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L’opposition égyptienne cherche son chemin

Tuesday 21 mai 2013

L’opposition libérale en Egypte peine à profiter de la chute de la popularité des Frères musulmans et de son bras politique, Parti Liberté et Justice (PLJ), au pouvoir depuis l’élection du président Mohamad Morsi en juin. Un récent sondage d’opinion effectué par le centre égyptien pour la recherche sur l’opinion publique, Baseera, montre que le soutien au chef d’Etat, issu de la confrérie, a baissé à 46 % en fin avril contre 78 % après ses cent premiers jours en fonction. Le sondage indique en revanche que le soutien à l’opposition séculière, réunie sous la bannière du Front National du Salut (FNS), a augmenté d’à peine 3 % à 33 % contre 30 % en mars. Le centre de recherches américain Pew a, de son côté, publié le 16 mai les résultats d’un sondage d’opinion effectué en mars indiquant également la baisse des avis favorables aux Frères musulmans à 63 %, en comparaison avec 75 % en 2011. Le PLJ a reçu 52 % d’avis favorables contre 44 % d’avis défavorables. Par contre, le FNS a obtenu 45 % d’avis favorables contre 52 % d’avis défavorables.

Cette incapacité à transformer la désaffection populaire à l’égard des Frères musulmans en un soutien accru met en évidence les carences structurelles du FNS qui l’empêchent d’élargir son audience auprès de l’électorat pour constituer une alternative crédible à la confrérie. En conséquence, le FNS et ses parties constitutives comptent davantage sur des actes de protestation en tous genres que sur l’action politique, pour gagner en visibilité et en popularité. Le dernier acte en a été l’organisation de manifestations, avec une faible participation, contre le président Morsi et la confrérie vendredi dernier. Plus important est la participation accrue des parties du FNS à la campagne Tamarrod (rébellion) qui vise à retirer la confiance de la population au président Morsi et à réclamer la tenue d’élection présidentielle anticipée. Lancée le 1er mai par des membres du mouvement Kéfaya (assez), la campagne Tamarrod a assuré dimanche avoir réuni plus de 3 millions de signatures de citoyens, le but étant de collecter 15 millions de signatures — dépassant les 13,2 millions de voix obtenues par Morsi à la présidentielle — avant le 30 juin, date du premier anniversaire de l’investiture du chef d’Etat. Devant ce présumé succès de Tamarrod, les principaux éléments constitutifs du FNS, qui ont souvent souligné ne pas vouloir contester la légitimité du président élu qu’à travers les urnes, l’ont rejoint les uns après les autres, notamment le Courant populaire égyptien de Hamdine Sabbahi, le parti Al-Dostour de Mohamed ElBaradei et le parti Wafd de Sayed Al-Badawi.

L’opposition libérale paraît ainsi souvent menée et/ou dépassée par la rue et la multitude de groupes révolutionnaires et protestataires que le contraire. Plus significatif, le FNS doit souvent son unité — de surcroît fragile — aux erreurs colossales commises par le pouvoir politique, qu’à la perception de la nécessité de présenter, en ces temps difficiles de transition démocratique chaotique, un front commun d’opposition et une alternative crédible aux Frères musulmans. Déjà le FNS, un ensemble hétéroclite de formations et de personnalités politiques de droite et de gauche, doit sa création à l’erreur monumentale de la déclaration constitutionnelle du 22 novembre, par laquelle le président s’était attribué — avant de se rétracter plus tard — des pouvoirs absolus au-dessus de tout contrôle judiciaire. Plus récemment, l’offensive des Frères musulmans contre le pouvoir judiciaire a encore une fois revigoré l’opposition libérale.

Les analystes s’accordent à dire que la confrérie pourrait aisément semer la discorde, voire faire voler en éclats l’unité du FNS, si elle décide de faire quelques concessions en direction de l’opposition qui ne changeraient pas fondamentalement sa domination de la scène politique. Bien au contraire, elles renforceraient à long terme sa mainmise sur le pouvoir, en fragilisant l’opposition, y compris celle des salafistes. Mais rien n’indique pour le moment que les Frères musulmans sont disposés à le faire. Cette hypothèse s’explique par le fait que l’unité du FNS est entièrement fondée sur son opposition aux Frères musulmans. A part leur soutien à un Etat civil, peu unit les composantes du FNS sur les plans idéologique, économique et politique. Alors que certains, comme le Wafd, sont des tenants de l’économie de marché, d’autres, tel le Courant populaire égyptien, sont des défenseurs d’un socialisme adapté à l’époque de la mondialisation. Et tandis que certains cherchent, en politique étrangère, à maintenir une forte alliance avec les Etats-Unis et l’Occident en général, d’autres dénoncent l’impérialisme américain et occidental, et prônent un renforcement des liens avec les pays émergents du Sud. Ainsi, même si les membres du FNS sont d’accord sur les principaux objectifs du soulèvement populaire qui a renversé le régime de Moubarak en février 2011, telles la démocratie et la justice sociale, ils divergent sur les moyens d’atteindre ces buts. Le FNS est également miné par des rivalités entre ses principaux dirigeants.

Beaucoup a été dit sur les handicaps structurels de l’opposition libérale et séculière face aux forces islamistes, Frères musulmans et salafistes. Tenant un discours élitiste centré sur les grandes villes et les zones urbaines, et négligeant les campagnes et les régions déshéritées, les libéraux sont de tout temps restés déconnectés des masses populaires égyptiennes, dont 40 % vivent en dessous du seuil de pauvreté avec moins de 2 dollars par jour et 30 % sont analphabètes. Des réalités mieux prises en compte par les courants islamistes qui, grâce à de larges réseaux caritatifs en action depuis des décennies, ont pu atteindre des couches sociales déshéritées d’habitude apolitiques. Autre atout majeur du courant religieux : l’usage de l’islam, dans une société majoritairement musulmane (90 % de la population), profondément religieuse et conservatrice. Face à ces deux avantages, les libéraux semblent désarmés. D’abord, ils manquent de moyens financiers et sont loin de pouvoir rivaliser avec les islamistes sur le plan des services sociaux. Ensuite, ils n’arrivent pas à élaborer cette formule magique qui leur permet de ne pas apparaître aux yeux de beaucoup d’Egyptiens, conformément à la propagande islamiste, comme hostiles à la religion.

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