Al-Ahram Hebdo : Vous avez réussi, avec l’équipe nationale de votre génération, à vous qualifier pour la Coupe du monde pour 1990 en Italie. Quels souvenirs en gardez-vous ?
Ahmad Al-Kas : Tout d’abord, la qualification pour la Coupe du monde 1990 n’a pas du tout été facile; elle a même été plus difficile que celle de la génération actuelle pour la Coupe du monde 2018. Lorsque l’équipe nationale actuelle a terminé les matchs de qualification à la tête de son groupe, elle s’est qualifiée directement pour le Mondial 2018, alors que nous avions, après être arrivés en tête de groupe, dû jouer deux matchs aller et retour contre l’Algérie, à la tête d’un autre groupe, pour décider quelle équipe se qualifierait pour la Coupe du monde.
En 1990, il n’y avait que deux pays africains qui pouvaient se qualifier pour le Mondial. Entre-temps, la FIFA a augmenté le quota de participation des pays africains en Coupe du monde à 5 pays. Je me rappelle très bien que les Egyptiens ont explosé de joie après notre victoire lors de notre dernier match contre l’Algérie, 1-0. Les Egyptiens ont fêté la qualification pendant plusieurs jours. Le coach de l’équipe de cette époque, Mahmoud Al-Gohari, et nous les joueurs, avons été traités comme des héros nationaux en Egypte, car nous avions réussi à qualifier l’Egypte pour la Coupe du monde pour la première fois depuis 56 ans.
— Qu’est-ce qui a changé pour les joueurs depuis cette époque ?
— Les joueurs de notre génération ne connaissaient pas beaucoup le football des autres pays, car ils évoluaient dans le Championnat national qui était, à cette époque, un championnat amateur et non pas professionnel. Aujourd’hui, la plupart des joueurs de l’équipe nationale sont des professionnels qui évoluent à l’étranger. La majorité joue dans de grands championnats européens, tels Mohamad Salah, Mohamad Al-Nenni, Ahmad Hégazi, Ali Gabr, Ahmad Al-Mohammadi, Ramadane Sobhi et Sam Morsi, qui évoluent en Premier League, Ahmad Hassan Kouka, qui joue dans le Championnat portugais, Abdallah Al-Saïd et Amr Gamal, qui évoluent dans le Championnat finlandais, et Mahmoud Trezeguet, qui joue dans le Championnat turc. Tous ces joueurs possèdent l’expérience de jouer contre de grands joueurs de nationalité et de style de jeu différents. Nous, joueurs de notre génération, n’avions pas cette expérience.
C’est pourquoi notre coach, Mahmoud Al-Gohari, a tenu à ce que les joueurs s’habituent à jouer contre d’autres écoles de football pour qu’ils ne craignent pas de jouer contre les grandes équipes en Coupe du monde. Le Championnat national de la saison 1989-1990 a été annulé et nous n’avons pas participé à la Coupe d’Afrique des nations en 1990 en Algérie. Al-Gohari a préféré envoyer la deuxième équipe nationale avec un autre staff technique pour que la première équipe nationale ne soit pas perturbée dans sa concentration, d’autant plus que l’Algérie voulait se venger de l’Egypte pour l’avoir éliminée des qualifications de la Coupe du monde.
— Comment vous étiez-vous préparés pour la Coupe du monde ?
Al-Kas, à droite, fait partie de 5 joueurs assiégeant le légendaire attaquant néerlandais, Marco Van Basten.
— Nous avons joué une trentaine de matchs amicaux contre des équipes aux styles de jeu différents, comme l’Ecosse, la Roumanie, la Corée du Nord, la Tchécoslovaquie et la Colombie. Mais malgré le grand nombre de matchs joués, nous avions toujours peur de jouer contre les grands joueurs, comme ceux des Pays-Bas, champions d’Europe en 1988, soit Ruud Gullit, Marco Van Basten, Erwin Koeman et Frank Rijkaard. Nous voyions ces joueurs à la télévision et c’était difficile d’imaginer de les voir sur le terrain.
Je me rappelle que la veille de notre premier match contre les Pays-Bas, Al-Gohari nous a demandé de ne penser ni à la force de notre adversaire, ni à ses grands joueurs. Il nous a demandé de traiter ce match comme l'un des matchs amicaux que nous avions joués avant de partir en Italie. Malgré les paroles d’Al-Gohari, ce n’était pas facile pour nous de ne pas penser à la force de nos adversaires. Je me rappelle aussi que le jour de notre premier match, les pronostics prédisaient la victoire des Hollandais 7-0 sur les Pharaons. Nous sommes arrivés au stade de la ville de Palermo, les vestiaires des deux équipes étaient dans un long corridor, d’abord les vestiaires de l’équipe nationale des Pays-Bas, puis les nôtres. Avant d’enfiler nos maillots, nous, les joueurs égyptiens, sommes allés devant les vestiaires des Pays-Bas pour voir les joueurs et nous nous disions entre nous : voilà Van Basten, voilà Rijkaard, voilà Ruud Gullit… On les a trouvés plus costauds et plus grands qu’à la télévision. C’était comme un rêve pour nous. Al-Gohari est venu nous chercher et nous a demandé de nous éloigner des vestiaires des Hollandais. Il nous a demandé de ne pas penser à la force de l’adversaire et de jouer notre football sans crainte.
Franchement, le problème contre les Pays-Bas, l’Irlande et l’Angleterre n’était pas leur style de jeu, mais les joueurs de l’équipe eux-mêmes. Car c’était facile d’avoir les vidéocassettes de leurs anciens matchs, qu’avec Al-Gohari, nous avons regardées une dizaine de fois pour étudier leur style de jeu. Mais ce que nous craignions, c’était de jouer face à de grands joueurs comme Gullit et Van Basten des Pays-Bas, Gary Lineker et Paul Parker d’Angleterre ou Kevin Sheedy et David O’Leary d’Irlande. Tous étaient des joueurs que nous avions seulement vus à la télévision.
— Et comment avez-vous vécu les premières minutes de votre premier match face aux Pays-Bas ?
— En sortant des vestiaires, les joueurs hollandais ont été très gentils avec nous, peut-être parce qu’ils savaient que nous étions une petite équipe et qu’ils croyaient qu’ils allaient nous battre facilement. Les Hollandais sont venus nous saluer, ils étaient souriants, ils nous ont encouragés et ils nous ont souhaité bonne chance. L’attitude des joueurs hollandais nous a donné plus de confiance. J’ai senti mon coeur battre très fort et j’ai répété des prières et des versets du Coran. En entrant sur le terrain, nous nous sommes sentis comme des commandos en mission. Nous avions devant nous le peuple égyptien et la responsabilité de le bien représenter. Nous avons essayé de ne pas regarder les visages de nos adversaires et de nous concentrer uniquement sur le jeu. Petit à petit, nous avons commencé à prendre confiance et nous avons dominé la partie pour quelques minutes. Bien que nous soyons des joueurs amateurs, nous ne voyions pas de grande différence entre nous et les professionnels hollandais. Nous avons alors commencé à dribbler les joueurs adverses et à jouer un jeu spectaculaire. Lorsque nous avons encaissé un but, nous avons essayé d’égaliser le score. Lorsque l’arbitre a sifflé le penalty suite à une faute contre Hossam Hassan, nous nous sommes réjouis, mais nous avions peur d’exagérer notre joie et que Magdi Abdel-Ghani manque le penalty. Quand il l’a marqué, nous avons explosé de joie. Nous aurions aussi pu gagner le match si nous avions su profiter des occasions que nous avons eues durant le match. Je n’oublierai jamais le moment où j’ai reçu la passe de Gamal Abdel-Hamid et que le gardien Van Breukelen n’a que difficilement sauvé mon tir. Nous avons fait match nul, 1-1, et tous les médias ont parlé de l’équipe égyptienne.
— Après le match nul contre les champions d’Europe, comment vous vous êtes préparés pour les deux matchs suivants ?
— Après le match, Al-Gohari nous a demandé d’oublier le match contre les Pays-Bas pour nous concentrer sur les deux matchs suivants face à l’Irlande et à l’Angleterre. Il était d’avis que l’Irlande et l’Angleterre seraient des adversaires plus difficiles, car ces équipes évoluaient en 4-4-2, tout en effectuant de longues passes aériennes. Nous devions donc être plus forts physiquement pour récupérer ces ballons. Contre l’Irlande, nous avons réussi à faire match nul 0-0 et nous avons perdu le troisième match face à l’Angleterre 0-1, car notre libéro Hani Ramzi a joué plus de la moitié du match avec une fracture au pied. Nous avons manqué beaucoup d’occasions dans ce match à cause du manque d’expérience. En revanche, nous avions une plus grande confiance et moins peur que lors du premier match.
Nous sommes rentrés d’Italie sans rester en contact avec les joueurs de ces trois équipes, car à cette époque, les moyens de communication étaient limités: il n’y avait ni téléphones portables, ni Facebook, ni e-mails. Mais ce qui m’a impressionné, c’est ce qui est arrivé deux ans plus tard, en 1992. J’avais été invité à jouer un match amical avec la sélection africaine contre la sélection européenne. Le Hollandais Ruud Gullit, qui jouait avec l’équipe européenne, est venu me saluer et m’a dit qu’il se souvenait bien de moi. Il se rappelait mon nom et mon numéro de maillot avec la sélection égyptienne.
— De retour d’Italie, comment avez-vous été accueillis par le public ?
— A notre retour en Egypte, les autres joueurs et moi avons été considérés comme des héros nationaux. Nous n’avons toutefois pas touché de grandes sommes comme les équipes nationales de nos jours. Tout ce que la Fédération nous a donné, ce sont des certificats d’investissement bancaires avec un tout petit montant et nous n’étions pas déçus, car on jouait pour le football, et non pas pour l’argent. Je pense que maintenant, avec le professionnalisme, cela a changé.
— Comment évaluez-vous les chances de la sélection égyptienne en Coupe du monde 2018 sous la direction de Hector Cuper ?
— Je pense qu’avec le système de jeu de Cuper, la sélection égyptienne peut faire de bons résultats en Russie. Cuper applique un plan de jeu défensif qui gêne les adversaires avec des contre-attaques, tout en profitant de la vitesse de Mohamad Salah et de Mahmoud Trezeguet. Peut-être que les lecteurs vont dire que je suis fou dans mes pronostics, mais je pense que l’Egypte va non seulement se qualifier pour le deuxième tour, qu’elle peut aussi aller plus loin et se qualifier pour les quarts de finale.
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