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Les ouvriers attendent leurs syndicats

May Atta , Mercredi, 15 novembre 2017

Le projet de loi sur les syndicats ouvriers a été approuvé en première lecture le 9 novembre par le parlement. Il autorise pour la première fois la création d'établissements syndicaux indépendants, et soulève un vif débat.

Les ouvriers attendent leurs syndicats
La loi interdit la création des syndicats sur des bases religieuses ou politiques. (Photo : Al-Ahram)

Dans un vote préliminaire, le parlement a approuvé, jeudi 9 novembre, le projet de loi sur les syndicats ouvriers, après l’avoir soumis à un débat social. Il devra ensuite être voté définitivement. Composé de 77 articles, le projet doit remplacer la loi nº 35 de 1976. Qualifié par le gouvernement « d’étape importante pour le travail syndical », le projet de loi autorise pour la première fois la création de syndicats indépendants. Il encadre notamment leurs règlements et les élections de leurs conseils d’administration, dont le mandat est de 4 ans. Le projet de loi permettra en outre la tenue d’élections syndicales, qui devront se tenir 90 jours après la promulgation de la nouvelle loi. Une première depuis 2006, lorsque la Haute Cour administrative avait invalidé le scrutin de telles élections suite à des irrégularités. Après des procès intentés par des militants ouvriers, de nouvelles élections auraient dû avoir lieu en 2011, mais la révolution a éclaté. Depuis cette date, l’affaire traîne. D’où l’importance accordée à ce projet de loi, grâce auquel des millions d’ouvriers espèrent avoir une structure qui les représente et défend leurs droits. Considéré comme une victoire pour le mouvement de l’indépendance syndicale, le projet de loi octroie aux ouvriers le droit de créer des syndicats indépendants, mais interdit la formation de syndicats sur une base religieuse ou politique. Il permet la création des syndicats en déterminant le nombre d’ouvriers siégeant dans le comité syndical, le syndicat général et l’Union des syndicats. Il détermine aussi les moyens de financement.

Quant aux syndicats indépendants déjà créés, ils disposent de 60 jours pour ajuster leurs statuts aux exigences de la nouvelle loi. Dans un souci de protéger le pluralisme syndical, le texte interdit au patron d’exercer toute pression morale ou matérielle ou de discriminer les ouvriers pour leur adhésion à un syndicat quelconque. Mohamad Wahballah, vice-président de la commission de la main-d’oeuvre au parlement, indique que cette dernière a pris en considération toutes les remarques formulées par les ouvriers lors du débat social autour du projet de loi ainsi que les recommandations de l’Organisation Internationale du Travail (OIT). Rappelons que l’OIT a classé l’Egypte à maintes reprises sur sa liste noire à cause des restrictions en matière de libertés syndicales. C’est pourquoi Guébali Al-Maraghi, président de l’Union Générale des Syndicats Ouvriers (UGSO) et président de la commission de la main-d’oeuvre au parlement, considère le projet de loi comme une « étape positive » en faveur du mouvement ouvrier. « Il autorise tout ouvrier à adhérer au syndicat qu’il choisit et interdit le licenciement et la discrimination salariale des ouvriers pour leurs activités syndicales », se félicite-t-il. La loi en vigueur ne donnait aux ouvriers d’autre option que de rejoindre l’UGSO, fondée en 1957 par l’ancien président Gamal Abdel-Nasser. Englobant 5 millions d’ouvriers sur un total de 27 millions en Egypte, elle constitue la plus grande union ouvrière organisée. Or, selon les militants ouvriers, elle ne représente pas la majorité, puisque 42 % des 22 millions d’ouvriers restants travaillent dans le secteur informel, dans de petites entreprises et usines, et n’ont pas, jusqu’à présent, de syndicats qui défendent leurs droits. D’aucuns y voient aussi une structure qui était souvent plus proche des patrons que des ouvriers. A titre d’exemple, sous le président Sadate, l’UGSO avait défendu les politiques libérales du gouvernement. Moubarak avait, quant à lui, obtenu le soutien de l’union pour sa politique de privatisation. Autant de raisons qui expliquent l’apparition de syndicats indépendants depuis 2009, des syndicats qui peinent à régulariser leur statut jusqu’à présent.

Le dilemme des syndicats indépendants

Depuis la révolution de 2011, le nombre de syndicats indépendants s’est accru. On compte aujourd’hui environ 800 syndicats indépendants et 2 confédérations de syndicats indépendants : la Fédération des syndicats indépendants d’Egypte (EFITU) et le Congrès démocratique égyptien du travail (EDLC). Si plusieurs projets de loi visant à régulariser leur statut ont été élaborés depuis cette date, que ce soit par des militants ouvriers ou par le gouvernement, aucun n’est entré en vigueur. La commission de la main-d’oeuvre au parlement estime donc que la promulgation de la nouvelle loi améliorera la position de l’Egypte dans le classement de l’OIT et permettra à l’Egypte d’être retirée de la liste noire. Or, les ouvriers et les organisations internationales restent insatisfaits de la mouture finale du projet de loi, surtout en ce qui concerne les conditions de création de syndicats indépendants, qualifiées « d’irréalistes ». Dans un communiqué publié le 8 novembre, Sharan Burrow, secrétaire générale de la Confédération Syndicale Internationale (CSI), a qualifié le projet de loi d’« atteinte flagrante » au droit fondamental des travailleurs de s’organiser, ce qui signifie que l’UGSO va rester la seule organisation à représenter les ouvriers. « Cela n’est certainement pas à l’avantage des ouvriers, qui ne trouveront pas de soutien dans cette union, qui s’aligne toujours du côté du gouvernement », a-t-elle déclaré. Kamal Abbas, militant ouvrier et coordinateur général du Centre des services syndicaux, partage cet avis. Il donne l’exemple de l’article 3 du projet de loi, qui stipule que les syndicats indépendants créés avant la promulgation de la nouvelle loi doivent conformer leurs statuts aux exigences de la nouvelle loi. Il se demande pourquoi on a besoin de nouveaux papiers pour des structures déjà fondées et devenues une réalité sur le terrain. « Cela va remettre en question l’existence de centaines de syndicats indépendants déjà existants, puisque le ministère de la Solidarité sociale a le droit de refuser leurs papiers. La nouvelle loi aurait dû réglementer leur statut et leur octroyer les pouvoirs nécessaires pour jouer leur rôle de négociateur entre les ouvriers et la direction », regrette Abbas.

Le débat se poursuit

Sur le même sujet, Saïd Chaabane, président de l’EDLC, a fait savoir que le Congrès enverrait un bilan à l’OIT pour expliquer les raisons de son rejet du projet de loi. « Si ce projet de loi reconnaît le droit au pluralisme syndical, les conditions qui l’encadrent demeurent restrictives. En effet, le nombre requis pour créer un syndicat n’est pas conforme aux normes de l’OIT », dit-il. Il explique que le projet de loi exige la présence d’au moins 50 ouvriers pour créer un syndicat. Le projet de loi stipule en outre qu’il faut 20 000 ouvriers pour créer un syndicat général et 300 000 pour fonder une union syndicale générale. « Il existe des usines dans lesquelles le nombre d’ouvriers ne dépasse pas 25. Pourquoi les priver d’avoir un syndicat qui défend leurs droits ? Selon les normes de l’OIT, le nombre permettant la création d’un syndicat est de 20 ouvriers. N’oublions pas que les ouvriers qui travaillent dans de petites usines et entreprises sont bien plus nombreux que ceux qui travaillent dans les grandes usines », critique Chaabane. Il insiste sur le fait que la liberté syndicale donne une grande force aux ouvriers face à l’hégémonie des patrons. Des réserves que Wahballah juge infondées. Il souligne que la loi entend respecter le droit au pluralisme syndical tout en évitant une fragmentation injustifiée du mouvement syndical. « Nous avons diminué le nombre d’ouvriers dans le comité syndical de 100 à 50 et de 30 000 à 20 000 dans le syndicat général. Les syndicats indépendants existants sont des formations qui se sont imposées sans fondements juridiques. C’est normal qu’ils soient appelés à régulariser leur statut », souligne-t-il. Selon lui, cette loi reflète la bonne volonté du gouvernement, qui « ne s’oppose pas aux droits des ouvriers, mais cherche à satisfaire leurs revendications ». Le débat sur l’encadrement de la liberté syndicale reste donc ouvert.

Une naissance difficile

Deux articles de la nouvelle loi sur les syndicats ouvriers ont soulevé un débat particulièrement vif et leur discussion a été reportée à la dernière séance. Le premier est l’article 53 sur les dons et le financement étrangers. Il stipule que les syndicats n’ont pas le droit d’accepter des dons d’organisations étrangères. « Nous nous opposons à tout don venant de l’étranger. Les syndicats doivent refuser de tels dons, afin de garantir l’indépendance des décisions », dit Mohamad Wahballah, viceprésident de la Commission de la main-d’oeuvre au parlement. Un autre débat a eu lieu au sein de cette même commission, qui a débouché sur l’annulation de la clause A de l’article 20 — stipulant que l’ouvrier doit être égyptien — pour que tous les ouvriers qui travaillent en Egypte puissent être affiliés à un syndicat défendant leurs droits. Dans le cadre du débat social, les membres de la Commission ont par ailleurs accepté que les ouvriers retraités puissent rester membres d’un syndicat, ce qui n’était pas le cas dans la première mouture du projet. Pour leur part, les patrons ont refusé les articles 50 et 51. Le premier stipule qu’un membre ou plus du Conseil d’administration a le droit de sacrifier son plein-temps pour le travail syndical, tout en conservant son salaire et ses droits. L’article 51 stipule, lui, que les ouvriers ont le droit de prendre un congé payé pour suivre une formation. Patron et député, Mohamad Al-Sewidi refuse l’article 50 avec l’argument que le travail syndical est un travail bénévole. Le parlement n’a pas voté ces deux articles jusqu’à présent.

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