Appel d’urgence adressé au président de la République, avis officiel au procureur général et procès intenté auprès de la Cour administrative. Tous avaient le même but : stopper l’abus contre les antiquités égyptiennes. Un groupe d’intellectuels égyptiens a, en effet, formé une campagne communautaire de préservation du patrimoine après que le ministère des Antiquités eut annoncé qu’il avait autorisé l’envoi de quelques pièces de la collection du roi Toutankhamon aux Etats-Unis pour une tournée de plusieurs mois en 2018, et au-delà, à compter de ce mois de mars.
Bien que deux autres expositions commencent en même temps, l’une jusqu’en septembre 2018, également aux Etats-Unis, et l’autre jusqu’en juillet 2018, au Canada, c’est celle incluant la rare collection du jeune roi qui est la plus discutée. Discutée depuis le mois de décembre, l’affaire n’a réellement éclaté qu’en février, suite aux déclarations du ministre des Antiquités, Khaled Al-Anani, relatives aux accords signés pour le déplacement des trésors égyptiens. Depuis, la polémique fait rage. « Les règles du débat restent respectées tant que la polémique demeure en faveur des antiquités et du patrimoine », a expliqué le ministre lors d’une conférence de presse qui a eu lieu samedi 17 mars. Il assure que son ministère a respecté la loi et toutes les procédures officielles avant la sortie de la moindre pièce antique.
En effet, l’article 117 de la loi de 1983 soumet à des conditions précises l’organisation d’expositions d’antiquités égyptiennes à l’étranger : seuls des organismes d’Etat ou relevant d’institutions internationales peuvent solliciter une exposition. « En violation de la loi, le ministre des Antiquités a dépassé ses autorités et a approuvé personnellement la sortie de ces trésors. C’est un crime contre les antiquités », s’était indigné Ragaï Attiya, intellectuel et avocat, dans un long article publié dans le journal Al-Watan au début du mois de mars. Le ministre a répondu qu’il avait respecté les règlements et la loi en discutant cette affaire depuis juin 2016 et via la publication des accords dans le journal officiel, après l’approbation par le premier ministre, le Comité permanent des antiquités et le parlement.
« Nous avons pris une décision courageuse et nous l’avons prise conformément à la loi de 1983. Le groupe judiciaire et technique du ministère a beaucoup modifié les articles du contrat, afin d’assurer les pièces antiques sortant et de réaliser le maximum de bénéfices pour l’Egypte », a-t-il dit.
Il a par ailleurs indiqué que l’organisateur de l’exposition sur Toutankhamon avait demandé des pièces uniques, telles le célèbre masque du roi et son sarcophage doré, ce que le Comité permanent avait refusé. Les objets en question ont été remplacés par des pièces existant en plusieurs exemplaires. « Ces négociations ont duré plus d’un an et notre premier objectif était la sécurité de nos trésors », a expliqué le ministre. Or, l’affaire est loin d’être réglée, surtout avec le procès intenté auprès de la Cour administrative.
Le groupe d’intellectuels est d’avis que le sort des expositions qui viennent de débuter sera le même que celui de l’exposition de Cléopâtre, organisée aux Etats-Unis en 2012, et qui avait été stoppée avant la fin suite à un procès intenté auprès d’un tribunal américain.
« L’affaire est complètement différente », indique Elham Salah, chef du secteur des musées. « En 2012, le pays était instable politiquement et le ministère n’a pas pu se défendre, alors nous avons accepté la décision judiciaire. Mais cette fois-ci, nous avons tout étudié et pris toutes sortes de garanties relatives à la sécurité, et à la sûreté des pièces antiques », précise-t-elle.
Des craintes de destruction, de falsification des pièces ou encore de vol avaient conduit l’égyptologue Monica Hanna, à la tête du groupe d’intellectuels, à s’opposer au ministère concernant la sortie des antiquités, ce qui a conduit à son tour l’ancien ministre des Antiquités et l’actuel conseiller du ministre, Zahi Hawas, à accuser Hanna, ainsi que tous les membres du groupe, d’ignorance. « Ils cherchent seulement à faire une propagande en parlant aux médias et sur les réseaux sociaux », indique-t-il.
Relancer le tourisme
« Le déplacement de ces trésors reflète la stabilité sécuritaire qui règne en Egypte et contribuera à attirer de plus en plus de touristes en Egypte pour les admirer dans leur contexte d’origine », a indiqué Al-Anani.
Il assure qu’un groupe de spécialistes de la faculté d’ingénierie a créé un système de numérisation et de documentation très moderne, appliqué aux pièces antiques de Toutankhamon avant leur voyage. Al-Anani, qui prône une stratégie basée sur l’exploitation des sites historiques et des antiquités, surtout étant donné le manque de ressources financières de son ministère, examine actuellement une nouvelle demande d’exposition en Belgique, ainsi que deux autres dans des pays arabes, sans prendre en considération les accusations, convaincu que c’est le seul moyen de relancer le tourisme. « Le nom de l’Egypte figure actuellement dans tous les journaux et médias américains et canadiens grâce à ces trois expositions. Cette campagne publicitaire gratuite pour l’Egypte durera encore des mois jusqu’à la fin des expositions », assure-t-il.
En attendant la reprise touristique, Hawas prône, lui aussi, l’augmentation du nombre d’expositions à l’étranger. « Pourquoi garder Toutankhamon au Musée du Caire dans un coin sombre ? Toutankhamon peut rapporter de l’argent. En le prêtant à d’autres pays, on pourrait payer les salaires des employés du ministère facilement », estime-t-il. Ossama Al-Nahas, responsable des trésors engloutis d’Alexandrie, exposition qui a terminé il y a quelques mois sa tournée européenne pour s’installer actuellement aux Etats-Unis, tente, lui aussi, de calmer les esprits. « Les aspects relatifs à l’emballage ainsi qu’à l’assurance et au transport ont fait de grands progrès. Des avions et des cargos spéciaux et des compagnies spécialisées interviennent », explique-t-il, tout en assurant que la moindre faute coûtera cher à ces derniers.
Pour sa part, Elham Salah souligne l’importance de la présence d’un archéologue et conservateur du ministère, qui accompagne les pièces antiques pendant toute la durée de l’exposition. « Son rôle est de les surveiller lors de leur long voyage et de les inspecter à leur arrivée et pendant l’exposition », indique-t-elle, précisant qu’un comité de différentes personnes est chargé de poursuivre ce travail, notamment au retour des pièces antiques.
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