Non sans grande surprise et pour la première fois depuis la décision historique de libéraliser les taux de change le 2 novembre 2016, le gouverneur de la Banque Centrale d’Egypte (BCE), Tareq Amer, et le Comité des politiques monétaires, réunis le 15 février, décident de baisser de 1 % les taux d’intérêt sur les dépôts et les crédits bancaires pour se chiffrer à 17,75 % et 18,75 % respectivement, contre 18,75 % et 19,75 %.
En réaction immédiate et pour s’aligner sur la décision du Comité des politiques monétaires, les deux plus grandes banques publiques Al-Ahly et Misr ont suspendu l’émission des certificats d’investissement platinium de 20 % d’intérêt. Ils ont été remplacés par deux autres certificats. L’un de platine d’une durée de 3 ans avec un taux d’intérêt de 15 % au lieu de 16 % et un autre d’une seule année avec un taux d’intérêt de 17 %. « La substitution des certificats d’investissement à 20 % par ceux à 17 % va économiser environ 250 milliards de L.E. annuellement », prévoit une source bancaire préférant l’anonymat à l’agence de presse MENA.
La baisse prudente et graduelle des taux d’intérêt avait été prévue dans les projections macroéconomiques de 2018 effectuées par les maisons de courtage Prime Securities et Pharos. La plupart des analystes ont salué l’initiative intervenue « à point nommé ». Noaman Khaled, économiste auprès de la banque d’investissement CI Capital, a déclaré à Reuters qu’une baisse additionnelle de 100 points, soit 1 %, est prévue au cours de la prochaine réunion du Comité des politiques monétaires en mars prochain.
D’autres comme Hany Farahat, économiste auprès de CI Capital, sont allés plus loin dans leurs projections et prévoient une baisse jusqu’à 4 % avant la fin de 2018. Mais la BCE a préféré attendre la poursuite de la baisse des taux d’inflation avant de prendre la décision de baisser les taux d’intérêt, a-t-il déclaré.Au lendemain du flottement de la livre égyptienne, le gouvernement et la BCE avaient pris la décision de hausser à 700 points les taux d’intérêt bancaires sur les dépôts et les crédits de manière graduelle à 3 reprises.
La première, en novembre 2016, a consisté à augmenter les taux sur les dépôts et les crédits de 3 % pour les fixer respectivement à 14,75 % et 15,75 %. La deuxième hausse a eu lieu en mai 2017, lorsqu’ils sont passés de 14,75 % à 16,75 % pour les dépôts et de 15,75 % à 17,75 % pour les crédits. Enfin, en juillet dernier, la BCE a fait une annonce surprise pour les milieux d’affaires en élevant les taux d’intérêt de 2 %. Les taux d’intérêt sur les dépôts sont alors passés de 16,75 % à 18,75 % et ceux des crédits de 17,75 à 19,75 %.
Inflation et autres facteurs
L’argument mis en avant par la BCE au moment de la hausse des taux d’intérêt était de contrer l’inflation. Dans son communiqué publié après la décision, la BCE explique que « la politique de resserrement monétaire est préventive et temporaire et vise à contrer les pressions inflationnistes ». Les taux d’inflation avaient atteint le taux sans précédent de 35 % du PIB en juillet dernier pour s’engager ensuite dans une courbe descendante. « La décision d’assouplissement monétaire est intervenue après la baisse de l’inflation qui s’est chiffrée à 14,4 % au mois de janvier 2018 », affirme le communiqué.
Cependant, même si la BCE avance que la hausse des taux d’intérêt a été au bénéfice des taux d’inflation, les économistes ont d’autres raisonnements. Toutefois, ils sont d’accord que cette hausse a impacté indirectement la chute de l’inflation.
Hany Farahat estime que les taux d’intérêt élevés ont été fixés pour protéger l’économie de la hausse des prix due à l’inflation, et pour que le marché absorbe les liquidités en monnaie égyptienne. Alors que Amr Adly, professeur d’économie politique à l’Université américaine du Caire, avance d’autres arguments : « La BCE avait à mon avis pour objectif d’attirer de nouveaux créditeurs dans les bons de Trésor publics parce que cela se reflètera sur le long terme sur les services de la dette, et par conséquent, le ratio de la dette du PIB, ainsi que sur le déficit budgétaire. Bloomberg estime que cette mesure a permis d’attirer 20 milliards de L.E. dans les titres de créances en monnaie locale. Les prévisions de Prime Securities pour 2018 disaient que les taux d’intérêt déclineraient pour combler le déficit budgétaire qui est de 9,1 % du PIB », affirme Adly.
Et d’ajouter : « La hausse des intérêts avait pour but de financer le déficit budgétaire et de résister à la dollarisation parce que la priorité était la stabilisation des taux de change. La baisse actuelle des taux d’inflation est psychologique à cause des prévisions sur leur baisse potentielle, la régression du pouvoir d’achat et l’excédent réalisé au niveau de la balance des paiements vu la baisse de la facture des importations de 9 milliards de L.E. ».
Redynamiser le marché
Noaman Khaled a déclaré à Reuters que la réduction de 1 % des taux d’intérêt viserait, d’une part, à signaler aux investisseurs qu’un assouplissement des politiques monétaires est en cours, et d’autre part, à redynamiser le marché, et ce, pour atteindre les objectifs escomptés de la croissance, soit 4,5 % du PIB, tel qu’énoncé dans les rapports de projections de 2018 de Prime Securities et de Pharos. « Il était vital de procéder à cette baisse parce que les taux d’intérêt élevés donnent lieu à une économie non productive, et un déficit de la balance commerciale, ce qui ne peut pas continuer dans un marché libre », commente Adly.
La hausse des taux d’intérêt sur les crédits bancaires est certes une étape qui vise à dépasser la phase actuelle de stabilisation économique. Les nouvelles législations comme la loi de l’investissement, des licences industrielles, des banques et de la faillite, doivent entrer en vigueur afin d’atteindre le taux de croissance espéré de 4,5 % du PIB. « Je crains que les mesures de stabilisation de l’économie n’engendrent une récession, ce qui nous plongera à nouveau dans la spirale des importations. Les problèmes de l’économie égyptienne sont structurels et le remède aux déséquilibres financiers ne se fera qu’à travers les exportations et le recours à des composants locaux dans la production », ajoute Adly.
Avec la découverte de nouveaux gisements de pétrole et de gaz et l’entrée en fonction du gisement de gaz Zohr en 2018, les opportunités sont grandes. « Nous sommes un pays producteur de gaz brut et de pétrole brut. Nous pouvons nous lancer dans l’industrie pétrochimique, qui n’a pas besoin de technologie coûteuse ou sophistiquée, et qui, à elle seule, représente 15 % du total des recettes des exportations », explique Adly.
En fin de compte, la décision du Comité des politiques monétaires a été audacieuse, car elle intervient dans le tumulte des préoccupations mondiales sur l’impact que peut avoir la hausse des taux d’intérêt américains sur les marchés émergents. La baisse de l’inflation à un seul chiffre au lieu de 3 en juillet dernier est une bonne performance. Cette baisse permettra de faire un équilibre entre les risques globaux et les réalités domestiques. « Le contexte global qui a persisté au cours des dernières semaines impose aux gouverneurs des banques de repenser à la baisse des taux », a déclaré à Bloomberg Matthew Graves, expert auprès de Western Asset basé en Californie.
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