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Si jeunes, et déjà victimes du burn out

Chahinaz Gheith, Mardi, 08 mai 2018

Si le stress peut être une bonne chose pour les études, il s'avère tout autant fatal. Une récente étude du ministère de la Santé sur l'état psychologique des élèves du secondaire fait état d'une situation accablante.

Si jeunes, et déjà victimes du burn out
Si la période d’examens est particulièrement stressante, le bac l’est bien plus. (Photo : Ahmad Chéhata)

30 % des élèves du cycle secondaire pensent avoir des signes de troubles psychiques, 21,7 % d’eux ont des idées suicidaires. C’est ce qu’a révélé une récente étude effectuée par le ministère de la Santé auprès d’un échantillon de 13 000 lycéens répartis sur trois gouvernorats : Le Caire, Ménoufiya et Assiout. De quoi tirer la sonnette d’alarme. Dr Mona Abdel-Maqsoud, directrice du secrétariat général de la santé psychique et de la toxicomanie auprès du ministère de la Santé, confie que parmi les symptômes importants figurent l’anxiété et le stress avec un taux estimé à 17 %, la dépression évaluée à 14 %, le masochisme à 19 % et les tentations suicidaires à 21,7 %. Alors que ces taux sont relativement élevés, 4,8 % seulement d’élèves se rendent chez un psychiatre, 3 % demandent l’aide du sociologue de l’école et 23,3 % se confient à des amis, alors que 60,5 % préfèrent garder le silence. Plusieurs cas ont été révélés, et c’est ce qui a poussé le groupe de chercheurs à effectuer cette enquête. A l’origine de cet état des lieux, le surménage des élèves. Alors que les causes ne sont pas encore établies, les experts prévoient ce constat alarmant : les étudiants vont de plus en plus mal et ressentent un stress grave par rapport au lycée, aux parents et aux examens.

Souffrant d’une perte d’appétit, des troubles du sommeil et d’une fatigue continue, Hamza, élève en 2e année secondaire, a commencé à ne plus avoir envie d’étudier et a perdu toute faculté de concentration et toute motivation. « Mon fils, d’habitude social et jovial, a beaucoup changé durant ces dernières semaines. Il sort rarement, passe le plus clair de son temps enfermé dans sa chambre et a des cernes. A table, il est absent, silencieux et ne finit jamais son assiette. Quant aux études, il les a désormais en horreur, lui qui était si brillant et si estimé par ses professeurs. Je suis très inquiète », confie la mère, complètement désemparée face à la détresse de son fils. Idem pour Samir, élève en terminale.

« Les examens de la sanawiya amma (baccalauréat), j’y pense tout le temps même depuis que j’étais en classe de préparatoire, car ma famille n’arrêtait pas de m’en parler », dit-il. Anxieux et déprimé, Samir n’a qu’une idée en tête : réussir avec un haut pourcentage qui lui permettra de joindre la faculté de pharmacie. A force d’être stressé, il est devenu victime du syndrome de la page blanche. « Dès que je me retrouve devant ma copie, je perds mes moyens et je ne comprends pas ce qui m’arrive », lance-t-il. Et d’ajouter : « Je crains de ne pas être à la hauteur. J’ai tellement envie de réussir que ça me bloque, et souvent, je n’arrive pas à mémoriser tous les cours ». Aujourd’hui, Samir fuit la maison pour rencontrer des amis qui lui ont conseillé de prendre du Tramadol (détourné pour ses effets opiacés) efficace pour se concentrer aux révisions.

Quant à Farida, une autre angoissée chronique qui appréhende chaque session finale d’examens, elle a vécu très mal la période du bac, y compris physiquement. Ce qui d’ailleurs ne l’a pas empêchée d’y réussir l’an dernier avec un pourcentage de 93 %. Elle continue à se sentir dépressive et s’estime bonne à rien. « Quand je suis sous pression, j’éclate en sanglots. Je suis incapable de relativiser », dit cette jeune qui n’arrête pas de compter ses pertes dans sa bataille avec le bac. « Oui, j’ai eu ce bac, à bout de souffle, inefficace, nul et injuste. A cause de la sanawiya amma, j’ai eu un lumbago et des douleurs atroces qui m’empêchaient de rester assise trop longtemps. Ma vue a beaucoup baissé et j’ai dû porter des lunettes, j’ai eu une importante chute de cheveux et même des problèmes de colon, un vrai cauchemar », raconte-t-elle, tout en évitant d’entendre quoi que ce soit sur les examens de cette année.

Pressions tous azimuts

Et ce n’est pas tout. La liste des burn out et des étudiants débordés est infinie. En effet, nombreux sont ceux qui sont confrontés à une ambiance scolaire qu’ils trouvent oppressante. Selon Kamal Moghis, chercheur au Centre national des recherches pédagogiques, la pression des parents est le mot d’ordre. Autrement dit, le spectre du chômage, la crise économique, les cours particuliers et la précarité sociale des familles constituent des motifs graves pour nourrir l’angoisse des lendemains qui déchantent. « L’impasse de l’éducation taraude aujourd’hui beaucoup de familles issues de la classe moyenne, qui considèrent qu’un enseignement de qualité offert à leurs enfants est le seul moyen d’ascension sociale. Ainsi, ils projettent sur leurs enfants leur propre stress, causé par la peur de l’échec », explique-t-il, tout en précisant que notre société est obsédée par la compétition. La pression commence de nos jours, dès le jardin d’enfants. Beaucoup d’élèves se sentent coupables s’ils n’obtiennent pas les meilleures notes.

Si les uns broient du noir et sombrent dans l’anxiété et la dépression, d’autres n’arrivent pas à se contrôler. « Je n’ai pas bien travaillé à l’examen d’histoire, je risque d’échouer. Désolée, je n’ai plus d’autres choix », a rédigé la jeune fille de 17 ans dans sa lettre d’adieu. Studieuse, cette élève a toujours été classée parmi les meilleures de sa classe. Mais au moment de passer l’examen, elle a eu du mal à gérer son stress. Ne pouvant supporter un éventuel échec au bac, surtout que ses parents misaient sur sa réussite, elle a décidé de mettre fin à sa vie en avalant un produit dangereux. Et ce n’est pas la seule victime. Des suicides durant l’examen et l’annonce des résultats, il y en a eu : l’année dernière, on en a enregistré sept.

L’angoisse des parents, un élément fatal

Si jeunes, et déjà victimes du burn out
Au lieu de booster leurs enfants, plusieurs parents deviennent une source de stress. (Photo : Mohamad Moustapha)

Mais au-delà des petits nombres annoncés par la presse, combien sont-ils passés sous silence ? Nul ne le sait. Le sociologue Hamed Darwich dénonce la nocivité de la pression anxiogène exercée sur les élèves tout en mettant en relief les graves dangers que font planer les examens scolaires. Selon lui, au début du XXe siècle, le suicide n’était pas évoqué. La pression sociale n’avait pas encore atteint son paroxysme pour peser autant sur le fonctionnement de l’institution éducative. Les temps ont changé et la pédagogie a amené d’autres modèles et méthodes d’évaluation scolaire.

« L’obsession de la compétition ou la concurrence et le classement via la note pèsent sur les frêles épaules de nos élèves. Une pression qui va jusqu’au recours des parents à l’avertissement ou au blâme, considérés comme des stimulants aux études ! Alors que menacer ou faire peur va à l’encontre d’une saine éducation de la volonté et du développement de compétences liées à l’effort, au travail sérieux, à la discipline », souligne-t-il, tout en se souvenant du petit Mohamad, 2e préparatoire. Depuis le début de sa scolarité, il était maltraité par sa mère à chaque mauvais bulletin ponctué de mentions et d’appréciations dévalorisantes (avertissement, blâme, élève paresseux, élève qui ne travaille pas …). Ce jour fatidique, il avait décidé de ne pas affronter la colère de sa mère. Il prit une corde et se pendit dans sa chambre. Sur son bureau, on retrouva le bulletin, source de tout le mal.

Selon Nihal Lotfi, professeur de psychologie pédagogique à l’Université du Canal de Suez, d’autres facteurs peuvent jouer négativement sur le psychisme des élèves, à savoir la société, les publicités commerciales et les médias qui ont tellement dramatisé les examens scolaires que la pression a débordé … jusqu’à l’explosion : le désespoir et le suicide. En pleine croissance, les âmes frêles des enfants et des adolescents ne sont pas assez mûres pour gérer une telle situation d’angoisse et de stress. Le comble est que ces dernières années, les chaînes satellites et les journaux se sont mis de la partie, amplifiant l’angoisse parentale et alourdissant davantage la pression sur les élèves.

Le bac, un traumatisme

Des titres ronflants jetés en pâture sans prendre la précaution de ne pas ajouter de l’huile sur le feu du désarroi des parents et des élèves : « Al-Youm al-hassem » (le Jour J), « Al-Imtihane al-massiri » (l’examen décisif) ! Ces médias sont friands d’audimat, quitte à porter entorse à la retenue et au sens des responsabilités que les adultes doivent avoir à l’égard des adolescents. Ce climat de guerre, ainsi créé avant et pendant les examens, donne aux élèves une image néfaste de l’examen. D’autant que leurs parents, eux aussi inquiets, misent énormément sur leur réussite scolaire.

« Les adolescents ont très peur de décevoir leurs parents, et parallèlement, ils ont l’impression que leur avenir est foutu s’ils échouent. Certains, les plus fragiles, se disent : Si je n’ai pas mon bac, je vais me suicider. Cette phrase a dépassé la simple expression qui fleure la bouche de tous nos jeunes. Une image de mort (symbolique) alimente les pires tentations dont la tentative de suicide, la fugue », résume-t-elle. Ajoutez à cela la complexité de l’adolescence, cette période difficile où l’adolescent n’a pas de recul entre ce qu’il est et ce qu’il fait. Le moindre échec scolaire peut paraître la fin du monde pour lui, il se dit qu’il n’arrivera à rien. Poussés dans des voies qu’ils n’aiment pas, ces jeunes échouent souvent et se trouvent piégés. Ce chantage émotionnel se poursuit jusqu’à la fin de l’université.

Cependant, Nahla Gamal, coach parental et mère de 3 adolescents, estime qu’il est indispensable de prendre un certain recul, afin d’offrir aux enfants un cadre rassurant. Comment ? En s’efforçant de voir au-delà de l’examen. « Décrocher un diplôme, aussi utile soit-il, n’est pas le plus important. Si cela devient une question de vie ou de mort ou se fait aux dépens de la santé de mon enfant, de la qualité de ses relations avec sa famille ou de son équilibre psychologique, quel intérêt ? Ce qui compte, c’est que mon enfant apprenne à améliorer ses connaissances, tout en sachant préserver son équilibre personnel », explique-t-elle.

Cette réalité, la Finlande et les pays scandinaves l’ont bien comprise et épargnent ainsi à leurs élèves les supplices de la torture morale que sont les examens de la chance unique. Leur doctrine pédagogique et la philosophie qui sous-tend leur politique éducative reposent sur les données de la psychologie de l’enfant : mise en confiance et sécurité psychoaffective de la part d’enseignants bien formés (en pédagogie pratique et en psychologie) : point de pression ou de compétition entre les élèves. Et de conclure : « Encore une fois, élèves et parents n’ont qu’à attendre les années à venir pour voir finir ce cauchemar, et ce, avec l’application du nouveau bac cumulatif et électronique ».

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