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Mohammed Mohsen Abo El-Nour : Les sanctions ont déjà obligé l’Iran à limiter son ingérence au Moyen-Orient

Maha Al-Cherbini , Lundi, 10 septembre 2018

Mohammed Mohsen Abo El-Nour, fondateur et président du Forum arabe pour l’analyse des politiques iraniennes, analyse les répercussions des sanctions américaines contre Téhéran sur les fronts interne et externe, les marges de manoeuvre du régime iranien et la nouvelle proposition française qui appelle Téhéran à un retour rapide à la table des négociations.

Mohammed Mohsen Abo El-Nour

Al-Ahram Hebdo : Le 26 septembre, Donald Trump va présider une réunion du Conseil de sécurité de l’Onu sur l’Iran. Quel est l’objectif de cette réunion ?

Mohammed Mohsen Abo El- Nour : Le président américain tente toutes les voies politiques et diplomatiques pour obtenir un consensus international contre l’Iran afin de permettre aux sanctions américaines d’atteindre leurs objectifs. Mais, je pense que Trump ne va réussir, le 26 septembre, ni à mobiliser la planète contre la République islamique, ni à convaincre les superpuissances de lui imposer de nouvelles sanctions, surtout qu’un récent rapport de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) affirme que Téhéran s’acquitte de tous ses engagements dans le cadre de l’accord nucléaire conclu en 2015.

— Comment évaluez-vous les répercussions des sanctions américaines — réinstallées le 6 août dernier contre l’Iran — sur le front interne ?

— Il n’est nul doute que ces sanctions — les plus lourdes jamais imposées par les Etats-Unis — ont de lourdes séquelles. Sur le plan politique, elles ont fragilisé le pouvoir, déjà en proie à une fronde populaire depuis décembre dernier à cause de la crise économique. Les sanctions ont porté un coup dur à l’économie iranienne déjà en ruine : chute de la monnaie à son plus bas niveau, baisse des importations et exportations iraniennes, grave déficit budgétaire et pénuries. Sur le plan social, elles ont envenimé la crise, baissé le niveau social du peuple, de quoi envenimer la gronde populaire contre un pouvoir qui dépense d’énormes sommes sur ses ambitions expansionnistes. Preuve que ces sanctions ont mis le pouvoir entre le marteau et l’enclume : le président Hassan Rohani a été obligé de comparaître devant le parlement, il y a une dizaine de jours pour s’expliquer sur l’impuissance de son gouvernement.

— D’après vous, peuton s’attendre à une sorte de chantage entre les Etats-Unis et l’Iran : une levée des sanctions contre un retrait iranien de la Syrie ?

— Les Etats-Unis n’ont pas besoin de faire ce chantage, car déjà l’Iran a retiré la plupart de ses milices du sud de la Syrie. Israël a même annoncé la semaine dernière que l’Iran a fermé toutes les usines des missiles au sud et au centre de la Syrie, ce qui prouve que les sanctions ont bridé l’influence iranienne en Syrie. L’Iran ne sera plus présent en Syrie au fil des prochains mois.

— Cela veut-il dire que l’imposition de nouvelles sanctions aura un impact sur l’ingérence de l’Iran dans les crises du Moyen- Orient et brider son influence dans la région ?

Mohammed Mohsen Abo El-Nour
Le 28 août, Rohani était convoqué par le parlement pour s’expliquer sur la détérioration de la situation économique. (Photo:AFP)

— Bien sûr que oui. Ces sanctions ont déjà obligé l’Iran à limiter son ingérence dans les dossiers chauds du Moyen-Orient : Syrie, Iraq, Yémen, etc. A ce propos, les exemples abondent. Alors que Téhéran dépensait entre 5 et 7 milliards de dollars chaque an pour soutenir le régime syrien, il ne dépense maintenant que 3 milliards de dollars. Alors qu’il dépensait 1 milliard de dollars pour soutenir le Hezbollah, il ne dépense que 700 millions de dollars. Alors qu’il envoyait aux Houthis des munitions logistiques, des missiles et des armes, il se contente maintenant de leur envoyer des conseillers militaires. Donald Trump a avoué que le régime iranien a retiré une grande partie de ses milices de la Syrie et du Yémen, de quoi prouver que les sanctions américaines ont réussi à réaliser leur objectif.

— La France, l’un des ardents défenseurs de l’accord nucléaire, a récemment affirmé que Téhéran ne pourra jamais échapper à des négociations élargies avec l’Occident au-delà des engagements pris dans le texte de 2015, ce que refuse pour l’heure Téhéran. La France — et bientôt l’Europe — comptentelle laisser tomber l’Iran ?

— La position française ne signifie pas que Paris ou que l’Union Européenne (UE) vont lâcher Téhéran. Au contraire, la France adresse un conseil sincère à Téhéran, afin de sortir de l’impasse et sauver l’accord. La France est réaliste, car ni elle ni l’Europe n’ont réussi à protéger l’accord, ni même à protéger leurs compagnies contre les sanctions américaines : des entreprises françaises comme Peugeot et Total ont été frappées par les sanctions américaines. Cette impasse va obliger à terme l’Iran à revenir à la table des négociations pour discuter d’un accord complémentaire, sinon, son économie va s’effondrer et le régime va creuser sa propre tombe.

— Cela veut-il dire que le régime iranien finira par céder aux pressions américaines et revenir à la table des négociations ?

— Oui, c’est un régime pragmatique, il va revenir à la table des négociations pour modifier l’accord et y inclure des clauses sur la non-ingérence dans les crises du Moyen-Orient et l’arrêt des essais de missiles balistiques, comme le réclament Européens et Américains. Le régime iranien ne va pas supporter les graves répercussions des sanctions américaines qui peuvent aboutir à sa chute. Rappelez-vous qu’en 2012-2013, quand les sanctions internationales se sont aggravées contre le régime iranien, ce dernier a entamé des discussions sérieuses avec les Six après la victoire du président modéré Hassan Rohani à la présidentielle. Et ce sont ces discussions qui ont abouti à la l’accord de 2015.

— Mais Téhéran a réfuté la légitimité des sanctions américaines devant la Cour Internationale de la Justice (CIJ). Cette démarche pourraitelle changer la donne ?

— Non, c’est une mesure plutôt symbolique qui n’apportera rien aux Iraniens, car les Etats-Unis dominent toutes les organisations internationales, dont la CIJ, et les manipulent à leur guise. La plupart des juges de la CIJ sont américains. A quoi doit-on s’attendre ? Et puis l’imposition des sanctions américaines contre tel ou tel pays est une question qui relève de la direction politique américaine conformément au droit international et nul n’a droit d’y intervenir.

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