14 mai 1948, l’Etat d’Israël est proclamé sur les terres palestiniennes. 14 mai 2018, un massacre a lieu à Gaza au moment où les Etats-Unis transfèrent leur ambassade de Tel-Aviv à la ville palestinienne de Jérusalem. Le pas a été franchi. L’inimaginable s’est produit. En toute simplicité. En toute impunité. La plus grande puissance du monde, censée être le principal parrain du processus de paix israélo-palestinien, donne le coup de grâce à la paix.
Pendant qu’à Jérusalem se tenait la cérémonie d’inauguration, que le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, le sourire jusqu’aux oreilles, se félicitait de ce « moment historique » et « glorieux », et que le président américain, Donald Trump, saluait, depuis Washington, ce « grand jour pour Israël », à Gaza, des dizaines de Palestiniens tombaient sous les balles des Israéliens. Une soixantaine de morts, dont des enfants, et plus de 2000 blessés pour la seule journée du 14 mai. « Un horrible massacre », selon le gouvernement palestinien qui appelle à « une intervention internationale immédiate ». Un bain de sang. Peut-être même le début d’une nouvelle Intifada. « On se fiche que la moitié des gens se fassent tuer, on continuera à y aller (à la frontière) pour que l’autre moitié vive dignement », affirme ainsi l’un des manifestants palestiniens, cité par l’AFP.
Que faut-il en effet attendre des jeunes Gazaouis, frustrés et désespérés, vivant sous l’occupation, dans cette enclave sous blocus, qui manque de tout? Qu’ils croient le président américain lorsqu’il déclare, au moment même où des Palestiniens se faisaient tuer, que son pays reste « pleinement » engagé pour la paix? Certainement pas.
Pari risqué
Toute la question est donc aujourd’hui de savoir dans quel sens évolueront les choses. Une explosion d’une plus grande envergure est à craindre, mais il est encore difficile de dire si la situation va dégénérer en une vraie Intifada, disent les observateurs. « Une Intifada a besoin d’un certain soutien de la part des pays de la région. C’était le cas lors du premier soulèvement de 1987, ça l’était moins lors de la deuxième Intifada en 2000. Aujourd’hui, le contexte régional ne le favorise pas », explique l’analyste politique Saïd Okacha, spécialiste du dossier israélo-palestinien. Qui plus est, ajoute le politologue, « les Palestiniens ont très peu de véritables outils. Ils ne peuvent pas opter pour l’escalade, car ce n’est pas dans leur intérêt et ils ne croient plus vraiment en la lutte armée. Au maximum, ils peuvent obtenir le soutien, symbolique, des institutions internationales ».
Face aux Palestiniens, très peu de choix donc. Pas de résistance par les armes certes, mais pas non plus de négociations telles qu’elles ont été menées jusque-là, disent-ils. Si Donald Trump a déclaré qu’il voulait « faciliter un accord de paix durable », l’Autorité palestinienne ne voit plus en lui ni un parrain, ni un partenaire, ni même une partie prenante dans le processus de paix. Comment donc reprendre langue ? « Pour Trump, c’est un deal qu’il va proposer, pas des pourparlers », répond Saïd Okacha. « Trump ne se présente pas comme un médiateur, qui va discuter avec une partie, puis avec l’autre, tenter de les convaincre, trouver un compromis. Ce n’est pas du tout sa méthode. Il se présente comme celui qui offre un marché, à prendre ou à laisser, et pas un sujet à discussion », explique-t-il.
Il semble donc que le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem soit un prélude à l’annonce du fameux « accord du siècle » ou « marché du siècle ». Un marché qui serait en quelque sorte imposé aux Palestiniens, qui, confinés, n’auraient d’autres choix que de l’accepter. Un marché qui ne leur offrirait que des miettes. Donald Trump voudrait-il donc se débarrasser de la question et pousser les Palestiniens dans leurs derniers retranchements ?
Selon Okacha, « Trump la gère avec une mentalité de businessman. Pour lui, pour faire un deal, il faut évaluer les lignes rouges des uns et des autres et écarter d’emblée les questions sur lesquelles un compromis est quasi impossible. Par exemple, Jérusalem et les réfugiés, deux lignes rouges pour les Israéliens. Il a donc décidé d’écarter ces deux questions. Pour les Palestiniens, pas question d’une confédération avec la Jordanie, il faut un Etat indépendant, c’est leur ligne rouge selon lui, et on va leur donner cet Etat ». En effet, lorsqu’il a annoncé en décembre la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël, Trump a affirmé que le statut de Jérusalem resterait à discuter, mais depuis, il s’est rétracté en déclarant que le sujet « n’était plus sur la table des négociations ».
C’est tout dire. « Le deal n’a pas encore été rendu public, mais les dirigeants palestiniens savent parfaitement que Jérusalem, c’est fini, le droit de retour, c’est fini », estime Okacha. Tout compte fait, le « marché du siècle », c’est une offre de liquidation de la question palestinienne. Mais la stratégie américaine comporte des risques. Si Donald Trump est convaincu que les Palestiniens n’auront d’autre choix que de dire « oui », il reste à savoir si l’Autorité palestinienne peut se risquer à signer une telle reddition.
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