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Entre Le Caire et Rome, l’aventure de bout en bout

Sayed Mahmoud, Mardi, 17 octobre 2017

Parmi les nombreuses expériences déplorables de migrants illégaux qui ont perdu leur vie en mer, qui ont vécu dans la clandestinité et dans le désarroi en Europe, ou qui ont été refoulés, quelques rares exceptions offrent un modèle réussi d'intégration. Parcours d'un migrant égyptien pas comme les autres.

Entre Le Caire et Rome, l’aventure de bout en bout

Parmi les dizaines de jeunes qui ont signé présents au Forum de Reminy en Italie qui s’est tenu fin août dernier, Tawfiq Al- Sayed, un jeune âgé de 27 ans, qui se tenait aux côtés du ministre italien des Affaires étrangères, Angelino Alfano, dont l’histoire a été jusquelà la plus attirante. Cette initiative Share With All People (SWAP) a été lancée par l’académicien égyptien Waël Farouk, professeur auprès de l’Université catholique à Milan et qui vise à soutenir l’intégration des immigrés.

Tawfiq parle bien l’italien, presque sans accent, pouvant même cacher son identité égyptienne. Il sourit avec réserve à la photo, comme s’il cachait une blessure. Et bien sûr, ce sourire est à l’origine d’un récit pas comme les autres. A en juger par l’attitude du ministre italien des Affaires étrangères qui a posté une photo de lui avec cinq immigrés dont Tawfiq, qu’il a littéralement salué pour le modèle réussi d’intégration et de coexistence qu’il incarne. « Je suis venu à Milan en quête de la vie elle-même ».

Il avait à peine 16 ans lorsqu’il avait décidé d’entamer son périple. Avec en poche juste un certificat d’études secondaires professionnelles. Pour lui, ce certificat ne valait rien ici. « Il était impossible d’obtenir un job pouvant satisfaire mes ambitions », raconte-t-il. La seule issue, selon lui, la plus alléchante surtout était donc de partir. Quitter son village situé à proximité de la municipalité de Minya Al-Qamh dans le gouvernorat de Charqiya. D’abord et comme prévu, la famille, notamment le père, un imam, rejette catégoriquement l’idée. Mais il finit par céder devant l’insistance de la mère, elle-même influencée par les pressions de son fils. Après le consentement, il fallait avoir la somme qui lui faciliterait la sortie sur une barque. « J’ai pu accéder facilement à un passeur connu pour son expérience dans le transfert des individus ». Jusqu’à cet instant, Tawfiq ne focalisait que sur le voyage lui-même, la traversée, sans penser à l’après-départ. Et l’idée que les 20 000 L.E. collectées par ses parents pouvaient lui servir pour commencer un petit projet au sein de son village ne lui a même pas effleuré l’esprit. « Je voulais sortir à tout prix. Je n’ai jamais eu l’idée de me lancer dans quoi que ce soit ici. Je voyais que mon village était fermé, qu’il était difficile d’y créer des opportunités », raconte-t-il.

Risquer le tout pour le tout

Pour lui comme pour beaucoup de jeunes, le salut était le départ. L’aventure vers une Europe qui fait toujours rêver, une aventure qui promet la mort, ou la naissance d’une nouvelle vie. « Mais on est jeune, et on s’imagine tous qu’on est le héros du film Le Tigre noir, du comédien défunt Ahmad Zaki », dit-il en souriant. Doté d’un esprit philosophique, il dit que dans ce genre d’équation, la vie et la mort sont équivalentes. Lorsque je suis parti à bord de la barque, notre village faisait ses adieux à cinq jeunes qui sont tous morts noyés dans les eaux de la Méditerranée. « Je ne sais pas pourquoi j’étais optimiste malgré toute l’obscurité qui m’entourait et qui entourait mes perspectives d’avenir. Je hurlais à ma mère qui ne cessait de pleurer en lui demandant de me laisser à mon sort. C’est dans l’obscurité de la nuit que j’ai quitté les miens et laissé tout derrière moi, prêt à tout, à mourir ou à renaître ».

Entre Le Caire et Rome, l’aventure de bout en bout

Lorsqu’il atterrit en Libye au milieu de l’année 2006, 5 ans avant la chute de Kadhafi, le pays jouissait d’une stabilité financière et politique bien évidente. Pour ce jeune et ses compagnons de route, ce pays était considéré comme une station sécurisée nécessaire avant de se lancer dans la traversée de la Méditerranée. Tawfiq et ses compagnons ont pu traverser le point de passage de Salloum sans grands problèmes, mais le périple qui a suivi cette station ressemblait à un désert infini. « On était des migrants illégaux, et on était traités comme des otages par les passeurs. Ils nous ont, pour ainsi dire, stockés dans des dépôts pendant des mois ». Et de poursuivre : « Nous étions entre les mains de personnes aussi atroces que les hommes de la mafia. Ils nous ont traités comme des marchandises et non comme des êtres humains. Pourtant, ils étaient pour nous notre seule bouée de sauvetage ». Tawfiq raconte que ces passeurs ne leur donnaient qu’un seul sandwich par jour. Il fallait qu’ils perdent du poids pour que la barque puisse transporter un plus grand nombre de jeunes, soit 70 au lieu de 50. Dans cette longue attente, il n’y avait pas que des Egyptiens, mais aussi beaucoup d’Africains de tous âges. « Il était tout à fait normal de trouver un père ayant frôlé la cinquantaine, et son fils à ses côtés n’ayant pas dépassé la vingtaine ; les deux à la recherche d’un gagne-pain ».

Après l’arrivée, le vrai défi

Une fois arrivé sur les cotes italiennes, Tawfiq a vu les rayons du soleil ou plutôt la vie qui le frappent sur son visage. Il les a considérés comme de bon augure après tout ce long et difficile périple. « Après la souffrance d’un voyage de trois jours en pleine mer dans une barque non aménagée, nous avons atteint l’autre rive de la Méditerranée. Je n’avais pas encore eu mes 16 ans, et mes compagnons m’ont dit que c’était une aubaine, parce que j’avais de fortes chances d’être considéré par les forces italiennes comme un enfant, ce qui fait que je ne risquerais pas d’être rapatrié ». Mais l’arrivée sur l’autre côté de la Méditerranée n’est que le début. Il fallait tout commencer. « Ma famille en Egypte a alors réussi à me trouver un tuteur, un Egyptien résidant en Italie. Mais il a disparu, et le tribunal italien m’a donné un délai de trois jours seulement avant mon rapatriement faute de garant. Avec un peu de chance, j’ai trouvé un autre tuteur égyptien, mais qui m’a demandé de partager mon salaire avec lui contre sa signature des papiers. Plus tard, j’ai su qu’il m’arnaquait et qu’il violait la loi, mais c’était tout de même grâce à lui que j’avais réussi à rester en Italie d’une manière légale ». Petit à petit, Tawfiq commence à se faire une vie. Une fois ses papiers en poche, il s’inscrit dans un institut pour apprendre la langue italienne. Mais il ne veut pas s’arrêter là. Il intègre ensuite une école professionnelle, puis l’université. Actuellement, il finalise le dernier semestre avant son obtention d’un master en économie auprès de l’Université de Milan, et il travaille le soir comme réceptionniste.

L’intégration par le travail

Pour réussir, il faut, selon Tawfiq, miser sur deux choix : le travail et l’apprentissage. Lorsqu’il est arrivé en Italie, il était à l’âge de la rébellion. Pourtant, ce périple n’est pas un modèle de réussite, selon Tawfiq, parce que le chemin était périlleux. Pour lui, vivre à l’étranger est un choix difficile, parce que rien n’est sans prix. Il est cependant fier d’avoir compris dès ses premiers jours sur le territoire italien l’importance de l’intégration. « Je me suis ouvert sur l’autre dans tous ses menus détails, ce que je connais et ce que je ne connais pas, je veux tout savoir. Pour m’intégrer totalement, j’ai même cessé de manger des plats égyptiens », raconte-t-il. Virtuose de l’intégration, Tawfiq est fier d’être un membre du mouvement SWAP qui travaille à établir des ponts entre les cultures. Pour lui, l’intégration protège contre maintes formes de racismes. Il considère que les maux desquels souffrent les migrants arabes et musulmans en Europe proviennent de leur réticence à l’intégration, parce qu’ils vivent ghettoisés, uniquement à la recherche de profits matériels.

Dans quelques jours, Tawfiq sera détenteur d’un master et il est devenu de plus en plus convaincu que l’intégration n’a rien à voir avec la religion. « Quand je suis venu en Italie, j’avais un esprit fermé, voire rigoriste. Je n’avais jamais vu de non-musulman dans mon village jusqu’à la fin des études préparatoires. Mon premier collègue chrétien, je l’ai rencontré sur le banc de l’école secondaire et je ne cessais de lui poser des questions à cause du stigma social de mécréants qui leur était collé. Mais j’ai compris qu’il n’avait rien de différent de moi et que cette discrimination n’est que le fruit de traditions sociales erronées provenant de la pauvreté. Cette dernière une fois éliminée, l’ignorance et le fanatisme disparaîtront à leur tour », a-t-il clos la discussion.

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