Al-Ahram Hebdo : Comment en est-on arrivé à une guerre civile, alors que tout a commencé par des manifestations pacifiques ?
Rim Turkmani : D’abord, il y a eu une révolte parfaitement justifiée, qui tient ses racines du sectarisme, des difficultés socio-économiques et de la répression. Puis, elle s’est transformée en guerre pour le pouvoir incluant des parties régionales. Ce qui se passe est le résultat du mélange de ces deux facteurs. Face à un tel scénario, lorsqu’on place des armes dans les mains de combattants, le conflit prend des proportions extrêmes. L’objectif de notre groupe est de faire en sorte que cette lutte continue, mais qu’elle se transforme en une lutte non violente.
— Mais au vu de la situation actuelle, pensez-vous qu’une lutte non violente soit encore possible ?
— Il ne faut pas oublier que tout a commencé par des manifestations pacifiques. Puis, le régime a commencé à utiliser des armes contre les manifestants, ceux-ci ont été obligés d’utiliser, eux aussi, des armes pour se défendre. Mais les choses se sont rapidement détériorées.
Nous avons désormais des acteurs régionaux qui exploitent la situation et encouragent les Syriens à s’entretuer. Certains de ces acteurs régionaux ont intérêt à promouvoir le sectarisme. Ils présentent le conflit comme opposant le sunnisme au chiisme.
Nous savons tous que l’Iran, le Qatar et l’Arabie saoudite sont les principaux acteurs régionaux du conflit. Le premier en soutenant le régime de Bachar et les deux derniers en s’y opposant. La Turquie est aussi un acteur-clé en Syrie à travers son soutien aux Frères musulmans, qui, eux, n’ont aucune présence réelle sur le terrain ou dans la société syrienne.
— C’est un sombre tableau et une situation complexe que vous présentez là …
— Je crois tout de même que Bachar Al-Assad va finir par partir, mais je ne pense pas que cela puisse arriver tant qu’il y a un conflit armé. En ce moment, il est en train de renforcer sa présence à travers la violence. Or, l’essentiel n’est pas de se débarrasser de Bachar en tant que personne, mais plutôt du régime dictatorial qu’il représente.
C’est pour cela que la fin des violences représente la clé pour de réelles transformations. Elles ne verront pas le jour tant qu’il y a un conflit armé qui se terminera par la victoire de telle ou telle partie.
Si le régime de Bachar sort victorieux, nous aurons une dictature, et si les combattants, armés par le Qatar et l’Arabie saoudite (entre autres), sortent vainqueurs, nous aurons aussi une dictature. Nous sommes aujourd’hui dans une logique à haut risque de « perdant-perdant ».
— Voyez-vous, dans la pratique, une alternative à un tel dénouement ?
— D’abord, nous devons donner la priorité à l’arrêt du carnage qui est en train d’avoir lieu. Sur le terrain, il n’y a ni vainqueur, ni vaincu. Et lorsqu’un conflit n’a pas de dénouement militaire possible, il doit être résolu par les voies politiques, autrement dit à travers des négociations.
Ce que nous proposons c’est que toutes les parties impliquées dans le conflit en plus des acteurs-clés de la société civile s’assoient autour d’une table de négociations. En juin 2012, on était parvenu à un consensus autour du Communiqué de Genève, un plan en 6 points sur la transition en Syrie qui prévoit, entre autres, la formation d’un gouvernement de coalition regroupant des membres de l’opposition, du régime et de la société civile. Le but principal : désarmer les combattants et ramener la paix dans le pays.
— Mais le Communiqué de Genève est resté lettre morte. Un cessez-le-feu est-il aujourd’hui possible ?
— Comme je vous l’ai dit, le conflit en Syrie est un conflit régional. Et pour cette raison, un cessez-le-feu doit être négocié sur le plan régional à travers des médiateurs onusiens. De même, il ne faut pas ignorer le rôle des communautés dans la négociation.
— Concrètement, en quoi consiste l’initiative Construire l’Etat syrien dont vous êtes l’un des fondateurs ?
— Notre groupe, qui réunit des opposants vivant en Syrie et à l’étranger, a été officiellement lancé le 10 septembre 2011, une semaine avant la création du Conseil national syrien. Nous étions déjà en train d’opérer sur le terrain bien avant.
Un tiers d’entre nous vit à l’étranger, comme moi-même, et les deux tiers en Syrie. Nous pensons que l’opposition doit émaner des gens qui sont en train de vivre eux-mêmes le conflit. Certes, nous sommes moins présents dans les médias que les autres groupes d’opposition, mais nous essayons de faire en sorte que nos initiatives politiques soient plus concrètes et pragmatiques.
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