Al-Ahram Hebdo : Comment voyez-vous les récentes déclarations du premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, selon lesquelles la construction du barrage de la Renaissance porterait des problèmes techniques et économiques ?
Sayed Fleifel : L’Ethiopie vient de découvrir la réalité du barrage de la Renaissance. Les déclarations du premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, soulèvent un certain nombre d’observations. Premièrement, prétendre que le barrage avait été construit pour produire de l’électricité destinée à l’usage des Ethiopiens n’est pas vrai. Le principal but de la construction du barrage est l’exportation de l’électricité.
La preuve en est qu’il devait être construit à la frontière avec le Soudan. Deuxièmement, la construction du barrage a été entachée d’affaires de corruption financière dans lesquelles sont impliqués un certain nombre de fonctionnaires. Enfin, la partie éthiopienne a découvert les aspects techniques complexes auxquels l’Egypte faisait référence et qui avaient été mentionnés par le rapport de la Commission technique internationale qui avait confirmé que le barrage était trop grand et que son volume était disproportionné à son rendement.
L’installation de deux petits barrages au lieu d’un barrage géant aurait été plus rentable. Il est à noter que toutes ces recommandations ont été présentées par la partie égyptienne, qui dispose de larges compétences techniques et d’une grande expertise en matière de construction de barrages. L’Ethiopie aurait dû consulter ses frères du bassin du Nil afin d’épargner les efforts déployés dans les négociations et la perte de six ans au bout desquels les deux pays se sont retrouvés face à un barrage porteur de nombreuses lacunes techniques.
— Quel pourra être l’impact de ces réalités sur l’intérieur éthiopien ?
— Le premier ministre éthiopien se trouve confronté à une mission difficile, qui nous rappelle celle que le président Sissi avait affrontée il y a quatre ans. Le peuple éthiopien, qui a été trompé par le gouvernement précédent, est en train de panser ses plaies. Le premier ministre a récemment libéré un grand nombre de détenus politiques de toutes ethnies confondues.
De plus, l’Ethiopie déploie d’énormes efforts pour satisfaire les différentes classes sociales ainsi que les grandes communautés comme Al-Oromo et Al-Amhara. La nouvelle orientation éthiopienne lui permet d’économiser les énormes sommes qui étaient dépensées pour l’achat des armes et pour la propagande.
— Le barrage était considéré comme un projet national où tous les Ethiopiens sont engagés, ce qui rendait les négociations plus difficiles. Les nouvelles donnes politiques peuvent-elles créer un certain changement ?
— Le barrage est un projet national auquel les citoyens éthiopiens ont pris part en présentant des dons. Partant, il incombe à l’Ethiopie de punir toute personne impliquée dans des affaires de corruption relative à sa construction afin de redonner espoir au peuple éthiopien que la réforme est possible et que l’argent lui reviendra.
— Comment cette situation peut-elle bénéficier à l’Egypte et faire avancer les négociations ?
— La situation a changé, nous négocions maintenant avec un gouvernement ami qui considère l’Egypte comme un pays en quête de paix sur le continent africain. La politique étrangère de l’Egypte est claire : pas d’ingérence dans les affaires internes. Le gouvernement précédent niait que l’Egypte aidait l’Ethiopie dans divers domaines, tels la santé, l’éducation et le développement agricole.
L’Egypte, le plus grand pays africain, investit en Ethiopie. Nous fournissons une assistance médicale aux universités éthiopiennes sans oublier les efforts du docteur Magdi Yaacoub qui traite les patients éthiopiens et les reçoit dans les hôpitaux égyptiens aux frais de l’Egypte. Actuellement, des efforts sont déployés pour créer une initiative globale pour traiter les maladies endémiques en Afrique.
La commission des affaires africaines au parlement, quant à elle, encourage les associations médicales et les hommes d’affaires à soutenir un programme médical égyptien dont l’objectif est d’aider les pays africains souffrant de maladies endémiques telles que l’hépatite C, le choléra et le paludisme.
— Après les récentes déclarations, où en sont arrivées les négociations ?
— Lors des dernières négociations, les trois pays, soit l’Egypte, l’Ethiopie et le Soudan, ont convenu d’accorder le plus grand intérêt aux problèmes techniques afin de trouver une solution. Il s’agit donc de travailler dans un esprit d’équipe. Cet accord est la résultante de la nouvelle orientation de l’Ethiopie, mais aussi de l’entente entre les dirigeants égyptiens et soudanais.
C’est ainsi que les aspects techniques deviennent le seul critère régissant le barrage et son fonctionnement. Le Centre égyptien des recherches hydriques a étudié tous les scénarios de la construction du barrage et les éventuels dangers sur le corps du barrage censé retenir plus de 74 milliards de m3 d’eau. Il a affirmé que celui-ci ne supportera pas toute cette quantité.
Un avis également partagé par les experts allemands et les périodiques spécialisés de l’irrigation. De plus, le président Al-Sissi a proposé la création d’un rassemblement régional regroupant l’Egypte et les pays du bassin du Nil bleu afin d’assurer des voies de transport aux pays internes tels l’Ethiopie pour avoir accès à la Méditerranée, ainsi qu’un réseau de voies ferrées pour le transport des marchandises.
L’Egypte avait mené à l’époque de Nasser une bataille contre le colonialisme en Afrique, mais actuellement elle lutte pour le développement de l’Afrique.
— Dans ce contexte, on peut comprendre que l’Egypte adopte de nouvelles orientations envers le continent africain ...
— Le président Al-Sissi veut un partenariat avec l’Afrique. L’Afrique est notre continent sur lequel nous vivons et notre civilisation est totalement basée sur l’eau. L’Egypte, avec ses 100 millions d’habitants, dépend à 90 % des eaux du Nil. L’Egypte possède des entreprises géantes travaillant dans le domaine des projets d’infrastructure. Celles-ci peuvent investir en Afrique, créant ainsi des offres d’emploi pour les jeunes, résolvant aussi les problèmes des pays voisins.
— Comment voyez-vous le rapprochement égypto-soudanais ?
— Le Soudan a longtemps hésité à accepter le message du président Abdel-Fattah Al-Sissi. Finalement, il a réalisé que l’Egypte était indispensable au Soudan et vice-versa. Toute tentative du Soudan de créer des alliances hors du continent africain, en se dirigeant vers l’Iran, la Chine ou d’autres pays, ne signifie nullement que le Soudan peut se séparer de l’Afrique ou de l’Egypte.
L’entente, la coopération et le développement sont indispensables pour résoudre les problèmes. Il ne s’agit nullement de recourir aux affrontements militaires. Pour sa part, la dernière commission bilatérale a souligné le besoin urgent de créer des projets communs comme les raccordements électriques et les liaisons ferroviaires. L’objectif est que la communication entre les deux gouvernements atteigne le niveau de communication entre les peuples égyptien et soudanais.
— Pensez-vous qu’une nouvelle phase s’ouvre dans le dossier du barrage de la Renaissance ?
— Je pense que l’arrivée d’Abiy Ahmed au poste de premier ministre éthiopien représente un tournant dans le dossier du barrage de la Renaissance. L’attitude de l’Ethiopie a complètement changé. Elle est devenue coopérante et positive, contrairement à la position concurrentielle et négative adoptée par l’ancien gouvernement. Nous sommes dans une nouvelle phase qui satisfait toutes les parties.
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