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Daniel Behar : La grande métropole doit répondre aux enjeux pour lesquels elle a été créée

Dimanche, 19 novembre 2017

Daniel Behar, géographe et professeur à l’Ecole d’Urbanisme de Paris, parle du projet du Grand Paris, les défis auxquels il fait face au niveau géographique et les déséquilibres socioéconomiques.

Daniel Behar

Al-ahram hebdo : Selon vous, quelles sont aujourd’hui les problématiques les plus saillantes de la relation entre la capitale et les territoires en France ?
Daniel Behar : Pendant longtemps, les relations entre Paris et les autres territoires ont été marquées par la formule de Jean-François Gravier en 1947. « Paris et le désert français », ce qui a conduit les pouvoirs publics à faire de « l’aménagement du territoire à la française » une politique de rééquilibrage territorial. Depuis une dizaine d’années, la question de la mondialisation a favorisé la prise de conscience collective du fait qu’avec Paris, la France disposait de l’une des deux « villes monde » européennes avec Londres, et que cela profitait à l’ensemble du territoire national. En effet, si la région de la capitale produit environ le tiers du PIB français, sa population ne bénéficie que du quart des revenus des ménages français. La différence est, en fait, redistribuée aux autres territoires via les transferts publics d’une part, et par le biais de la consommation des Parisiens en dehors de leur région (tourisme ...) d’autre part. Ce constat a conduit l’Etat à lancer le projet du Grand Paris qui est en réalité davantage un projet pour la France que pour l’Ile-de-France. C’est d’autant plus vrai qu’à la différence des autres pays européens, notamment la Grande-Bretagne, Paris n’est pas « hors sol » comme le Grand Londres, mais très intégré au sein d’un « système France » avec les grandes villes françaises (Lyon, Bordeaux, Nantes ...). Regardez par exemple l’organisation « polycentrique » de la filière aéronautique entre Paris, Toulouse, Bordeaux et Marseille.

— Deux ans après sa création, quels sont aujourd’hui les enjeux principaux pour la gouvernance de la Métropole du Grand Paris ?
— Deux ans après sa création, la Métropole du Grand Paris n’est pas encore installée dans le paysage politique. Elle est en rivalité avec la Région Ile-de-France, tant sur le plan du périmètre (la région intègre les villes nouvelles et le périurbain) que des compétences (le développement économique notamment). De plus, le président de la République a promis de la réformer en étendant son périmètre aux aéroports et en supprimant les départements de petite couronne créés dans les années 1960, ce qui contribue à l’incertitude institutionnelle. Par contrecoup, la Métropole du Grand Paris cherche à asseoir sa légitimité en s’adressant directement aux communes et à la population, par exemple en étendant le réseau de Vélib à la banlieue ou en suscitant une cinquantaine de projets d’urbanisme innovants. Mais cela ne fait pas une métropole. Il lui faut maintenant répondre aux enjeux pour lesquels elle a été créée : renforcer la compétitivité économique du Grand Paris, réduire le déficit en logement et résorber les déséquilibres socioéconomiques entre l’est et l’ouest de la Région Capitale. Il s’agit notamment pour elle de se saisir des instruments de planification dont le législateur l’a dotée en matière de droit des sols, de programmation de l’habitat ou de transition environnementale. Mais sera-t-elle en mesure de mettre en oeuvre de telles stratégies métropolitaines en procédant aux arbitrages qui s’imposent, alors que sa gouvernance est contrôlée par la centaine de maires qui la composent ? Rien n’est moins sûr.

— Comment façonner la bonne gouvernance métropolitaine de demain ?
— La création de la Métropole du Grand Paris constitue, en fait, une mise à niveau institutionnelle en regard des pratiques des habitants de la métropole qui sont tous, dans leur vie quotidienne, de « grands Parisiens », traversant les territoires au gré de leurs déplacements professionnels, de loisirs, et plus largement de leurs trajectoires de vie. Mais cette création d’une institution XXL n’est pas suffisante. Le fait métropolitain nécessite non seulement de modifier le mécano institutionnel, mais aussi de changer le logiciel de la gouvernance territoriale à tous les niveaux. Quelles relations aux citoyens quand la métropolisation signifie la cohabitation, au sein de la population résidente, de sédentaires et de nomades, voire de citoyens en « contrat à durée déterminée » ? Et ce, alors que les élus fondent leurs actions sur le mythe d’habitants stables, construisant tout leur cycle de vie au même endroit ? De même, comment prendre acte du fait que dans une société mobile, « liquide » comme l’est la société métropolitaine, les figures du citoyen électeur, du contribuable, de l’usager et de l’habitant ne coïncident plus ? Celui qui vote est celui qui dort sur place, mais plus nécessairement l’usager des services que l’élu va mettre en place. Et inversement, l’usager de ces services — celui qui étudie ou travaille sur place — ne sera plus nécessairement le contribuable qui paye ces services. La démocratie locale a été fondée sur une représentation des territoires comme des « bassins de vie » stables et d’une certaine façon autarciques. Le fait métropolitain impose de repenser ce que peut être la démocratie locale dans une société structurée d’abord par les réseaux, au sein de laquelle chacun multiplie les appartenances territoriales, dans un fonctionnement en archipel davantage qu’en bassin. Ce défi interpelle l’ensemble des élus et des professionnels de l’action territoriale.

Biographie
Daniel Behar est professeur à l’Ecole d’Urbanisme de Paris — Université Paris-Est, et consultant à la coopérative ACADIE. Il anime la Chaire « Aménager le Grand Paris ».

Après avoir travaillé longtemps sur la politique de l’habitat et la politique de la ville, il privilégie aujourd’hui les questions de stratégies territoriales et de planification spatiale, confrontées aux enjeux de la métropolisation. Il était associé à Christian de Portzamparc dans le cadre de la consultation internationale pour le Grand Paris (2009) et a accompagné l’élaboration du Schéma de Développement de la Région Ile-de-France (SDRIF). Il suit actuellement la mise en oeuvre de la nouvelle planification régionale : Schémas Régionaux pour le Développement Durable et l’Egalité des Territoires (SRADDET). Il vient de produire le volet français de l’étude « Land Use Planning Systems in The OECD ».

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