« Parce que la sécurité n’est toujours pas revenue, parce que le pauvre n’a toujours pas de place, parce qu’il n’y a pas de dignité pour moi et mon pays (...), nous ne voulons plus de toi », lit-on dans le formulaire d’une pétition qui s’adresse au président de la République. Un document qui, selon les organisateurs de cette pétition, a été signé par plus de 2 millions de citoyens qui exigent le départ du président Morsi.
Il y a 2 semaines, des opposants au président Morsi avaient lancé la campagne Tamarrod (rébellion), pour réclamer le départ de Morsi et exiger une élection présidentielle anticipée. Cette campagne indépendante a été lancée le 1er mai sur la place Tahrir au centre du Caire, dans le but de réunir 15 millions de signatures, soit un nombre supérieur aux quelque 13 millions de votes qu’a recueillis le président Morsi lors de la présidentielle de 2012. « La campagne a été lancée parce que le président n’est plus capable de gérer les affaires du pays », dit Mahmoud Badr, porte-parole de la campagne. « Nous avons réuni plus de 2 millions de signatures pour retirer la confiance au président en 10 jours seulement, ce qui prouve que les gens souffrent de la situation économique », a-t-il ajouté. « En introduisant le peuple dans l’équation politique, cette campagne aura ouvert la voie à un moyen pacifique et démocratique pour le changement », s’enthousiasme encore Mahmoud Badr.
La campagne appelle à manifester devant le palais présidentiel le 30 juin, date qui marquera le premier anniversaire de l’entrée en fonctions du président Morsi. Le Parti Liberté et Justice (PLJ) du président met en doute les chiffres avancés par les organisateurs de la campagne. « Le seul mécanisme démocratique reconnu est l’urne. Et il faut que tout le monde respecte les résultats des urnes quels qu’ils soient », affirme Ahmad Rami, un porte-parole du PLJ. La campagne ne doit cependant pas sa force à ses 7 000 membres, en fait, dès son lancement, elle a obtenu le soutien des diverses formations politiques et populaires. Le Front national du salut, une ombrelle qui regroupe une vingtaine de partis de l’opposition, a affirmé seconder Tamarrod. « C’est un mouvement pacifique qui reflète la grogne populaire face aux politiques du régime en place », estime Essam Chiha, membre du haut comité du parti libéral néo-Wafd. Ce parti a décidé de mettre ses 190 bureaux à travers l’Egypte à la disposition de la campagne. « Le parti a enjoint ses jeunes membres d'aider dans l’impression des pétitions et la collecte des signatures », dit Chiha.
Le parti Egyptien social-démocrate a pris la même initiative en adoptant la campagne et en utilisant ses bureaux pour contribuer à sa réussite.
L’ancien secrétaire général de la Ligue arabe et actuel président du parti du Congrès, Amr Moussa, a affiché son soutien à la campagne qu’il a qualifiée de « sonnette d’alarme à l’intention du régime ».
Les mouvements de protestation, comme celui du 6 Avril, n’étaient pas moins enthousiastes que les partis politiques. « Les membres du 6 Avril ont été les premiers à évoquer l’idée de retirer la confiance au président. Ce fut il y a un mois et demi, mais c’est le lancement de Tamarrod qui nous a encouragés à passer à l’acte », affirme Tareq Al-Kholi, coordinateur du 6 Avril.
Le succès médiatique et populaire de Tamarrod a incité des islamistes favorables au président Morsi à lancer leur propre campagne baptisée Tagarrod, un mot à la connotation humble suggérant le refus de tout intérêt personnel. C’est le parti de la Construction et du développement de la Gamaa islamiya qui a lancé cette « anti-campagne », avec le Front salafiste et des membres du mouvement Hazemoune. Ils ont adopté la même stratégie de collecte de signatures, mais cette fois-ci pour soutenir le président.
De leur côté, les membres du parti des Frères musulmans, le PLJ, ont adopté une réaction mesurée tout en minimisant l’impact de la campagne de contestation. « L’idée de Tamarrod est positive. Au lieu de recourir aux cocktails Molotov et de barrer les routes avec des manifestations et des sit-in, il s’agit de collecter des signatures à travers un contact direct avec la population », reconnaît le sénateur Gamal Héchmat, également cadre du PLJ. « Cela dit, il faut aussi souligner la futilité d’une telle démarche. Celle-ci manque de logique et de légitimité », s’empresse-t-il d’ajouter.
En effet, beaucoup se sont penchés sur la légitimité de Tamarrod pour savoir si les signatures suffisent pour déloger un président élu.
« D’un point de vue légal, la collecte des signatures pour faire chuter un président n’est pas un moyen reconnu par la Constitution égyptienne. Cela n’est possible qu’en cas de haute trahison, et nécessite l’aval des deux tiers du Parlement », explique Hafez Abou-Seada, président de l’Organisation égyptienne des droits de l’homme. « Au niveau moral cependant, la campagne peut s’avérer efficace, parce qu’avec 15 millions de contestataires, le président se doit de se retirer de la vie politique », estime-t-il.
Sur la même longueur d’onde, Tareq Al-Kholi du 6 Avril avoue que Tamarrod pourrait ne pas avoir d’effet légal, « n’empêche que c’est le début d’une mobilisation populaire qui pourrait déboucher sur une nouvelle révolution ». Il se base sur le mécontentement populaire qu’il a découvert en abordant les simples citoyens : « Les gens se rassemblaient autour de nous pour arracher les formulaires et en prendre pour leurs familles et voisins ». Il rappelle également que plusieurs membres de la campagne ont été brièvement arrêtés au gouvernorat de Sohag, en Haute Egypte, pour montrer qu’ils sont pris au sérieux.
Essam Chiha du néo-Wafd mise aussi sur le poids moral de la campagne. « Le président ne pourra plus prétendre représenter le peuple lors des négociations avec les autres chefs d’Etat et les institutions internationales. Je ne crois pas que le Fonds Monétaire International (FMI) puisse prendre le risque de traiter avec un gouvernement qui ne bénéficie pas de la confiance de son peuple », dit-il, en référence aux négociations avec le FMI pour l’obtention d’un prêt crucial afin de relancer l’économie égyptienne.
Par hostilité au régime islamiste ou grâce à leur prouesse juridique, certains juristes sont parvenus à trouver des fondements légaux à Tamarrod. C’est le cas de Ragaï Attiya, lequel estime que la Constitution et la loi ne sont rien d’autre que l’expression de la volonté du peuple. « Le président est un fonctionnaire nommé par le peuple, et les lois sont là pour servir le peuple. Quel président peut-il rester insensible à son rejet par 15 millions de citoyens ? », se demande Attiya .
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