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Double menace terroriste en Afghanistan

Maha Al-Cherbini avec agences, Lundi, 05 février 2018

Un sommet régional sur la lutte antiterroriste doit se tenir ce mois-ci à Kaboul. Il intervient alors que l'Afghanistan fait face à une surenchère terroriste signée tantôt les Talibans, tantôt Daech.

Double menace terroriste en Afghanistan
Les attentats terroristes ont fait 150 morts et 265 blessés en Afghanistan lors du mois de janvier. (Photo:AP)

Depuis le début de l’année, l’Afghanistan est la cible d’une recrudescence des actes terroristes, dans une sorte de surenchère entre les Talibans et Daech, avec notamment 4 attaques qui ont fait 150 morts et 265 blessés en une semaine, fin janvier. Face à cet état des lieux et de peur que ce pays ne se transforme en un repaire de terrorisme international, un sommet régional doit se tenir ce mois-ci à Kaboul sous le nom « Initiative de paix lancée par le gouvernement afghan en juin 2017 ». L’objectif est de trouver un consensus régional et international visant à mettre fin à cette vague de terrorisme islamiste via un dialogue politique avec les Talibans et les autres groupes rebelles. Or, en juin dernier, le pouvoir afghan avait tenu un sommet similaire à Kaboul en présence d’une vingtaine de pays sans aboutir à un résultat tangible, et le sommet ressemblait plus à un rendez-vous « symbolique », une manière pour Kaboul de s’assurer du soutien de la communauté internationale face au terrorisme. D’où la question de savoir si le prochain sommet sera plus rentable. Selon Dr Hicham Mourad, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, le prochain sommet n’a pas beaucoup de chance d’aboutir à cause de deux facteurs. Le premier est la migration des djihadistes de Daech vers l’Afghanistan après sa défaite en Iraq et en Syrie, de quoi aggraver la menace terroriste dans le pays. « Tous les experts internationaux s’attendent à ce que ces djihadistes migrent en 2018 vers la terre du djihad, l’Afghanistan, car la défaite militaire de Daech au Moyen-Orient ne signifie pas la fin de son idéologie. Et qu’il garde encore beaucoup d’armes », affirme l’expert. Selon le gouvernement afghan en effet, plus de 250 combattants ont rejoint les rangs de Daech dans le nord de l’Afghanistan ces deux derniers mois.

Principalement présents dans la région de Nangarhar (est) depuis fin 2015, les djihadistes ont étendu leurs réseaux à Kaboul et y ont revendiqué une vingtaine d’attaques depuis l’été 2016, avec un pic enregistré fin janvier.

Autre facteur à compromettre d’avance la réunion de Kaboul : la montée en puissance des Talibans devenus trop forts pour être défaits par les troupes afghanes— faibles et sous-équipées— ou même par les forces de l’Otan qui, même avec 140000 hommes sur le terrain au plus fort de l’intervention étrangère en 2011, n’ont pas réussi à les anéantir. Avec le début 2018, les Talibans ont gagné du terrain, contrôlant désormais plus de 40 % du pays, le territoire le plus vaste sous leur coupe depuis le début de l’intervention américaine en 2001.

Ces deux facteurs ont poussé le président américain, Donald Trump, à ordonner l’envoi de renforts américains en Afghanistan, portant de 8500 à 14 000 le nombre de soldats sur place. Or, cette augmentation exacerbe les rebelles opposés à toute existence étrangère dans leur pays. « Cette mesure sert d’argument aux Talibans qui recrutent plus facilement des hommes afin de multiplier leurs attentats contre les troupes étrangères », explique le politologue. Défiant Washington, les Talibans ont perpétré le 27 janvier une de leurs « pires attaques » sur Kaboul ces dernières années, lançant une ambulance bourrée d’explosifs en centre-ville, faisant plus de 100 morts et 235 blessés, la plupart civils. Une semaine plus tôt, ils avaient lancé un assaut de plus de 12 heures contre l’hôtel Intercontinental de Kaboul, faisant au moins 25 morts dont 15 étrangers.

Selon les experts, on s’attend désormais à la pire « offensive de printemps », voire la plus sanglante de la part des insurgés plus inébranlables que jamais.

A la lumière de ces évolutions sanglantes, le président américain a exclu cette semaine toute discussion avec les Talibans « à ce stade », dénonçant leurs attaques contre « des innocents ». « On va ainsi vers un blocage de la situation politique. Les choses vont empirer tant que Washington s’oppose à un dialogue politique avec les Talibans. Le gouvernement afghan ne pourrait jamais conclure un accord avec les rebelles sans le consentement des Américains. Cette impasse politique compromettrait d’avance le sommet de Kaboul », prévoit le politologue.

Deux scénarios
« Désormais, deux scénarios sont à craindre, soit une coopération soit une concurrence entre Daech et les Talibans. Les deux étant pires l’un que l’autre. Une coopération est toujours possible car nous sommes face à deux mouvements qui ont la même stratégie basée sur l’extrémisme religieux et qui font face à un ennemi commun: les Etats-Unis. Cette coopération serait fatale. En cas de concurrence aussi, le pays vivrait ses jours les plus amers, car les Talibans vont de plus en plus se radicaliser et multiplier leurs frappes pour faire face à Daech », prévoit Dr Mourad.

Or, l’expérience a montré que la solution ne peut pas être uniquement militaire; 17 ans de présence étrangère n’ont en effet pas réussi à casser l’épine des rebelles. Il faut vite engager un processus politique crédible qui comprend Kaboul, Islamabad et les leaders talibans afin de sauver ce pays de devenir un « cimetière » au vrai sens du terme. Même si ce processus politique ne serait pas soutenu par Washington, il serait, en revanche, soutenu par Moscou et Pékin qui craignent une infiltration du terrorisme islamiste sur leurs territoires. Déjà, la Chine— désormais active diplomatiquement dans la région— a affirmé, samedi dernier, négocier avec l’Afghanistan de la construction d’une base militaire près de la frontière commune afin d’appuyer son fragile voisin et d'empêcher l’infiltration des terroristes chez elle. Fin décembre, Pékin avait aussi accueilli un premier sommet tripartite contre la menace terroriste avec le Pakistan et l’Afghanistan.

Le Pakistan pointé du doigt

En effet, outre la conjoncture afghane interne, le rôle du Pakistan est aussi primordial, notamment à cause du soutien présumé d’Islamabad aux Talibans. Exacerbé par la spirale de violence qui a frappé Kaboul la semaine dernière, le président afghan, Ashraf Ghani, a pointé la responsabilité du Pakistan. « Le centre des Talibans se trouve au Pakistan », a-t-il accusé, dépêchant le ministre afghan de l’Intérieur, Wais Barmak, et le chef des services de renseignements, Masoom Stanekzai, à Islamabad, pour avancer au gouvernement pakistanais les preuves montrant que ces récentes attaques ont été préparées au Pakistan. Selon Kaboul, Islamabad a préparé cette récente vague de violences comme riposte à la nouvelle stratégie américaine vis-à-vis du Pakistan. En effet, Donald Trump avait suspendu, il y a trois semaines, des centaines de millions de dollars d’assistance sécuritaire au Pakistan afin de l’obliger à arrêter son soutien aux Talibans. Un faux pas qui n’a fait qu’envenimer les relations entre Islamabad et Washington, de quoi servir aux terroristes. « L’arrêt de l’aide américaine ne fera que renforcer le terrorisme en Afghanistan car il va pousser Islamabad à relâcher sa pression sur les rebelles. Le Pakistan veut punir Washington en lui faisant comprendre que la suspension de son aide va renforcer l’épine des rebelles », explique Dr Mourad.

Pourtant, Islamabad tente de faire preuve de bonne volonté. Il a affirmé cette semaine qu’une délégation pakistanaise doit se rendre à Kaboul à la veille du sommet afin de réduire les tensions bilatérales, proposant à son voisin de faire une « enquête commune » pour arrêter les responsables de cette dernière vague d’attentats. Appelant à une coopération sincère entre les deux pays, le porte-parole du ministère pakistanais des Affaires étrangères a affirmé que son pays reste aussi proie aux attentats talibans. « Nous devons coopérer ensemble face à cette menace commune », a affirmé le responsable pakistanais, rajoutant que Kaboul doit encourager les rebelles à revenir à la table des négociations « pour entamer un processus politique crédible ». A cela s’ajoutent d’autres facteurs, dont la complicité et la corruption des services de sécurité afghans, la faiblesse du pouvoir afghan et des forces de sécurité et la géographie difficile du pays .

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