Les sanctions menacent l’exploitation du plus grand gisement gazier du monde.
(Photo : Reuters)
Concrètement, la décision du président américain de se retirer de l’accord nucléaire rétablit immédiatement les sanctions qui existaient avant sa signature en 2015. En contrepartie de l’engagement de l’Iran de limiter ses activités nucléaires aux fins pacifiques, les sanctions avaient été levées en ce qui concerne le développement de l’énergie nucléaire, les transactions financières et commerciales et l’exportation du pétrole, en plus de la libération de milliards de dollars des fonds iraniens gelés. Aujourd’hui, toutes ces sanctions seront réimposées. Ce qui signifie que l’Iran ne pourra ni importer ni exporter des armes. Il ne pourra plus importer les pièces de rechange des avions et navires pour moderniser sa flotte aérienne et maritime. Il sera aussi privé de toute transaction commerciale étrangère. L’accord de 2015 avait permis à de nombreuses entreprises de différents secteurs de signer d’importants contrats dans le pays. Washington leur accorde donc une période de 90 à 180 jours pour résilier leurs contrats et interdit d’en conclure de nouveaux, sous peine de subir des sanctions de la part des Etats-Unis. Ainsi, les entreprises françaises comme PSA, Airbus, Renault et Total pourraient être sanctionnées à moins d’abandonner tous les contrats. PSA allait investir en Iran 700 millions d’euros sur cinq ans. Airbus devait y vendre 100 avions. Renault devait y produire 300 000 voitures par an. Quant à Total, associé au groupe chinois CNPC, il a signé un accord pour un investissement de 5 milliards de dollars pour exploiter un gisement gazier.
Le pétrole, premier secteur touché
Cependant, certaines entreprises espèrent pouvoir contourner le problème. Mais rien n’est sûr pour l’heure. La Maison Blanche s’appuie en effet sur le principe d’extraterritorialité des lois américaines. Ce principe permet à Washington de sanctionner des entreprises étrangères travaillant avec des pays sous embargo, à partir du moment où elles commercent aussi avec les Etats- Unis ou utilisent le dollar dans leurs transactions. Selon ce principe, la banque française BNP Paribas s’était trouvée obligée de payer une amende de 9 milliards de dollars, il y a quatre ans. Les sanctions américaines visent surtout à interdire l’achat de pétrole iranien et les investissements dans les infrastructures pétrolières iraniennes. En fait, ce sont essentiellement les Européens et les Asiatiques qui achètent le pétrole iranien. Si la Chine, le premier importateur du pétrole iranien, continue à s’approvisionner en Iran, la Corée et le Japon, d’autres gros importateurs, ne se paieront certainement pas le luxe de contrarier Washington pour le faire. Mais est-ce que l’Europe et la Chine pourront continuer à acheter le pétrole iranien ? « Ceci est tout à fait possible, car il est dans l’intérêt des autres pays signataires ainsi que de l’Iran de préserver l’accord », précise Amal Hamada, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire. Les exportations de pétrole constituent en effet la première source de revenus de l’Iran.
En attendant une clarification de la situation, les cours de pétrole s’envolent enregistrant 77 dollars le baril mercredi matin. Par ailleurs, le retrait des Etats- Unis de l’accord nucléaire a directement impacté la monnaie nationale iranienne. Depuis fin 2017 déjà, le rial iranien avait enregistré une chute libre sous le coup des menaces de Donald Trump. Les Iraniens avaient retiré leurs capitaux des banques pour acheter des dollars de crainte d’une détérioration plus grave de l’économie. Ce qui a encore renforcé la hausse des prix de change. Le gouvernement iranien a alors instauré le 10 avril un taux de change fixe de 42 000 rials contre un dollar. Cependant, le dollar était introuvable sur le marché des changes. Des estimations évaluent les sorties de capitaux entre 10 et 30 milliards de dollars au cours des quatre derniers mois. Le jour même de la déclaration de Trump, la devise iranienne enregistrait une perte. Le dollar atteignait un chiffre record de 65 000 rials iraniens. Cette dépréciation de la monnaie risque d’alimenter encore plus l’inflation, déjà proche de 10 %, et d’augmenter l’exaspération de la population qui estime avoir peu bénéficié de la levée des sanctions internationales depuis 2016. « Malgré une légère amélioration économique, l’Iran ne s’est jamais remis des longues années d’embargo économique. Le peuple n’a pas eu le temps de ressentir l’impact de la levée des sanctions », précise Amal Hamada. Alors que le pays a connu une croissance de 12,5 % de son PIB en 2016, ce chiffre a chuté de 4 % en 2017. Les ventes de pétrole ont apporté des devises, mais elles n’ont pas entraîné la création d’emplois suffisants. Selon le FMI, 12 % de la population est au chômage (30 % des jeunes), alors que 25 millions d’Iraniens vivent en dessous du seuil de pauvreté d’une population de 80 millions d’habitants. Bref, le chômage, l’inflation et la hausse des prix alimentent le mécontentement et l’amertume de la population fatiguée et appauvrie par les longues années d’embargo. Avec l’espoir pour les Etats- Unis de voir éclater de nouveaux mouvements contestataires à même de déstabiliser le régime iranien.
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