Al-Ahram Hebdo : Quelle est l’importance des législatives iraqiennes, qui interviennent dans un climat régional tendu ? Comment pourront-elles remodeler la scène politique en Iraq ?
Muthna Al-Obeidi : Ces élections ont une grande importance pour plusieurs raisons. Tout d’abord, elles sont les premières élections législatives après la libération des provinces dominées par Daech et l’annonce de son extermination en Iraq. Elles interviennent aussi au moment où on accorde un plus grand intérêt à la lutte contre la corruption financière et politique qui est considérée comme un fléau non moins grave que la menace du terrorisme. Nous avons grand besoin de trouver des solutions politiques, économiques et sociales qui contribuent à la reconstruction du pays et au renforcement de la nation fondée sur le principe de la citoyenneté.
— Certains voient dans les résultats des élections une victoire du nationalisme sur le confessionnalisme, existe-t-il des données sur le terrain ?
— Il est vrai qu’il existe de nombreuses alliances électorales supra-confessionnelles comme la Coalition nationale dirigée par le vice-président Iyad Allaoui, l’Alliance de la victoire présidée par Haider Al-Abadi et la liste du Mouvement de la nouvelle génération dirigée par Shawwar Abdul-Wahid. Mais la plupart des alliances sont encore prisonnières du confessionnalisme, même si les noms et les slogans ont changé.
— Les élections n’ont pas été témoins de divisions entre chiites, sunnites et kurdes seulement, mais des divisions internes ont eu lieu au sein de chaque faction, comment ces divisions affectentelles la scène en Iraq ?
— Ces élections sont différentes des précédentes, vu que les partis politiques et les forces impliquées dans le processus politique actuel se sont inscrits sur plusieurs listes et coalitions électorales. Par exemple, le parti Al-Daawa n’a pas participé aux élections par son nom, mais il a laissé ses membres libres de participer à d’autres listes. Ainsi, Nouri Al-Maliki, secrétaire général du parti, a dirigé une coalition de l’Etat de droit, alors que le responsable du bureau politique, Haider Al-Abadi, a dirigé la liste de la victoire. Il en est de même pour le Parti islamique iraqien, dont les membres ont formé plusieurs alliances, et le Conseil islamique suprême, dont le président Ammar Al-Hakim a fait dissidence pour créer le courant d’Al-Hakma. Certains y voient des dissidences au sein des partis et des forces politiques, alors que d’autres y voient une manoeuvre politique électorale visant à séduire l’électeur, lassé des performances des partis traditionnels.
— Quels sont les scénarios possibles quant à la formation du gouvernement ? Quelle sera la place de l’alliance « La Marche pour la réforme » de Moqtada Al- Sadr ?
— Dès que la Commission électorale indépendante a annoncé les résultats préliminaires des élections, les listes et les blocs gagnants ont entamé leurs rencontres afin de former un gouvernement qui serait formé par le plus grand bloc, qu’il s’agisse de la liste gagnante du courant « La Marche pour la réforme » ou du bloc qui se formera après les élections par l’alliance de plusieurs listes. La réunion la plus importante est certes celle qui a réuni le chef de la liste de « La Marche de la réforme » de Moqtada Al-Sadr et le chef du courant d’Al- Hakma, Ammar Al-Hakim, qui a abouti à un accord pour former un gouvernement de « service national » composé de technocrates. Selon les données actuelles, plusieurs scénarios sont possibles. Le premier est la formation d’une coalition composée des alliances de Moqtada Al-Sadr, Al-Hakma, Al-Nasr et la Décision nationale iraqienne, ainsi que d’autres listes pour former le gouvernement. Ce dernier jouirait alors d’un soutien interne et externe. Le deuxième scénario est la formation d’une alliance entre Al-Nasr et l’Etat de droit, vu que les dirigeants des deux listes sont parmi les dirigeants du parti Al-Daawa. Cette alliance viserait à garder le poste du président du cabinet, au sein du parti Al-Daawa qui l’occupe depuis 2005. Enfin, le troisième scénario serait la reformation de L’Alliance nationale composée de La Marche de la réforme, Al-Nasr, Al-Fath et l’Etat de droit. Mais tous ces scénarios dépendent, d’une part, de facteurs internes, comme les quotas politiques et le conflit sur le poste de premier ministre, et d’autre part, de facteurs externes comme l’influence iranienne et américaine. — Selon la Commission électorale, le taux de participation a été de 44,52 %, soit la participation la plus basse depuis la chute de Saddam Hussein en 2003, comment voyez-vous la réticence des électeurs ?
— Ce refus de la part de l’électeur reflète sa déception et son désespoir de voir les choses changer. Il s’agit aussi d’une protestation contre la performance du gouvernement qui sera formé des mêmes partis politiques et des mêmes visages. En plus, les électeurs sont sûrs que la participation est inutile à cause de la fraude électorale qui se répète depuis toujours.
— Comment l’Iran et les Etats-Unis tenteront-ils d’influencer le cours des événements en Iraq ?
— En fait, ces deux pôles opposés tentent chacun d’infléchir le cours des événements en sa faveur et aussi contre son adversaire. Chacun veut préserver ses intérêts. Il est certain que l’Iran et les Etats- Unis interviendront, tous deux, dans la formation du nouveau gouvernement. Chacun essaiera d’impliquer ses partenaires. Pour ce, ils utiliseront différents instruments d’influence politique, sécuritaire ou économique.
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