Le rouge est associé à la danse et à la libération du corps féminin.
Une histoire de « harga », soit d’émigration clandestine. Une histoire de désir. Une histoire de femme(s). Une histoire de corps mis à l’épreuve. Une histoire de corps mis à nu. Ce serait peut-être là une manière parmi tant d’autres de présenter le dernier film franco-tunisien de la réalisatrice Raja Amari, celle-là même qui avait réalisé, en 2001, Satin rouge et, en 2009, Les Secrets.
Corps étranger fait écho à ces deux films, en reprenant notamment la structure triangulaire des personnages principaux: deux femmes, de deux générations différentes, et un homme, plus âgé que la plus jeune mais moins que l’aînée, lequel évolue dans une sorte d’entre-deux. La résonance cinématographique avec les précédents longs métrages de Raja Amari ne s’arrête pas là. On la retrouve également au niveau chromatique, avec cette couleur rouge, omniprésente. Lorsque la mère dans Satin rouge et Samia dans Corps étranger dansent, elles sont vêtues de rouge. Cette teinte est associée au mouvement, à la danse, à la libération du corps féminin, à la réconciliation de la femme avec son corps, que traditions et tabous étouffent.
Dans le même ordre d’idées, le rouge, chez Raja Amari, particulièrement dans Corps étranger, renvoie au désir qui circule au sein de ce trio, entre la jeune Samia (Sarra Hannachi), Leila Bertaud (Hiam Abbas) et Imed (Salim Kechiouche). Complexe, étrange, ce désir sépare en même temps qu’il rapproche les personnages les uns des autres. La scène de danse de Samia en robe rouge devant Leila et Imed en est le point culminant. Les corps bougent sensuellement, s’attirent graduellement pour se rejeter définitivement. Le thème du mouvement, du déplacement, de la circulation du désir dans Corps étranger évolue parallèlement à celui de la circulation de la personne, car le sujet de l’émigration clandestine est central dans le film.
En effet, Samia, jeune femme tunisienne, voyage illégalement de Tunisie vers la France pour fuir un frère djihadiste violent qu’elle avait dénoncé. La scène qui initie Corps étranger est celle d’une lutte en mer dans laquelle les clandestins, dont Samia fait partie, tentent de se sauver de la noyade. Lui succède une scène dans laquelle la jeune femme se réveille sur les rivages français, entourée de cadavres et de l’épave d’une barque.
Cette mise en danger de soi s’articule comme une réponse à une liberté de circulation entravée. Face à l’impossibilité de se déplacer légalement, Samia décide de voyager clandestinement, au risque de sa vie. Cette situation de hors-la-loi poursuit le personnage au début du long métrage. Elle est d’abord filmée de dos, comme une masse mouvante noyée dans des vêtements d’homme trop grands, la tête enfoncée dans un bonnet informe. Puis, dès qu’elle fait la connaissance de Madame Bertaud, elle est progressivement mise en sécurité. Elle se promène à Lyon, là où se déroule l’essentiel du récit, avec bien plus d’assurance. Elle s’affirme progressivement en s’habillant différemment. S’estompe alors peu à peu l’angoisse de l’illégalité, mais sans jamais disparaître, puisque réactivée systématiquement par la présence d’une voiture de police ou de policiers.
Des sans-papiers
Imed est le pendant masculin de Samia. Il est tout d’abord son soutien, avant de devenir l’amant de Madame Bertaud. Les trois personnages sont tous des émigrés. Leila Bertaud est installée en France depuis des années et en situation régulière. La veuve bourgeoise se prend d’affection pour la jeune fille qu’elle recrute d’abord comme employée de maison. Imed, Tunisien également et ami du frère de Samia, travaille à Lyon, clandestinement, dans l’attente d’une régularisation. C’est vers lui que la jeune femme se dirige à son arrivée en France. C’est aussi Imed qui l’initie aux stratégies pour déjouer les contrôles de police. Bien qu’intégrés professionnellement, la situation de l’un comme de l’autre limite leur circulation dans la ville française. Sans-papiers, ils sont représentatifs d’une population dont le seul tort est d’avoir franchi les frontières sans y avoir été autorisée, au péril même de leur vie. Ils sont en proie à un danger permanent, celui de l’expulsion.
Corps étranger est l’un des rares films arabes à aborder la question de l’émigration clandestine féminine et là est son principal mérite. Toutefois, il est parsemé d’invraisemblances qui peuvent parfois gêner le spectateur, et de personnages secondaires dont le rôle relève de l’angélisme. Le film mérite malgré tout d’être vu. Circulez, il y a bien des choses à voir .
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