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Un panorama … tout feu, tout flamme

Yasser Moheb, Lundi, 13 novembre 2017

Les projections du 10e Panorama du film européen se succèdent jusqu’au 18 novembre, avec succès. Cinéma d’auteur, documentaire, créations aventureuses, les coups de coeur sont nombreux.

Un panorama … tout feu, tout flamme
Adama.

Temps fort du cinéma du vieux continent. Le Panorama du film euro­péen nous emmène dans des univers très divers, jusqu’au 18 novembre. Coups de coeur ou coups de griffe, nombreuses sont les oeuvres à signaler dans cette 10e édition. Commençons par le film américain The Killing of a Sacred Deer (mise à mort du cerf sacré), réalisé par le Grec Yorgos Lanthimos. Lauréat du Prix du meilleur scénario au dernier Festival de Cannes, ce film relate l’histoire d’un chirurgien (Colin Farrell) et sa femme ophtalmolo­giste (Nicole Kidman) vivant paisi­blement dans une banlieue avec leurs deux enfants de 14 et 12 ans. Ce père de famille prend sous son aile un adolescent étrange (Barry Keoghan) qui intervient au sein de la famille et devient de plus en plus menaçant, puisque celui-ci le contraint à un sacrifice. De nou­veau, le cinéaste grec compose un scénario remarquable nourri de satire et d’absurde. Se moquant d’une certaine bourgeoisie, il met en scène des personnages ayant une haute estime d’eux-mêmes et les place devant un miroir dévoilant. Incapables de se faire face comme d’accepter de perdre pied, ils divul­guent toutefois leur vraie nature à mesure qu’ils sont poussés par une situation qui les force à agir autre­ment.

Mélange de thriller psycholo­gique et de tragédie grecque, les situations escarpées et l’humour parfois absurde, ce film excelle à naviguer entre le réalisme et le fan­tastique, l’irrationnel et la psycho­logie humaine.

Emancipation de la femme à Montparnasse
Côté cinéma français, soulignons un autre film qui a surpris par son histoire, sa simplicité et son idée de base : Montparnasse Bienvenuem, jeune femme, le premier long-métrage admirablement fluide de l’écrivain et réalisateur Léonor Serraille, lauréat de la Caméra d’or au dernier Festival de Cannes.

Ce film, porté par son héroïne, met en scène Laetitia Dosch comme une jeune femme sans but essayant de se débrouiller dans le quartier parisien de Montparnasse. Composé d’une équipe presque entièrement féminine, ce film aux traits élégants est une célébration d’un esprit libre aux che­veux roux, qui ne cache cependant pas l’obscurité de la vie.

Si le parcours de l’héroïne, Paula, est bien celui d’une émancipation, celle-ci passe par ce transformisme, ce sens du déguisement, qui la voit endosser une série de costumes et de maquillages pour mieux changer de peau. Mais cette émancipation ne se traduit par une ascension sociale que par un déclassement bel et bien assu­mé. Paula roule les échelons, de la muse des beaux quartiers à la ven­deuse en centre commercial. Et c’est sur ce chemin qu’elle conquiert les vertus de l’anonymat, la possibilité offerte à chacun de pouvoir devenir n’importe qui. Un film portant un nouveau souffle au cinéma français, digne certainement d’être vu.

Animations inédites
Il faut noter que cette 10e édition du Panorama du film européen au Caire a choisi de faire un coup de projecteur sur les oeuvres d’anima­tion. D’abord, il y a Adama, le Monde des Souffles, signé Simon Rouby.

L’oeuvre tisse l’histoire d’Adama, enfant de 12 ans qui vit dans un vil­lage isolé d’Afrique de l’Ouest. Au-delà des pentes s’étend le Monde des Souffles. Une nuit, Samba, son frère aîné, disparaît. Adama décide de partir à sa recherche. Il entame, avec la détermination sans faille d’un enfant devenant homme, une quête qui va le mener au-delà des mers, au nord, jusqu’aux lignes de front de la Première Guerre mondiale.

Sur le plan technique, cette oeuvre reste une fable cosmopolite, tant par sa forme que par son fond. Entre peinture, effet stop motion, 2D, 3D et autre figures graphiques, la technique évolue selon la complexité ou l’at­mosphère de l’action. Ce choix hybride de narration visuelle sert énormément le film, qui reste au final très esthétique, et toujours très expressif au niveau des émotions. S’il fallait le qualifier en un mot, on dirait probablement la mixité. Toute la subtilité de Simon Rouby et de son scénariste Julien Lilty est d’engen­drer un récit universel qui repose sur la confrontation de deux univers, celui trop confortable où l’on vit et l’autre, l’ailleurs aux penchants fan­tasmés.

Terminons ce tour d’horizon des temps cinématographiques forts de ce panorama par un autre film d’ani­mation singulier dans sa forme et ses techniques, qui n’est que Loving Vincent (la passion Van Gogh), réa­lisé par le tandem Dorota Kobiela et Hugh Welchman, lequel a affiché salle comble lors de sa première projection cairote. Passer de l’image photographique à l’image peinte, telle peut être la grande singularité de ce premier film d’animation entièrement créé en s’inspirant de peintures, en l’occurrence 120 toiles du peintre néerlandais Vincent Van Gogh (1853-1890). Les réalisateurs Dorota Kobiela — également peintre — et Hugh Welchman — Oscar du meilleur court métrage d’animation en 2008 pour Pierre et le loup, ont réalisé un tour de dynamisme en utilisant les oeuvres de Van Gogh pour composer les images du film. Le travail a nécessité huit années de création, étant donné que chaque personnage est joué par des comédiens qui ont tourné des scènes, par la suite repro­duites image par image par une cen­taine d’artistes, avec de la peinture à l’huile, en imitant le style de Van Gogh. Les images peintes ont ensuite été photographiées pour constituer ce film d’animation composé de plus de 62 000 plans.

Le film est à la fois un drame et une enquête. L’histoire débute en 1891, quand le jeune Armand Roulin essaie de comprendre comment et pourquoi le peintre s’est tiré une balle dans la poitrine. La narration autour des cir­constances de la mort de Van Gogh se suit avec plaisir, mais c’est surtout dans la forme que le long métrage est remarquable. C’est comme si l’on regardait le film au bout du pinceau de Van Gogh. Il s’agit donc d’abord d’un film artistique de peinture ani­mée avant d’être un film de cinéma classique. Un film où l’on a plus ou moins forcé le mystère sur la mort de Van Gogh, peut-être afin que l’his­toire ne soit pas vêtue par la densité de la technique utilisée, parfois lourde à assimiler pour l’oeil. Mais pour l’exploit de cette réalisation, La passion Van Gogh vaut certes d’être vu, voire étudié.

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