L’éminent intellectuel Sarwat Al-Kharabawy est considéré sans aucun doute comme une référence en matière de confrérie des Frères musulmans. Il a de vastes connaissances sur leur idéologie et leurs politiques. Il a également fait une lecture des événements historiques qui ont été rendus publics et ceux pas très connus. Il faut dire que la face cachée des Fréres cause parfois des désastres portant parfois préjudice aux vies des citoyens.
Sarwat Al-Kharabawy a connu les Frères de près depuis qu’il était membre de la confrérie et a de surcroît occupé une position de commandement. Mais il s’est détaché d’eux lorsqu’il s’est rendu compte de leur réalité. C’est cet itinéraire qui le place dans une position de choix lorsqu’il est question de porter un jugement sur les Frères.
De là émane l’importance de son livre portant le titre Est-ce que Nasser était Frère ?, qui vient de sortir dans la collection de Kitab Al-Youm (livre du jour) publiée par la fondation Akhbar Al-Youm. Malgré le petit format du livre de 134 pages, il n’en demeure pas moins qu’il traite de la question des Frères basée sur des témoignages qu’il a vécus. Le livre est sous forme d’enquête et comprend des attestations et documents qui n’ont jamais été publiés sur la réalité de la relation entre le zaïm feu Gamal Abdel-Nasser et la confrérie. Ce thème avait d’ailleurs fait l’objet du feuilleton ramadanesque Al-Gamaa, du grand écrivain Wahid Hamed, qui a illustré Nasser en train de prêter allégeance aux Frères. Le livre d’Al-Kharabawy est venu affirmer de manière décisive l’inexistence de ce lien. Il faut tout de même admettre que Wahid Hamed a présenté un feuilleton de bonne qualité au beau milieu d’une production télévisée chaotique en quelque sorte.
Bien que je suspecte ces informations, tout l’itinéraire de Nasser les contredit, il n’en demeure pas moins que le feuilleton de Wahid Hamed a eu l’avantage d’ouvrir ce dossier que Sarwat Al-Kharabawy a clos avec des témoignages affirmés. J’espère que nous soumetterons toute notre histoire à la recherche et à l’étude d’autant plus que de nombreux points doivent être reconsidérés.
Le livre d’Al-Kharabawy n’a ignoré aucune source pouvant faire office de témoignage dans la relation Nasser/Frères musulmans, y compris le propos de Nasser lui-même. Cependant, il n’a pas pris ces témoignages tels quels, mais il les a soumis à l’étude et à l’analyse à partir d’une perspective très spéciale d’un témoin de l’histoire qui a côtoyé les Fréres. Il savait tout de leur nature, leurs traditions, les statuts internes qui régulaient leur travail. Cette connaissance de près qui invalide des témoignages faits par d’autres personnes. Il ne s’est pas contenté des témoignages qui ont circulé pendant longtemps, mais il a rajouté d’autres et a levé le voile sur des documents jamais connus auparavant. Tous ces documents prouvent que Nasser désirait simplement conclure des coalitions autour de causes de nature nationale. Une alliance qui a été rompue dès qu’il s’était rendu compte de leur réalité. Mais jamais il ne leur prêta allégeance ni ne s’est rallié à eux.
Personnellement, je ne vois aucun inconvénient à la coalition de Nasser avec les Frères à un moment de son histoire. Il était un jeune patriote soucieux de libérer son pays de la colonisation, de la corruption, de l’ignorance et de l’arriération. Il était normal à l’époque de se rapprocher de toutes les organisations qui se proclamaient patriotiques, les Frères comme tous les autres acteurs de la scène politique, tels que le Wafd, Misr Al-Fatat et autres. C’est pour cette raison que Nasser s’est approché des Frères sans qu’il soit pour autant convaincu de leur idéologie comme il a tenu des liens avec les autres acteurs. En fin de compte, il a présenté une nouvelle idéologie qui lui est propre et qui reposait sur la réforme interne avec pour piliers la modernisation, l’industrialisation et la justice sociale. Sa politique étrangère misait sur le non-alignement, la libération et le nationalisme arabe.
Historiquement parlant, il n’est pas important que Nasser appartenait aux Frères, au Wafd ou à Misr Al-Fatat, mais il a disconnecté avec tous. La valeur de ce zaïm, qui est inégalé dans toute l’histoire moderne du monde arabe, réside dans l’idéologie alternative qu’il a adoptée et qui a eu incontestablement le dessus. Non seulement dans la région, mais aussi dans le tiers-monde au milieu du XXe siècle. Il a changé certes la carte mondiale et a ouvert une nouvelle page dans l’histoire. Le monde après Nasser ne fut jamais ce qu’il était avant .
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