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Mohamed Salmawy : Ma vie et l’histoire de l’Egypte sont intimement liées

Samar Al-Gamal, Mardi, 05 décembre 2017

Dramaturge, romancier, journaliste et acteur de la vie politique égyptienne depuis des décennies, Mohamed Salmawy lance cette semaine le premier volume de son autobiographie intitulée Yawman Aw Baad Yawm (un jour ... ou presque). A travers ce récit personnel, l’auteur écrit l’his­toire tumultueuse de l’Egypte depuis la Seconde Guerre mondiale. Entretien.

Mohamed Salmawy

Al-Ahram hebdo : Pourquoi une autobiographie ?
Mohamed Salmawy : Franchement, je n’ai jamais pensé écrire mon autobiogra­phie et je trouvais que l’écriture artistique et littéraire était meilleure, car son apport est plus important, alors qu’une autobiographie consiste à raconter simplement sa propre his­toire. Une histoire que les proches connaissent déjà et que les autres ne seraient peut-être pas intéressés à connaître.

Quand vous êtes né ? Quelle école avez-vous suivie ? Et qui avez-vous épousée ?
Ce sont des détails insigni­fiants peut-être, et s’ils ne le sont pas et sont au contraire des détails de valeur, certes d’autres personnes vont en parler. Je pensais qu’au lieu de consacrer un temps à écrire l’histoire de ma vie, j’aurais écrit un roman ou une pièce de théâtre, ainsi était ma conviction.

Al-Ahram célébrait les 130 ans de sa fondation et on m’a demandé d’écrire un article sur le 6e étage du bâtiment, l’étage qui accueillait tous les grands écrivains, Tewfiq Al-Hakim, Naguib Mahfouz, Youssef Idriss, Zaki Naguib Mahmoud, Salah Taher, Louis Awad, Bent Al-Chatë. On m’a dit que j’étais proche de ces figures, car effectivement, le côté culturel était enraciné dans ma per­sonne, et la plupart du temps que je passais au journal n’était pas au 4e étage, où se trouve la salle de rédac­tion, mais au 6e où je côtoyais ces écrivains avec lesquels j’ai noué une forte relation à tel point que Naguib Mahfouz m’a choisi pour prononcer à sa place le discours devant le comité Nobel. J’entretenais aussi une étroite relation avec Al-Hakim, le père du théâtre arabe. J’étais jeune drama­turge et lui le maître, le Shakespeare arabe. Les relations se sont davantage consolidées quand son fils a épousé ma soeur.

Alors, j’ai écrit l’histoire de cet étage avec certains événements dont j’étais témoin, comme le communi­qué écrit par Tewfiq Al-Hakim contre la situation de « ni guerre, ni paix » au début de l’époque de Sadate et avant la guerre du 6 Octobre, et en raison duquel tous les signataires ont été licenciés, à l’exception de son auteur.

Apparemment, ce que j’ai écrit a été apprécié par plusieurs personnes, dont l’éditeur du livre. Il m’a dit : vous disposez d’une partie de l’histoire de l’Egypte dont personne d’autre n’est témoin. Vous avez fait partie de ces événements, et si vous n’en parlez pas, ils disparaîtront.

Il m’a encouragé en me disant que j’avais à côté de cette dimension culturelle et ces relations avec les écrivains une autre dimension, celle du journaliste sur les plans politique et social. Il pensait que si j’écrivais mon autobiographie de la même manière dont j’ai écrit l’histoire du 6e étage, ceci serait nouveau. Ainsi m’a-t-il convaincu, en se basant sur mon article, que cet élément figure dans mon autobiographie. J’ai trouvé qu’il avait raison et que j’étais au courant d’événements et de détails à propos desquels personne n’en avait parlé.

— Pouvez-vous nous donner un exemple de ces événements iné­dits ?
— Lorsque Sadate a prononcé son discours dans lequel il a annoncé son intention de se rendre à la Knesset, c’était la une du journal qui allait paraître le lendemain, j’étais respon­sable, avec d’autres, de l’édition de ce jour-là à Al-Ahram. Le journal était déjà à l’imprimerie quand j’ai reçu un appel du ministre des Affaires étran­gères, Ismaïl Fahmi, me disant : « Ne publiez pas un seul mot sur cette affaire de visite ». J’ai essayé de lui expliquer que le journal était peut-être déjà imprimé mais en vain. J’ai appe­lé alors le directeur de rédaction, Mahmoud Abdel-Aziz, qui était à l’imprimerie, pour l’informer. On n’avait reçu aucune directive de la présidence. Il m’a demandé : êtes-vous sûr que c’était bien le ministre ? J’ai confirmé en lui disant que je le connaissais bien. Son fils était, en effet, l’époux de ma belle-soeur.

Il a alors appelé ce qui, à l’époque, s’appelait le « bureau de la presse », qui servait de bureau de censure, et qui a nié qu’il y avait des directives concernant le discours du président, et a décidé alors de maintenir la une. Peu après, Ismaïl Fahmi nous a appe­lés et a parlé au directeur de rédaction pour s’assurer qu’aucun mot ne soit publié sur la visite à la Knesset. Fahmi a dit : je vous appelle après coordination avec le président Sadate en personne. Il n’était pas question de maintenir la une et on a commencé à la changer à la hâte. A ce moment-là, le téléphone a sonné de nouveau, c’était quelqu’un à la voix grave. « Allo, c’est Mamdouh Salem ». C’était le premier ministre. Il m’a dit que le discours du président devait être publié à la lettre. Ce que j’ai su plus tard, c’est qu’Ismaïl Fahmi avait dit au président que s’il s’agissait d’un lapsus, « on peut rectifier ». Sadate a accepté, mais en même temps, il a demandé à Mamdouh Salem de le maintenir. Ce qui a mené plus tard à la démission du ministre des Affaires étrangères qui a refusé d’accompagner Sadate dans sa visite.

Mohamed Salmawy

Un tel événement, si je ne l’écris pas, ne sera pas connu, alors qu’il dévoile de près le conflit au sein du pouvoir et la manipulation politique. Et ma vie était proche de ces événe­ments. Je suis né en 1945, juste après la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’histoire de l’Egypte depuis cette date jusqu’à l’élaboration de la Constitution actuelle est une période très riche, peut-être la plus impor­tante, et j’étais témoin de cette his­toire. Ma vie et cette histoire sont intimement liées et heureusement, j’ai encore la mémoire pour l’écrire.

— 450 pages pour le premier volume, combien de temps avez-vous mis pour l’achever ?
— Environ un an. Je n’imaginais pas que cette autobiographie allait consommer autant d’efforts et de temps. C’était un effort considé­rable, car je ne m’amusais pas comme je le faisais en écrivant un roman. Je ne pouvais pas compter uniquement sur ma propre mémoire en attaquant une tâche pareille. Il fallait une recherche, une documen­tation et une vérification. J’ai passé beaucoup de temps aux archives d’Al-Ahram et j’ai revisité la prison de la citadelle, là où j’étais empri­sonné, pour vérifier des détails.

La maison d’édition vérifiait en plus après moi en menant sa propre recherche. J’avais par exemple écrit que j’avais assisté en Australie à un ballet de Rudolf Nureyev, qui pré­sentait The Overcoat de Nikolai Gogol. Ils ont mené leur recherche et m’ont dit qu’ils n’avaient aucune preuve que ce ballet ait eu lieu à cette date. J’étais alors contraint de vérifier dans mes papiers où j’ai trouvé heureusement le programme du ballet.

Un des traits de ce bouquin c’est qu’il est accompagné d’une série de photos que j’ai découvertes en fouillant dans mes papiers et ma mémoire. 150 photos qui n’ont jamais été publiées.

Un effort considérable à tel point que je n’arrive pas encore à entamer la deuxième partie. Je me motive en me disant que cette partie concerne une période plus proche que la pré­cédente, du point de vue temporel, et donc ses informations seront plus faciles d’accès, alors que la première partie couvrait la période comprise entre ma naissance et l’assassinat de Sadate. La deuxième partie doit cou­vrir l’époque de Moubarak jusqu’à l’élaboration de la Constitution, et je ne sais pas encore si elle s’étalera sur un ou deux volumes. J’espère l’ache­ver pour pouvoir reprendre mon oeuvre littéraire.

— 4 des 16 chapitres sont consa­crés à votre détention lors de la révolte du pain en 1977 où vous avez côtoyé des politiciens et écri­vains de tout bord ...
— C’était une expérience très riche. J’avais un carnet en prison dans lequel je notais mon quotidien. Une sorte de journal que je cachais pour ne pas être confisqué comme le précédent. Sans ce carnet, l’histoire de la prison aurait occupé un seul chapitre, ou encore moins. Il m’a permis de me souvenir d’événe­ments que j’avais complètement oubliés. La mémoire est étrange lorsque je commence à écrire sur un événement, c’est comme un fil qui rappelle d’autres qui étaient totale­ment refoulés. D’autres étaient notés, mais je ne pouvais pas me souvenir de quoi il s’agissait.

— Un jeune homme de l’aristo­cratie égyptienne venant du quar­tier résidentiel de Maadi se retrouve du jour au lendemain dans une prison, comment avez-vous vécu l’expérience à l’époque ?
— Dès mon jeune âge, j’étais hanté par cette idée d’appartenance à la société. J’étudiais dans une école britannique et j’ai grandi au moment de la Révolution, la libéra­tion, l’union arabe et la justice sociale. L’appartenance était pri­mordiale et c’est l’une des raisons qui m’ont poussé à quitter mon poste d’enseignant à l’université et d’aller rejoindre Al-Ahram. J’ai senti que de cette façon, j’apparte­nais à la réalité au lieu de rester dans une bulle à la surface de la société comme beaucoup de mes amis ou mes connaissances à cette époque. La « non-appartenance » m’inquiétait. Quand j’étais empri­sonné, je me suis retrouvé de près avec le bas de la société que je n’au­rais peut-être pas pu connaître autrement.

Une fois libéré, mon expérience est devenue beaucoup plus dense. J’ai même écrit une pièce de théâtre intitu­lée Un Assassin hors de prison, dont les événements se déroulaient en pri­son. Un jeune homme, qu’on a pris pour quelqu’un d’autre, est arrêté et emprisonné alors qu’il n’avait aucune activité politique et fait face à cette expérience où il fréquente politiciens et criminels, et finit par les défendre en prison. Il y a un symbolisme der­rière cette histoire que le critique Louis Awad avait noté. Ce jeune homme a été emprisonné quand il n’avait aucune appartenance une fois affilé, il a été libéré. C’est comme si celui qui mérite la prison est celui qui n’appartient pas à sa société.

La vraie souffrance en prison est la souffrance psychologique, quand la personne n’accepte pas son entou­rage. L’emprisonnement dans ce cas peut vraiment casser la personne, et ceci ne m’est pas arrivé.

A la prison de la citadelle, au début, on m’avait mis dans une cel­lule individuelle dont les murs sont épais d’un mètre, et la cellule est sans fenêtres. Une obscurité totale, impossible de reconnaître s’il fait jour ou nuit. Quand je suis sorti de cette cellule, j’imaginais que j’y étais resté au moins une semaine, alors qu’il ne s’agissait que de 24 heures. J’ai découvert plus tard, quand une fois l’ascenseur était tombé en panne, que je suis devenu claustrophobe. C’était la seule trace traumatisante de cette expérience.

— La structure et le style de ce bouquin rappellent d’ailleurs ceux de vos oeuvres littéraires ...
— A côté du style qui paraît illu­soirement facile dans mes oeuvres littéraires, la structure et l’évolution dramatiques rappellent aussi celle du roman. Le héros de cette auto­biographie et les changements par lesquels il est passé, depuis son enfance aisée jusqu’à la prison et sa mutation, rendent à mon avis ce bouquin une oeuvre qui dépasse la simple mémoire retraçant des évé­nements historiques .

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