Al-Ahram Hebdo : Vous avez qualifié cette loi de projet du siècle. Pourquoi ?
Abdel-Hamid Abaza : Parce que le nouveau système d’assurance médicale intégrale devrait remédier à 80% des défaillances du système actuel. Longtemps réclamé, il vise à mettre en place un système de santé publique plus juste et plus digne.
— La réforme du système d’assurance médicale est évoquée depuis longtemps, pourquoi l’affaire a-t-elle autant traîné ?
— C’est vrai. Le dossier est sur la table depuis 2000. Des réformes entreprises avant la révolution de 2011 avaient aussi tenté d’élargir l’accès à l’assurance maladie et aux services essentiels dans le domaine de la santé familiale. Mais en raison des capacités limitées du secteur de la santé, ces projets n’avaient pas pu être déployés à grande échelle. Un projet de loi sur la réforme du système d’assurance médicale avait été finalisé et devait être approuvé en 2010. Mais suite à la dissolution du parlement après la révolution de 2011, le projet a été reporté sine die. En 2011, un nouveau comité sous ma présidence avait été formé. Il était chargé de modifier certains articles de ce projet de loi. Soucieux de parvenir à une meilleure formule, on a étudié les systèmes d’assurance médicale appliqués en France, au Royaume-Uni, au Canada et à Cuba, et on a discuté avec eux pour profiter de leurs expériences. Par ailleurs, on a effectué un débat social sur le projet de loi avec toutes les parties concernées, dont des ONG, sur les défaillances du système d’assurance médicale en vigueur pour y remédier. Mais les mutations politiques et la crise économique qu’a connues le pays après les révolutions de 2011 et 2013 ont fait que ce projet est tombé dans l’oubli. Toutefois, cette fois-ci, il existe une véritable volonté politique de réformer le système d’assurance médicale, surtout qu’il s’agit aussi d’une exigence constitutionnelle.
— Quels sont les plus importants avantages du nouveau système ?
— Le problème essentiel du système actuel, c’est que c’est l’Organisme des assurances médicales qui offre et finance le service. Ce qui favorise la corruption et affecte la qualité de service. D’où l’intérêt qu’a accordé le projet de loi à la séparation entre la prestation des soins santé et leur financement. Cette séparation, appliquée partout dans le monde, permettra de répartir les responsabilités, rendre des comptes aux contrevenants et surveiller la qualité de services. Le second avantage du nouveau système est qu’il couvre obligatoirement toute la famille, père, mère au foyer et enfants jusqu’à l’âge adulte, même les non-salariés d’entre deux. Et ceci, alors que le système actuel ne couvrait ni la femme au foyer ni les étudiants.
— Il a été décidé d’appliquer le nouveau système dans 5 gouvernorats. Pourquoi ces choix spécifiques ?
— On a voulu commencer par des gouvernorats à faible densité démographique. Ce qui permet d’avoir les moyens d’y réformer les infrastructures et assurer le budget nécessaire pour la première phase, en ce cours temps, puisque le système devra être appliqué 6 mois après l’approbation de la loi.
— En ce qui concerne les normes de qualité exigées par la loi, quelles sont les mesures prévues aptes à garantir leur application ?
— Un organisme indépendant pour la qualité sera en charge de déterminer les normes de qualité et de surveiller leur application dans les hôpitaux publics comme privés. Le projet de loi prévoit des mesures strictes et des sanctions contre les contrevenants.
— Quel intérêt pour les hôpitaux privés de participer à ce système, sacrifiant ainsi leurs énormes bénéfices ?
— Avec le nouveau système, le secteur privé perdra beaucoup de ses patients s’il s’abstient d’y participer. Car avec l’application des normes de qualité aux hôpitaux publics, ils seront compétitifs par rapport aux hôpitaux privés. Par conséquent, les patients couverts par l’assurance médicale ne se rendront pas comme auparavant à des hôpitaux privés, puisqu’ils auront l’option de recevoir un service de qualité avec des frais limités. En outre, les prix qui seront fixés aux hôpitaux privés ne seront pas inférieurs aux prix actuels, c’est-à-dire que ces hôpitaux ne perdront rien de leurs bénéfices. Cela veut dire que le secteur privé a intérêt à participer au nouveau système.
— Ce système sera-t-il bénéfique à la profession ?
— Certes. Le nouveau système devrait améliorer le statut salarial et professionnel des médecins et des infirmiers. Et ceci en augmentant leurs salaires et en perfectionnant leur formation. Des éléments nécessaires pour l’amélioration de la qualité des services de santé.
— Et en ce qui concerne les médicaments, quel sera le rôle de l’Organisme des assurances médicales ?
— Pour remédier à la pénurie des médicaments dont souffre le marché, l’Organisme des assurances médicales importera les médicaments nécessaires pour son propre compte. Et ceci dans le but d’assurer leur disponibilité. Mais aussi, cela contribuera à les fournir à des prix moins chers que ceux vendus en pharmacie, puisque le but de l’organisme n’est pas de faire des profits.
— Cela dit, certains mettent en doute les chances de réussite du nouveau système. Que leur répondez-vous ?
— Ce système est le fruit de plus de 14 ans de travail et d’études. Il n’est pas question qu’il soit voué à l’échec et son application échelonnée garantit sa poursuite.
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