Enfermant dans ses geôles plus de 75 journalistes, la Turquie est qualifiée en 2012 de « plus grande prison du monde pour les journalistes devant l’Iran, l’Erythrée et la Chine » par le Comité pour la Protection des Journalistes (CPJ), une ONG basée aux Etats-Unis. Selon ce rapport, « le gouvernement turc du premier ministre Recep Tayyip Erdogan a mis en oeuvre l’une des plus vastes opérations de répression de la liberté de la presse de l’Histoire récente ».
Il dénonce, outre les arrestations en masse de journalistes au titre de la lutte contre le terrorisme, des « tactiques de pressions pour insuffler l’autocensure » dans les rédactions. Environ 70 % des journalistes incarcérés sont poursuivis pour des liens supposés avec les rebelles kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), avec l’accusation d’« appartenance à une organisation terroriste ». Les lois antiterroristes en vigueur renforcent, selon le rapport, la tendance du pouvoir à « assimiler journalisme critique et terrorisme ».
Par ailleurs, des sujets tels que la religion ou la personne du premier ministre sont de plus en plus intouchables. La critique des institutions militaires et policières est mieux tolérée qu’auparavant, mais la couverture des affaires judiciaires est devenue extrêmement difficile.
Filtrage de masse sur Internet
L’ONG française Reporters sans frontières, dans son rapport de 2012 sur les pays « ennemis d’Internet », a placé la Turquie sur la liste des « pays sous surveillance », suite « à leur propension à censurer le Net ». Selon le rapport, si Youtube a été débloqué, après avoir été fermé durant trois ans, de 2007 à 2010, « plus de 7 000 sites restent toujours inaccessibles dans le pays », note l’ONG.
La Haute instance de la télécommunication (TIB) a interdit depuis 2011 l’usage de 138 mots sur Internet, dont le mot « interdit ». Les conséquences d’un tel filtrage sont désastreuses pour la liberté d’expression des internautes en Turquie, suscitant des protestations prenant comme emblème : « Touche pas à mon Internet ». « Les autorités doivent renoncer à ce projet et, au contraire, réformer la loi 5651 sur Internet qui rend possible cette censure abusive », déclare Reporters sans frontières.
Atatürk, l’armée, la nation, la question des minorités, notamment kurde, les organisations dites « terroristes » restent des sujets hautement sensibles et censurés en ligne. Les blogueurs et internautes qui s’expriment librement sur ces sujets s’exposent à des représailles. La grande majorité des blocages sont le résultat de décisions administratives de la TIB.
Aujourd’hui, au moment où les manifestations se poursuivent, les chaînes télé, dont la grande majorité est sous le contrôle de conglomérats proches de l’AKP, continuent de tourner normalement, tentant de minimiser les événements. Internet est le seul relai d’information tandis que pour Erdogan, « Twitter est la pire menace pour la société ».
771 étudiants en prison
Les arrestations massives d’étudiants par le régime continuent de manière intensive. Selon le récent rapport de l’Initiative de solidarité avec les étudiants détenus en Turquie (TODI), 771 étudiants se trouvent actuellement en détention, dont une large majorité est membre de l’organisation de jeunesse du BDP. Le règlement disciplinaire pour les étudiants de l’enseignement supérieur, produit du coup d’Etat militaire du 12 septembre 1980, est utilisé comme un instrument d’oppression contre les étudiants.
En avril 2012, pour alerter l’opinion publique, le mouvement de solidarité avec les étudiants emprisonnés a organisé « un cours-manifestation » devant l’entrée de la prison de Tekirdag, où se trouve le plus grand nombre d’étudiants emprisonnés avec pour thème l’écologie.
L’objectif principal derrière les représailles est de casser les mouvements d’extrême gauche dans les universités, dans sa lutte pour la question kurde.
Des accusations d’appartenance « à des organisations terroristes ou de propagande terroriste » sont portées contre ceux qui participent à des activités telles que manifester pour un enseignement gratuit, contre les politiques néolibérales, contre la hausse des prix de la cantine universitaire et des frais d’inscriptions. Sont aussi réprimés ceux qui participent à des conférences de presse et aux campagnes pour le droit à l’enseignement en langue maternelle.
Pour Hazem Mounir, activiste des droits de l’homme, la liberté d’expression est un indicateur essentiel pour mesurer l’engagement de tout régime en faveur de la démocratie, de la bonne gouvernance et de la responsabilité politique. Une épreuve à laquelle a échoué le régime turc malgré la réussite de son modèle économique. « Les scrutins ne mènent toujours pas à la démocratie », précise l’activiste.
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