alors que le salaire moyen annuel atteint 8200 euros dans la capitale Istanbul, il n’est que de 1900 euros dans les autres régions frontalières. Le taux de chômage est de 11,5% officielle­ment. 12,5% de la population vivent en dessous du seuil de pauvreté en 2012, sans compter l’exaspération de la classe moyenne. En 2010, la Turquie est clas­sée au 92e rang mondial en termes d’Indice de Développement Humain (IDH) au niveau mondial. Le classe­ment montre que la Turquie doit intensi­fier ses investissements dans l’éduca­tion, la recherche et la santé et mener des politiques moins inégalitaires.

La politique économique de l’AKP est d’ailleurs accusée d’être ultralibé­rale et de faire une large part au clienté­lisme. Après chaque succès électoral, les hommes d’affaires proches du pou­voir se voient attribués les contrats les plus importants dans les investisse­ments de l’Etat. Ce qui a effectivement suscité de vives critiques de la gauche et la droite nationaliste, notamment face au recul des droits syndicaux des ouvriers, après avoir mis fin au protec­tionnisme d’Etat. « Toutes ces défaillances accumulées ont animé les manifestations contre le régime. Ce n’est donc pas un hasard. La destruc­tion du parc Gezi n’était que la goutte d’eau qui fait déborder le vase », note Al-Feqqi. Aujourd’hui, avec une crois­sance retombée à 2,2% en 2012 et un ralentissement très marqué de l’activité économique, ces manifestations pour­raient secouer le pays et menacer le régime turc. D’autant plus que pour beaucoup de Turcs, Istanbul, qui frappe à la porte de l’Union européenne, depuis des années, est sanctionné en raison de la nature islamique du régime qui le gouverne.

En chiffres: l’économie de la Turquie (en 2012)

Monnaie: Livre turque.

Produit Intérieur Brut (PIB) : 1 046 milliards de dollars.

PIB par habitant en PPA: 10504 dollars.

Taux de croissance: 2,2%.

Taux d’inflation: 6,16%.

Dette publique: 34,5% du PIB.

Dette extérieure: 350 milliards de dollars.

Recettes publiques: 178 milliards de dollars.

Dépenses publiques: 189 milliards de dollars.

Déficit public: 2,1% du PIB.

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