En passant le seuil du Hadiqet Al-Tifl (jardin de l’enfant) à Madinet Nasr, elle se sent désespérée. Cela fait 9 ans qu’elle fait des démarches pour obtenir la pension alimentaire de son fils âgé de 12 ans. Chaque vendredi, ces pensées défilent dans sa tête lorsqu’elle accompagne son fils dans ce jardin, où il rencontre son père selon le verdict du tribunal l’autorisant à le voir dans un lieu public. « Je me sens vraiment dépressive. Ma vie est paralysée, alors que mon ex-mari mène un train de vie normal. Il s’est remarié, a réussi à fonder une nouvelle famille, et moi je suis livrée à ce sort injuste. Je suis partagée entre mes sentiments maternels et la volonté de vivre ma vie comme je l’entends. Je souffre terriblement et en silence. Personne n’est prêt ni à m’aider, ni à me prêter une oreille attentive », se plaint Siham, une femme de 35 ans.
Dépressifs. Ils sont des millions en Egypte à souffrir de ce mal. Une situation qui a poussé le secrétariat général de la santé mentale et de la lutte contre la toxicomanie (ministère de la Santé) à lancer une campagne pour aider ces personnes. « Parle, tu n’es pas seul », c’est le nom de la campagne. Son objectif ? Aller à la rencontre des gens dépressifs dans les lieux publics. « Nous avons fait le tour du Caire pour fournir aux gens des informations sur la dépression, ce mal du siècle ne cesse de gagner de l’ampleur en Egypte en raison des pressions économiques et du nombre record des divorces. Nous voulons sensibiliser les gens et leur apprendre à faire la différence entre une tristesse momentanée et la dépression nerveuse, qui est de trois sortes : légère, modérée et sévère. Il s’agit de les inciter à parler et à se rendre chez un psychiatre dans l’un des 18 hôpitaux dépendant du secrétariat général de la santé mentale et de la lutte contre la toxicomanie, dont les services sont gratuits », exlique Dr Dalia Al-Sayed, psychiatre et coordinatrice de l’initiative.
Le choix du secrétariat s’est porté sur le jardin de l’enfant, entre autres lieux, pour sensibiliser les gens aux risques de la dépression. Cela n’est pas un hasard, puisque l’endroit accueille chaque vendredi environ 600 enfants de parents divorcés, qui viennent y rencontrer leur père ou leur mère, conformément à la loi du droit de visite, article numéro 1 087 du code civil de l’an 2000.
Informer pour sensibiliser
Les psys vont à la rencontre des gens.
La dépression peut avoir des conséquences graves. Elle constitue la deuxième cause de suicide dans le monde chez les jeunes, selon un dernier rapport de l’OMS. Atteindre le plus grand nombre de personnes possible est donc un objectif important. « Nous avons fait le tour des jardins publics, des centres de jeunesse et des bibliothèques. Nous étions récemment au parc d’Al-Azhar, et la semaine prochaine, nous irons à la bibliothèque d’Héliopolis où un film sera projeté sur le thème de la dépression. Ensuite, nous serons présents à Saqiet Al-Sawi (Culturewheel), le 10 octobre prochain, lors de la Journée mondiale de la santé psychique », indique Al-Sayed.
Au jardin de l’enfant, Omar Salah, psychologue de 23 ans, s’adresse à une mère de famille. Il veut l’inciter à parler. « Comment savoir que votre enfant souffre d’un trouble psychique, d’une dépression ? », lance le psychologue. Il commence ensuite à expliquer les signes avant-coureurs de la maladie. « Les symptômes les plus courants sont les troubles de l’humeur, un état de grande tristesse, la perte d’appétit et d’intérêt pour toute chose dans la vie, ainsi que les troubles de sommeil, de la fatigue et un manque de concentration ».
Eliminer les fausses idées
Les larmes aux yeux, une femme de 42 ans l’interroge sur les causes de la dépression, car elle pense en souffrir. « La dépression peut être génétique ou due à un manque de certains neurotransmetteurs comme la sérotonine et la dopamine », énumère le psychologue en tentant de lui fournir le maximum d’informations scientifiques. « On veut éliminer certains préjugés et encourager les gens à aller voir le psychiatre. L’objectif de la campagne est d’aider les personnes atteintes de dépression à reconnaître leur maladie et à prévenir les risques de suicide », commente Omar Salah. Il ajoute : « Nous avons rencontré beaucoup de personnes qui voient la vie en noir. Elles se sentent étouffées comme si elles étaient enfermées dans une chambre barricadée. Nous tentons alors de les aider à trouver une issue, et surtout de les convaincre à se soigner en leur expliquant qu’il existe un remède à la dépression ». Omar montre à la patiente les noms de personnes très connues qui ont souffert de troubles psychiques, comme l’actrice Catherine Zeta Jones, le peintre Van Gogh, Napoléon Bonaparte et le philosophe Nietzsche. Et ce, pour l’encourager à se rendre chez un psychiatre.
Dans un autre coin du parc, une autre psychologue bénévole tente d’expliquer les troubles psychiques et l’importance du traitement par chocs électriques pour les personnes hyperdépressives ou obsédées par l’idée du suicide. « Les chocs électriques régulent le rythme du cerveau. Bien que ce soit un remède très efficace, les médias l’ont critiqué, le considérant comme une torture pour le malade. Ce qui a eu un impact négatif sur les gens. C’est la raison pour laquelle les spécialistes ont changé le nom de chocs électriques en séances médicales pour organiser le rythme du cerveau », explique la psychologue. Elle ajoute qu’avant d’effectuer ces séances, qui se déroulent selon un procédé décidé par le médecin et sous anesthésie totale, le patient doit se soumettre à une consultation générale.
Aller à la rencontre des patients
Chaïmaa Mohamad, psychologue bénévole de 23 ans, insiste sur l’importance d’aller à la rencontre des gens : « Sur le terrain, nous sommes proches des gens et pouvons fournir des informations scientifiques à la portée de tout le monde, surtout que la maladie mentale ne fait pas de distinction entre le riche et le pauvre. Ce qui a été surprenant pour nous, c’est que dès que nous avons commencé à discuter avec elles, nombreuses sont les personnes qui se sont confiées à nous. Cela montre qu’elles ont vraiment besoin de notre aide. La particularité de l’initiative est que nous nous rendons chez le patient, là où il se trouve », dit-elle, tout en donnant l’exemple d’une épouse qui a profité, le temps que son mari aille garer sa voiture, de lui parler de ses souffrances.
Les moyens via lesquels la campagne tente d’accéder aux gens sont variés. Outre l’équipe de 11 bénévoles équipés d’un guide sur l’abc de la maladie psychiatrique et de brochures, une chaîne spécialisée sur Youtube diffuse des films, afin de sensibiliser le public aux troubles psychiques. Sans compter les services des hôpitaux que les patients peuvent atteindre au 08 00 88 80 700 ou au 02 20816831, ainsi que sur www.mentalhealthegypt.com, Facebook ou Twitter (page officielle du secrétariat général pour la santé psychique en arabe). Le secrétariat général de la santé mentale organise par ailleurs un grand événement le 6 octobre prochain, qui aura lieu à l’hôpital de Abbassiya, le plus connu en matière de santé psychique en Egypte. Les participants feront du vélo avec les patients, afin de montrer que ce sont des gens comme tout le monde.
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