Samedi, 15 février 2025
Dossier > Dossier >

La diplomatie de la carotte et du bâton

Mardi, 14 août 2018

Imposer des sanctions, puis appeler à des négociations. Telle est la tactique du président américain, Donald Trump. Si cette dernière a porté ses fruits avec la Corée du Nord, elle se heurte à de nombreux obstacles dans le cas iranien.

La diplomatie de la carotte et du bâton
L’objectif des sanctions économiques est d’accentuer la crise économique du régime iranien. (Photo : AFP)

Par Amr Abdel-Ati*

L’imposition de sanctions économiques contre l’Iran émane de la conviction de Trump que l’accord nucléaire signé entre l’Iran et le Groupe 5+1 est le pire accord signé par les Etats-Unis, car il n’a pu contrôler ni le programme balistique, ni l’expansion régionale de l’Iran. Cette décision s’accorde aussi avec la stratégie adoptée par Trump depuis son premier jour à la Maison Blanche et qui consiste à se retirer des traités internationaux, comme l’accord de Paris sur le climat, l’accord de partenariat transpacifique ou l’accord de libre-échange nord-américain. En effet, Trump est convaincu qu’il possède tous les talents lui permettant de négocier de nouveaux accords et traités qui réaliseront de meilleurs profits pour les Etats-Unis. Mais en réalité, le président américain ne possède aucune vision stratégique de l’après-sortie de ces accords et de la capacité d’en conclure de nouveaux.

La première vague de sanctions imposées au régime iranien est conforme à l’approche de l’Administration américaine, qui accorde une priorité majeure aux sanctions économiques en tant que l’un des outils de « la force coercitive » américaine. Il s’agit d’une phase de transition entre le « soft power » et le « hard power ». Ceci pour faire pression sur les adversaires et les obliger à adopter des politiques qui s’accordent avec les intérêts américains, tout en minimisant l’importance d’autres instruments de la politique étrangère plus efficaces, comme celui de sceller des partenariats avec les alliés pour faire pression sur les adversaires. Par exemple, en février de cette année, l’Administration américaine a imposé des sanctions à certaines organisations et des individus en Corée du Nord, en Colombie, en Libye, au Congo, au Pakistan, en Somalie, aux Philippines et au Liban.

La philosophie des sanctions de Trump est claire. Il s’agit de multiplier les menaces, de hausser le ton, d’imposer des sanctions économiques sévères pour pousser enfin les régimes adversaires à s’asseoir à la table des négociations. Cette philosophie émane de la conviction de Trump qu’il pourrait obtenir des concessions au cours des sommets bilatéraux exactement comme il le faisait dans le domaine de l’immobilier. Trump a appliqué cette philosophie à la Corée du Nord. L’imposition de sanctions sévères contre le système financier et économique du régime de Pyongyang a poussé le président Kim Jong-Un à accepter de rencontrer Trump à Singapour le 12 juin dernier. A l’issue de cette rencontre, le dirigeant nord-coréen s’est engagé à démanteler le programme nucléaire et de missiles de son pays. En contrepartie, les Etats-Unis s’engagent à permettre l’ouverture de Pyongyang vers l’économie mondiale.

L’Iran, un cas à part

Conformément à cette logique aussi, le président américain a menacé le régime iranien dans plusieurs instances internationales et américaines ainsi que sur son compte Tweeter. Puis, il a invité le président iranien le 30 juillet dernier à un dialogue sans conditions préalables, quelques jours seulement avant l’entrée en vigueur de la première phase des sanctions contre le régime iranien, qui souffre d’une grave crise économique, qui a poussé les manifestants à scander des slogans contre le régime politique et celui de wilayet al-faqih. L’objectif de ces sanctions est d’accentuer la crise économique du régime iranien et de le pousser à négocier avec l’Administration américaine dans l’objectif de parvenir à un nouvel accord plus contraignant pour l’Iran.

Il est vrai que la stratégie des sanctions américaines contre l’Iran a réussi à obliger le président iranien, Hassan Rohani, en 2014, à accepter de négocier avec les Etats-Unis et les forces internationales. Des négociations qui ont été couronnées par l’accord nucléaire en mai 2015. Mais la philosophie de Trump affronte cette fois-ci de nombreux défis qui peuvent ne pas pousser le régime iranien à négocier de nouveau avec l’Administration américaine actuelle. Le premier défi est l’échec de la philosophie de Trump de mettre un terme à la crise du programme nucléaire et balistique de la Corée du Nord et la persistance des sanctions imposées à Pyongyang, vu le manque de confiance autour du respect par les deux pays des engagements des deux présidents — de la Corée du Nord et des Etats-Unis — au cours du sommet de Singapour.

Le deuxième défi réside dans le fait que les sanctions peuvent ne pas pousser le régime iranien à s’asseoir à la table des négociations, mais le pousser à l’affrontement. Ce qui peut approfondir la crise au lieu de la résoudre. Troisièmement, le courant rigoriste iranien peut utiliser ces sanctions pour ancrer ses pouvoirs politiques, soulever l’esprit nationaliste et déformer l’image des Etats-Unis pour accroître sa popularité parmi le peuple iranien. De cette manière, il pourrait même gagner les prochaines élections parlementaires et présidentielle.

*spécialiste des affaires américaines à Al-Ahram

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique