Trois personnages, comme le chiffre trois, symbole du mystère.
L’artiste Habby Khalil a recours dans sa nouvelle exposition Raya et Sakina, à la galerie Picasso, à la mise en scène photographique, afin de valoriser les volumes, la luminosité et la composition. Il a également recours à des modèles: un homme et deux femmes qui se prêtent bien à son jeu scénographique. Ainsi, ils posent, sur fond blanc, munis d’accessoires divers: bijoux en or, robe et châle noirs, burqa, etc. Les photos de Habby Khalil s’inspirent de l’histoire de deux criminelles qui ont marqué l’histoire d’Alexandrie. Habitant le côté populaire de la ville côtière, Raya et Sakina étaient deux tueuses en série qui ont kidnappé et assassiné 17 femmes qui portaient habituellement des bijoux. Aidées par leurs maris, elles enterraient ensuite leurs victimes dans la cave de leur maison située dans le quartier d’Al-Labban. Ce procès, qui a fait couler beaucoup d’encre dans les années 1920, attise toujours la curiosité des uns et des autres. Plusieurs cinéastes, chanteurs, dramaturges ou autres se sont servis du drame des deux soeurs condamnées à mort, il y a belle lurette, afin de monter des oeuvres artistiques. Habby Khalil en est le tout dernier.
Ses photos imprimées sur jet d’encre, à haute résolution, documentent ce fait réel, en le retouchant à sa manière. Il fait tout d’abord un travail d’esquisse et d’illustration sur papier, dessinant dans le menu détaillé de la mise en scène ou l’agencement des personnages. « Pour choisir les modèles pour jouer les rôles de Raya et Sakina, j’ai dû faire un test à plusieurs personnes sélectionnées à travers les sites Internet et les réseaux sociaux. J’ai ainsi choisi deux femmes qui se ressemblent physiquement. On dirait vraiment deux soeurs. Je ne réécris pas l’histoire de Raya et Sakina, mais je la critique et la revisite dans un style plus moderne. J’ironise sur l’aspect sociopolitique de l’histoire », explique Habby Khalil.
Sur les photos, les victimes de Raya et Sakina ne sont pas que des femmes, comme dans la réalité. Ici, il s’agit d’un jeune homme vêtu de bijoux féminins. « Le jeune homme dont il est question symbolise la jeune génération de nos jours, déchirée entre deux modèles sociétaux: capitaliste et communiste, conservateur et libertin », poursuit le photographe.
Les trois protagonistes de l’exposition, Raya, Sakina et le jeune homme, posent le plus souvent en solo, mais parfois aussi ils constituent un duo ou un trio, évoquant la solitude, le déchirement, etc. « Le signe trois est symbole du mystère de la trinité. Il sert à exprimer la paix et la béatitude espérée », fait remarquer Khalil. Et d’ajouter : « Je m’inspire d’habitude de l’époque de la Renaissance italienne et de l’âge baroque ».
L’ange de la mort
Sur une photo intitulée Angel (ange), Raya est représentée comme un ange de la mort qui ne tarde pas à prendre l’âme de sa victime. Cette photo est inspirée de la statue La Pieta de Michel-Ange, de la basilique Saint-Pierre du Vatican. Celle-ci incarne le thème biblique de la Vierge Marie douloureuse, tenant sur ses genoux le corps du Christ descendu de la croix.
Sur une autre photo, on retrouve Sakina au côté de la victime, emprisonnée dans une boîte en bois, couverte de plastique jusqu’à l’étouffement. « Le plastique remplace ici le mouchoir mouillé utilisé par les criminelles dans l’histoire réelle », précise Habby Khalil. Et la boîte? Elle représente « toute idéologie où l’on est enfermé ». « Nous vivons déchirés par des conflits d’idéologies, d’intérêts, de puissances, etc. Je dénonce le militantisme, l’intolérance religieuse et le terrorisme ».
Dans Justice For All (justice pour tous), Sakina est habillée d’une salopette beige et d’une burqa. Elle tient en main un glaive (symbole de la punition) et une balance (symbole de l’équilibre ou de la mesure). « Sakina croit qu’elle sème la justice sur terre, c’est son point de vue. Tuer ces femmes c’est son droit. Nous vivons de nos jours la même domination, le même despotisme. Il y a des gens qui se permettent aujourd’hui de juger les autres et de les châtier », affirme Habby Khalil, lequel prépare un nouveau projet, The Way to Heaven (le chemin du paradis), qui traite de questions de la circoncision, du mariage forcé, de la violence contre la femme, etc. Mais il en a encore au moins pour un an avant de mettre le projet à jour.
Jusqu’au 12 septembre, à la galerie Picasso, de 10h à 21h, sauf le dimanche. 20, rue Hassan Assem, Zamalek.
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