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Maman, et encore enfant

Chahinaz Gheith, Mardi, 20 mars 2018

Entre celles, encore jeunes, qui choisissent de faire un enfant, et celles forcées au mariage et à la maternité précoce, devenir mère à un jeune âge n'est pas une chose facile. Témoignages de petites mamans aux parcours différents brutalement plongées dans le monde des adultes.

Maman, et encore enfant

Affalée sur une table dans un amphithéâtre, Dalia semble avoir l’esprit ailleurs. « J’ai un petit monstre à la maison. Il m’en fait voir de toutes les couleurs, alors ici, dès qu’il y a un moment de pause, j’en profite pour me reposer », dit-elle, l’air bien fatigué. Agée de 20 ans et mère d’un petit garçon de 14 mois, Dalia est en 3e année universitaire. Sa maternité précoce ne l’empêche pas d’assister aux cours, car pour elle, il n’était pas question d’arrêter les études. « Cette grossesse n’était pas programmée, mais quand j’ai découvert que j’étais enceinte, je n’ai pas été mécontente. Bien au contraire, j’étais heureuse. Je n’ai commencé à paniquer qu’à la première échographie, il s’est produit un déclic en voyant mon bébé bouger dans mon ventre », poursuit Dalia. « Dès lors, j’ai commencé à me poser des questions, surtout sur la façon de gérer l’arrivée d’un bébé et de concilier cela avec les études », annonce-t-elle. Elle a calculé le nombre de mois qu’il lui restait pour savoir si elle aurait suffisamment le temps pour passer ses examens. Première décision : se contenter des trois mois de maternité en guise de repos. « Je me suis dit que si je restais plus longtemps à la maison, je ne reprendrais jamais mes études. Je ne voulais pas que mon bébé soit un frein à mes ambitions », précise-t-elle.

C’est donc le défi au quotidien pour Dalia qui doit faire rimer biberons et cours universitaires. Assumer ses responsabilités de mère et d’étudiante ce n’est pas facile bien qu’elle soit aidée par sa mère. Dès le matin, c’est un timing d’enfer : réveil à 6h. Biberon à 7h. Puis se rendre chez sa mère pour qu’elle garde l’enfant. Le moment bizarre c’est lorsqu’elle remplace son masque de maman par celui d’étudiante. Elle se retrouve avec ses copines qui n’ont pas du tout le même genre de soucis qu’elle !

Dalia dit qu’en cours, elle est très attentive, car elle ne sait pas si elle aura suffisamment de temps à la maison pour les révisions. Elle essaye de s’organiser en préparant un emploi du temps chaque semaine selon ses révisions et n’ouvre ses cahiers que lorsque son bébé dort. Son mari l’aide dans les tâches ménagères, mais c’est elle qui en assume la majeure partie. « Mon mari essaye de m’aider, et quand il peut me décharger d’une corvée, il n’hésite pas à le faire. Le problème est qu’il a énormément de travail, donc, j’essaye tant bien que mal de m’organiser sans trop le solliciter, mais c’est souvent bien dur », dit-elle. Une rude épreuve que la jeune maman a réussie à surmonter, puisqu’elle a été classée parmi les premiers de sa promotion. « Quand on est sous pression, on est souvent plus efficace. Lors de ma grossesse, j’ai averti mes professeurs qui ont été compréhensibles. Ils m’ont rassurée en expliquant que, même si je prenais un congé de maternité, je serais capable de passer mes examens », explique-t-elle, tout en ajoutant qu’elle est la seule à avoir un bébé à la fac.

Son statut de mère ne l’a pas empêchée non plus d’avoir des amies. Toutes l’ont beaucoup aidée. « J’ai eu beaucoup de chance. Une copine de classe m’envoyait au fur et à mesure les cours, m’en faisait les résumés et me transmettait les polycopiés. Si elle n’avait pas été là, je pense que j’aurais lâché mes études », témoigne l’étudiante qui a dû parfois braver le regard de ses amies. « Même si elles sont au courant, elles ne savent pas ce que c’est. C’est une fatigue morale et physique, j’en pleurais ». Et ce décalage qui se crée, naturellement, avec des camarades davantage préoccupées par leur prochaine soirée que par le repas à donner à un bébé.

Cependant, cette mère étudiante est persuadée que la motivation et la volonté sont les moteurs pour réussir, braver le défi. Au cours de sa grossesse, son entourage l’a beaucoup découragée, elle a souvent entendu : Tu ne pourras jamais retourner à la fac, tu dois rester à la maison. Du coup, lorsqu’elle a validé sa deuxième année de lettres, elle a ressenti une grande joie et beaucoup de fierté. Elle a prouvé aux autres, mais aussi à elle-même, que l’on peut réussir ses études tout en élevant un enfant. « Même lorsque mon bébé occupe tout mon esprit, c’est important de se dire que ce n’est pas impossible, juste difficile. Car malgré toutes les difficultés, c’est une grande joie d’être maman », dit Dalia, qui ne veut pas entendre parler d’un second enfant avant d’avoir fini ses études.

Mais si Dalia a réussi à assumer le tout, Noha a échoué. A peine son bac terminé, elle s’est pressée de se marier. Et comme sa propre mère à l’époque, Noha est tombée enceinte à 17 ans. Un scénario à répétition d’une génération à l’autre à laquelle Noha n’a pas échappé. Car dans sa famille, mère et grand-mère se partageaient la fonction de mère. Noha ne cache pas sa haine pour les études. « J’avais envie de vivre comme les grands, pas d’étudier. Moi, j’étais prête à être maman à l’âge de 14 ans. Alors pourquoi dois-je attendre d’avoir 20 ou 30 ans ? Je sentais instinctivement que je serais une bonne mère et que l’âge n’avait pas d’importance. Quand tu es prête, tu es prête et c’est tout », souligne-t-elle. Petite, elle jalousait déjà les femmes enceintes. Cette envie de leur ressembler est devenue plus forte après le divorce de ses parents. Elle se disait qu’un enfant ne la quitterait jamais. « Etre mère, c’est la plus belle chose au monde », poursuit Noha, qui a arrêté ses études et n’a aucun regret. Aujourd’hui, elle a 21 ans et deux enfants, et elle est la plus jeune maman à l’école de son fils.

Des rôles qui se confondent

C’est donc l’instinct maternel qui prend le dessus, semble-t-il. « Les fillettes imitent leur maman. Petites, elles commencent par jouer ce rôle avec leurs poupées », explique le psychiatre Mohamad Abdallah. « Mais en mettant au monde un enfant à un jeune âge, on brûle les étapes, on devient mère avant de devenir adulte, on ne vit pas l’adolescence, et ça, ça peut causer des problèmes », dit le psy.

Autre risque, celui de ne pas assumer sa maternité de manière équilibrée. Dans la plupart des cas, ces jeunes mamans livrent leur enfant à leurs propres mères, elles-mêmes assez jeunes pour élever. « C’est un vrai danger, en assumant les fonctions de mère, la grand-mère s’accapare le bébé. Du coup, la jeune maman ne sait pas se comporter en tant que mère de cet enfant, ou soeur. C’est une confusion totale, et pour l’enfant aussi », analyse-t-il.

C’est justement ce qui s’est passé avec Noha. Trop jeune pour être grand-mère, elle lui a presque piqué son rôle. Mère et grand-mère se confondent. Et comme Noha est obligée de faire garder son enfant par sa mère, celle-ci s’empare du rôle totalement, au point de sermonner sans cesse sa fille. « Ce bébé n’est pas une poupée, il faut que tu prennes soin de lui. Qu’est-ce que tu attends pour lui donner son bain ? Regarde, son nez coule … Il tousse ! La bronchiolite, ça te dit quelque chose ? Ces phrases, ma mère ne cesse de me les répéter. Je sais qu’elle croit bien faire, mais j’ai parfois l’impression d’être la grande soeur de mon fils », explique Nohaز

40 % des nouvelles mariées ont moins de 18 ans

Maman, et encore enfant

Pourtant, cette confusion dans les rôles n’est rien par rapport à ce que subissent les femmes devenues très tôt mères sans le vouloir. C’est là que le bât blesse. Elles sont plusieurs centaines chaque année à devenir mères, alors qu’elles sont encore des adolescentes. Elles voient leur droit à l’enfance et à l’éducation volé, et leurs perspectives d’avenir et d’évolution limitées. Selon les dernières statistiques du CAPMAS, 68 % des Egyptiens sont mariés. 40 % des filles mariées ont moins de 18 ans. 80 % des femmes de moins de 16 ans risquent la mort durant l’accouchement. Et ce n’est pas la seule menace. Pour Moustapha Assem, gynécologue, le corps de la jeune femme n’étant pas prêt à porter un enfant à un âge si jeune, le risque de faire une fausse couche est plus grand. Un prix cher à payer. « Nous sommes confrontés à un problème-clé. Si la grossesse précoce est le résultat d’un choix délibéré pour certaines adolescentes, il s’avère être une violation des droits pour d’autres qui, mariées de force à un très jeune âge, sont privées d’accès à des soins de santé et à l’éducation », souligne la sociologue Nadia Radwan, tout en ajoutant que la pression des parents, la pauvreté et le fait de se libérer d’une bouche en trop à nourrir expliquent ces mariages forcés. Pour les petites gens, marier sa fille jeune, ce n’est pas seulement se libérer d’un fardeau, mais aussi sécuriser son avenir. « Le mariage est une protection pour la fille », « l’ombre d’un homme vaut mieux que celle d’un mur », « il vaut mieux se marier tôt avant que le train ne passe », etc. sont les stéréotypes qui encouragent les parents à marier leurs filles très tôt. De plus, l’accès limité à une éducation de qualité et la priorité donnée à l’éducation des garçons plutôt qu’aux filles contribuent à perpétuer cette pratique, surtout en Haute-Egypte où l’on ne badine pas avec la tradition et les coutumes. Par ailleurs, bon nombre d’hommes préfèrent épouser une fille très jeune. Le mari, qui dépasse son épouse en âge et en expérience, représente pour cette dernière un modèle à suivre et un tuteur auquel elle se doit d’obéir.

Tel est cas de Doaa qui avait 14 ans lorsque ses parents l’ont retirée de l’école. Conformément aux moeurs de son village situé dans le gouvernorat de Sohag, elle attendait le mariage, et à 15 ans, c’était chose faite. « J’étais très malheureuse, car mes parents m’avaient forcée à épouser un riche commerçant qui me dépasse d’une trentaine d’années. J’étais sa seconde épouse et il avait deux filles de 10 et 12 ans, presque de mon âge. Mon père ne m’a même pas demandé mon avis. Il m’a tout juste informée qu’il allait me marier », commente Doaa. Et qui dit mariage forcé, dit maternité infantile. Car chez cette tranche sociale, il est impossible que les nouvelles mariées prennent des contraceptifs. Au contraire, on attend le bébé juste après le mariage. Et, après la pression sociale que la fille subit pour se marier, la jeune mariée en subit une autre. Dès les premiers mois, les questions fusent de toutes parts dans l’espoir d’entendre l’annonce d’une grossesse. « As-tu des vomissements ? », questionne la mère, « Ressens-tu des vertiges ? », demande la belle-mère. Toute la famille attend avec impatience une preuve de fertilité. « J’ai maintenant 16 ans et demi et j’ai un garçon de 4 mois. L’accouchement était laborieux. Je me sens toujours trop jeune pour être mère », poursuit Doaa qui ne parvient pas à dissimuler son côté enfantin. Lorsque son enfant dort et que les marmites sont sur le feu, elle profite de ces quelques heures de libre pour jouer avec ses voisines du même âge qu’elle devant la maison. Et bien que Doaa occupe une place importante, car elle est arrivée à perpétuer le nom de sa belle-famille avec l’arrivée de cet héritier tant convoité, elle sent toujours une grande tristesse. « Quand je vois les autres filles aller à l’école, j’ai l’impression d’avoir loupé quelque chose », réplique-t-elle.

Contrairement à Doaa, Rabab, originaire du Fayoum, a été moins chanceuse. On l’a forcée à se marier à l’âge de 15 ans. Quand les parents de Rabab ont divorcé, sa mère n’avait pas assez d’argent pour subvenir aux besoins de sa fille. Rabab a donc été obligée d’interrompre sa scolarité pour se marier. Son époux buvait et la battait souvent. Deux mois après son mariage, elle était enceinte. Malheureuse et vivant dans la peur constante de son mari, Rabab a fui chez sa mère. Bien que cette dernière n’ait pas été heureuse de la voir revenir, elle l’a autorisée à vivre chez elle, à l’abri des coups de son mari. Rabab a donné naissance à un petit garçon, qui a maintenant cinq mois. Son mari ne leur procure aucun soutien financier. Rabab, qui a maintenant 17 ans, travaille comme femme de ménage pour pouvoir nourrir son enfant. « Je ne souhaite à aucune jeune fille de subir les épreuves auxquelles j’ai dû faire face en tant que fillette mariée de force », conclut-elle.

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