Al-Ahram Hebdo : La course à la présidentielle est lancée. Quelle est, d’après-vous, l’importance de ces élections ?
Akram Al-Alfi : Les regards du monde entier sont braqués sur la prochaine élection présidentielle qui est l’expression d’un changement qualitatif dans la vie politique égyptienne. C’est, en effet, la première échéance démocratique après deux révolutions que le pays a connues. C’est aussi une échéance constitutionnelle importante qui doit réaffirmer que l’Egypte est fidèle aux principes démocratiques de la Constitution de 2014, comme l’alternance du pouvoir et le pluralisme. Ainsi, la tenue de l’élection présidentielle est en elle-même un indice positif. Cette élection mesurera aussi l’interactivité de la rue avec les changements politiques et économiques survenus au cours des quatre dernières années. Plus important, l’élection présidentielle permettra à toutes les parties de discuter des grands dossiers, ce qui est nécessaire pour revitaliser l’ensemble du paysage politique.
Pour la première fois de l’histoire de l’Egypte, une institution à 100% indépendante au niveau administratif et financier gèrera les élections. La création de cet organisme répond à une échéance constitutionnelle. Il remplace les trois commissions, qui géraient auparavant le processus électoral, à savoir les élections présidentielle, parlementaires et municipales. Théoriquement, le fait que cet organisme se charge de l’ensemble du processus électoral lui donne la crédibilité au niveau procédural. Autrefois, plusieurs instances et ministères étaient chargés de cette mission, ce qui donnait lieu à des irrégularités. Cette élection mettra donc à l’épreuve l’indépendance du nouvel organisme et sa capacité à garantir l’impartialité et l’intégrité du processus électoral.
— Comment jugez-vous le plafond des dépenses de la campagne électorale ?
— L’Organisme national des élections a fixé le plafond des dépenses électorales pour chaque campagne à 20 millions de L.E. Une somme que je ne trouve pas exagérée. Mais est-ce que les mesures annoncées par l’organisme permettront de contrôler à 100% les dépenses électorales? J’en doute.
— Environ 60 millions d’électeurs sont appelés aux urnes. Pensez-vous que la participation soit massive ?
— Le taux de participation dépendra de l’élection elle-même et dans quelle mesure elle sera concurrentielle. Jusqu’à présent aucun candidat n’a confirmé définitivement s’il va disputer les élections face au président Abdel-Fattah Al-Sissi, qui lui-même n’a pas encore annoncé sa candidature pour un second mandat. Si les élections se tiennent en l’absence d’un candidat fort capable de rivaliser et de convaincre les électeurs qu’il représente une alternative, on aura un très faible taux de participation. Il faut noter qu’entre 2014 et 2018, 3,8 millions de nouveaux citoyens ont atteint l’âge de 18 ans et ont été inclus aux listes électorales. Si ces nouveaux électeurs et les jeunes en général ne se rendent pas dans les urnes, ce serait un indice négatif. La passivité politique est un message négatif, car elle marque une rupture entre le citoyen et le régime politique.
Il faut donc favoriser une élection concurrentielle pour séduire les électeurs, surtout que le paysage cette fois-ci est totalement différent de celui de 2012, qui était marqué par l’effervescence révolutionnaire. Je dirais même que l’électeur de 2018 est différent de celui de 2012. Partout dans le monde, deux motifs incitent les électeurs à participer: l’intérêt et le devoir patriotique. Ce dernier motif a été fort présent lors des élections de 2012 pour défendre les acquis de la révolution de 2011, et de 2014 pour défendre l’identité civile de l’Etat qui était menacée par le régime des Frères musulmans. La participation massive à la présidentielle de 2014 et au référendum sur la Constitution a été une sorte de continuité de la révolution du 30 juin. Aujourd’hui, ni l’effervescence révolutionnaire, ni la menace d’une islamisation de l’identité nationale n’existent. Il faut donc séduire autrement les électeurs. Chaque candidat aura une base populaire et un programme électoral qui reflétera sa vision et sa philosophie dans la gestion du pays. Et à la fin, la décision appartiendra aux Egyptiens.
— Pensez-vous que le calendrier électoral et les conditions de candidature soient favorables à une élection concurrentielle ?
— Théoriquement oui. Les dates fixés ne diffèrent pas beaucoup de ceux qui ont régi les précédentes élections présidentielles. Ils ont été arrangés en vertu des exigences constitutionnelles. De même, les conditions de candidature sont plus flexibles que celles qui ont régi l'élection présidentielle de 2012. Lors de ces élections, la loi exigeait l’obtention par le candidat du soutien de 25000 citoyens pour valider sa candidature. Aujourd’hui, le candidat peut obtenir le soutien de 25000 citoyens ou l’appui de 20 députés, ce qui n’est pas difficile du tout pour un candidat qui veut disputer l’élection présidentielle. Certains trouvent que ce calendrier ne permet pas aux forces politiques de s’organiser pour disputer les élections. Pour moi, le problème ne réside pas au niveau procédural. Les préparatifs de ces élections, (la formation des coalitions électorales, le choix des candidats, la rédaction des programmes électoraux, etc.) auraient dû commencer au moins depuis quatre mois. Mais les forces politiques qui ont beaucoup perdu de leur éclat ne se sont pas préparées suffisamment tôt.
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