
Plusieurs dizaines de milliers d’Ethiopiens étaient massés pour écouter le discours du premier ministre.
(Photo : AFP)
Elu en avril, le nouveau premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, qui pour la première fois dans l’histoire du pays, est issu de l’ethnie Oromo, a échappé, samedi 23 juin, à un attentat à la grenade lors d’un rassemblement politique à Addis-Abeba. L’explosion a eu lieu alors que plusieurs dizaines de milliers de sympathisants du chef du gouvernement étaient massés sur la place Meskel dans le centre de la capitale pour entendre le premier ministre. Il s’agissait du premier discours public à Addis-Abeba d’Abiy, depuis sa nomination.
Il en avait fait plusieurs en province, et celui-ci devait être le plus symbolique de sa campagne pour expliquer ses réformes. Le gouvernement a affirmé que l’attaque avait fait 2 morts et 132 blessés, elle avait surtout provoqué un mouvement de panique. Selon les organisateurs du rassemblement, la grenade a été lancée en direction de la tribune, à quelques minutes après la fin du discours du premier ministre. « Des personnes au coeur plein de haine ont voulu commettre un attentat à la grenade, le premier ministre Abiy est sain et sauf », a dit le secrétaire général du gouvernement, Fitsum Arega, sur Twitter, sans avancer de piste. Le premier ministre Abiy, qui a quitté précipitamment les lieux sain et sauf, a estimé que l’incident avait été planifié par des groupes cherchant à discréditer le rassemblement. Cette attaque est « une tentative manquée émanant de forces qui ne veulent pas d’une Ethiopie unie », a-t-il affirmé, en adressant ses condoléances aux victimes. L’acte n’a pas été revendiqué, mais un responsable sécuritaire a été arrêté à la suite de l’attaque.
Bien qu’aucun responsable gouvernemental ne l’ait confirmé directement, Abiy Ahmed était sans doute la cible de cette attaque, et ce, pour plusieurs raisons. « Depuis son arrivée à la tête du gouvernement, Abiy Ahmed tente de s’approcher du peuple et d’entendre sa voix en entamant des réunions publiques tout au long du pays, ce qui lui a donné une grande popularité. Mais en même temps, cela a suscité l’inquiétude et les craintes de certains, surtout les élites de l’ethnie Tigray qui présentaient l’Etat profond et qui tenaient le pouvoir avant Abiy Ahmed. Il ne faut pas oublier que c’est la première fois qu’un chef du gouvernement est issu de la minorité Oromo, et ce que cela donne plus de légalité à son ethnie longtemps marginalisée », explique Amani Al-Taweel, présidente du département des études africaines au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. La spécialiste ajoute que les politiques du premier ministre ne plaisent pas forcément. « Ses orientations, son ouverture envers l’opposition, notamment en permettant à ses membres en exil de retourner au pays, ainsi que la libération de certains opposants en prison, ses critiques contre les organes de sécurité qu’il accuse de torturer les prisonniers, ont suscité certainement la colère des instances sécuritaires », explique l’experte.
Rivalités internes
Ainsi, en l’absence de revendication, l’hypothèse selon laquelle cet attentat est la conséquence de rivalités internes est très probable, estiment les analystes. En effet, les tensions sont grandes entre le nouveau premier ministre et ceux qui s’opposent à ses réformes, notamment au sein des services de renseignements qui l’exècrent, comme au sein de la vieille garde du Front de libération du peuple du Tigray (TPLF). Ceux-là, aujourd’hui marginalisés par Abiy Ahmed, qui a aussi expulsé de grands responsables sécuritaires et militaires.
Dans un contexte politique local de plus en plus explosif, le premier ministre risque donc de s’exposer à de nouveaux risques. Abiy, lui, a déclaré que l’attentat avait été organisé par des responsables cherchant à saper son programme de réformes. « Les gens qui ont fait ça appartiennent à des forces opposées à la paix. Vous devez arrêter de faire ça. Vous n’avez pas réussi dans le passé et vous ne réussirez pas dans le futur », a-t-il déclaré à la télévision, une fois mis en sécurité. Il avait récemment accusé les services de sécurité de s’être livrés à des « actes de terrorisme » vis-à-vis des populations qui manifestaient, notamment dans la région Oromia, dont il est originaire.
Cet ancien général âgé de 41 ans, et qui a succédé à Hailemariam Desalegn, qui a démissionné pour ouvrir la voie à des réformes, est en train, à marche forcée, de changer l’Ethiopie, notamment en ouvrant des secteurs de l’économie contrôlés depuis des décennies par une fraction du parti au pouvoir. S’il a des opposants, il peut cependant compter sur le fait qu’il appartient à l’ethnie Oromo, la plus importante numériquement du pays, jusqu’ici relativement marginalisée du point de vue politique, ce qui lui assure un soutien important.
Par contre, les ennemis du premier ministre qui se trouveraient au coeur de l’appareil d’Etat vont tenter de l’arrêter et de bousculer ce processus de réformes en cours, notamment la libération de l’économie et la paix avec l’Erythrée, un dossier bloqué depuis vingt ans qui pourrait connaître des avancées fulgurantes dans un avenir très proche, mais qui ne fait pas l’unanimité (voir encadré). Face à ces défis, Abiy se trouve face à deux choix: « ralentir le rythme de la réforme ou, armé de sa popularité, poursuivre et aller de l’avant, prenant le risque de faire face à ses opposants ».
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