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Corée du Nord-Etats-Unis : La guerre des mots

Maha Al-Cherbini avec agences, Mercredi, 16 août 2017

La crise entre Pyongyang et Washington a pris cette semaine de nouvelles proportions avec une véritable rhétorique de guerre de part et d'autre. L'option d'un conflit nucléaire est toutefois peu probable.

Corée du Nord-Etats-Unis : La guerre des mots
Les habitants de l'île de Guam ont déclenché des manifestations pour appeler à la paix. (Photo : AP)

Sommes-nous au bord d’une guerre nucléaire ? Si l’option reste peu probable, c’est une vraie guerre de mots que se sont échangés Pyongyang et Washington ces derniers jours. Une surenchère sans précédent, une escalade verbale hors pair, les deux pays brandissant pour la première fois la menace de passer à l’acte.

En fait, la crise a éclaté quand le président américain, Donald Trump, a haussé le ton la semaine dernière contre Pyongyang, menaçant de recourir à l’option militaire pour stopper ses provocations nucléaires : « Les solutions militaires sont maintenant en place, et prêtes à l’emploi, si la Corée du Nord se comporte imprudemment ». Mais que veut dire exactement, pour Trump, « imprudemment » ?

Pour justifier les propos du président américain, Mike Pompeo, directeur de la CIA, a estimé dimanche que la Corée du Nord développait « à un rythme alarmant » ses capacités à lancer une attaque nucléaire contre les Etats-Unis. Et Pyongyang ne s’est évidemment pas tu. Faisant monter les enchères, la Corée du Nord a menacé de lancer une attaque contre l’île américaine de Guam, avant-poste stratégique des forces américaines dans le Pacifique. Et pour montrer que c’est du sérieux, l’armée nord-coréenne doit présenter au président Kim Jong-Un un plan d’offensive contre Guam avant la fin août. « Trump est en train de mener la situation dans la péninsule coréenne au bord d’une guerre nucléaire », a également lancé l’agence officielle nord-coréenne KCNA. Une déclaration à laquelle le locataire de la Maison Blanche n’a pas tardé à répondre. « L’arsenal nucléaire américain est le plus fort et le plus puissant du monde », a-t-il mis en garde.

Selon les analystes, d’éventuels tirs vers Guam placeraient Washington dans une position délicate : si les Etats-Unis ne tentaient pas de les intercepter, leur crédibilité en prendrait un coup et Pyongyang se sentirait pousser des ailes pour mener de nouveaux tests de missiles balistiques intercontinentaux (ICBM). En juillet, la Corée du Nord a mené deux tirs réussis de missiles ICBM, mettant une bonne partie du continent américain à sa portée.

Des évolutions qui donnent l’impression que l’on est réellement au bord d’une guerre. Un scénario toutefois peu probable. Selon Dr Hicham Mourad, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, le risque d’une guerre nucléaire est complètement exclu. « Il s’agit de simples menaces de part et d’autre. Aucune des deux parties n’oserait recourir à une frappe nucléaire, une ligne rouge. Il est tout à fait possible que Pyongyang ait recours à une attaque militaire contre l’île de Guam mais avec des armes conventionnelles, mais jamais avec des armes atomiques », explique le politologue. Selon lui, il y a d’autres objectifs à cette surenchère. « Kim Jong-Un est un jusqu’au-boutiste qui fait monter les enchères pour réaliser des gains à plusieurs niveaux. Côté économique, la Corée du Nord est un pays au bord de la famine : l’arme nucléaire est un moyen de chantage qui vise à collecter des gains économiques.Côté politique, Kim Jong-Un aspire à casser son isolement sur la scène internationale et obtenir une sorte de reconnaissance de son régime par les superpuissances pour rejoindre le concert des nations. Dernier motif : le régime stalinien attise des conflits avec une superpuissance comme les Etats-Unis pour gagner une certaine popularité dans son pays et détourner l’attention de son peuple de ses échecs intérieurs », affirme Dr Mourad.

Cela n’empêche pas que Pyongyang joue avec le feu, et que cette stratégie à hauts risques n’a aucunement profité à Kim Jong-Un jusqu’à présent. « Toute erreur de calcul de la part de Kim Jong-Un pourrait déclencher une guerre entre les deux pays. Si Pyongyang frappe Guam et blesse un soldat américain ou nuit à la base militaire américaine là-bas, Trump va sans doute frapper la Corée du Nord », prévoit Dr Mourad.

Tentatives de contenir la crise

Cette rhétorique va-t-en-guerre entre deux présidents aux positions radicales a attisé les inquiétudes de la communauté internationale qui a appelé à la « retenue ». Mais elle a aussi inquiété à l’intérieur des Etats-Unis, où des responsables de l’Administration américaine ont tenté de tempérer les propos de Trump. Samedi 12 août, le secrétaire américain à la Défense, Jim Mattis, et le secrétaire d’Etat américain, Rex Tillerson, ont insisté sur le fait que « l’effort américain est porté par la diplomatie », mettant en garde contre le scénario « catastrophique » d’un conflit armé. « L’Administration américaine joue l’apaisement pour adoucir les propos jusqu’au-boutistes de Trump. Les technocrates aux Etats-Unis sont contre la politique d’intimidation : ils privilégient l’option diplomatique pour ne pas sombrer dans une guerre sans merci avec Pyongyang », explique Dr Mourad.

Côté international, le Conseil de sécurité de l’Onu a voté à l’unanimité un septième volet de sanctions qui sont les plus « sévères » contre la Corée du Nord, alors que l’Union européenne a ajouté de nouvelles personnalités et entités nord-coréennes sur sa liste noire, qui comprend désormais 103 personnes et 57 entités. En faisant des pressions économiques sur Pyongyang, les dirigeants mondiaux tentent d’éloigner le spectre de la guerre et de contenir une crise qui va s’aggraver à l’approche des exercices militaires conjoints entre Séoul et Washington le 21 août.

Quel rôle pour Pékin ?

Reste à savoir si ces pressions porteront leurs fruits. Pour l’instant, la plupart des experts restent dubitatifs sur l’efficacité des sanctions touchant aux exportations nord-coréennes à cause du soutien de Pékin à son voisin communiste. La Chine compte déjà 90 % des échanges commerciaux de la Corée du Nord et a déjà été accusée dans le passé de ne pas vouloir appliquer des sanctions contre le régime coréen, même si cette fois-ci, sous forte pression internationale, Pékin a approuvé cette dernière volée de sanctions contre la Corée du Nord. Mais la Chine a toujours été accusée par les Etats-Unis de « mollesse » face à Pyonyang, Donald Trump estimant que la Chine pourrait « faire beaucoup plus » pour mettre la pression sur son turbulent voisin. Haussant le ton à Pékin, Trump a lancé lundi une procédure pouvant déboucher sur des sanctions contre la Chine dans le domaine de la propriété intellectuelle.

Entre l'enclume et le marteau, Pékin a tenté de jouer l’apaisement, exhortant Pyongyang et Washington à « faire preuve de prudence ». Samedi 12 août, le président chinois, Xi Jinping, a pressé, lors d’un entretien téléphonique, son homologue américain d’éviter « les mots et les actes » qui pourraient « exacerber » les tensions. En effet, la Chine a proposé à plusieurs reprises un double « moratoire » : l’arrêt simultané des essais nucléaires et balistiques nord-coréens d’une part et celui des manoeuvres militaires conjointes des Etats-Unis et de la Corée du Sud d’autre part. Une solution rejetée par Washington qui ne veut faire aucune concession face à Pyongyang. « Pékin est dans une situation embarrassante. En acceptant les sanctions, il tente de faire des pressions plus ou moins mesurées sur son voisin turbulent de peur de perdre le contrôle de son allié rebelle. Pékin ne veut pas resserrer l’étau autour du régime de Kim Jong-Un car son effondrement conduirait à une éventuelle réunification de l’île sous tutelle américaine. De plus, la poursuite de la crise nord-coréenne embête Pékin, car elle implique une présence américaine dans la région du sud-est asiatique, sa zone d’influence », explique notre expert. Selon des diplomates à l’Onu, Pékin serait obligé d’appliquer strictement les sanctions cette fois-ci car la crise est à son comble et il ne pourrait plus se désengager des sanctions.

Face à cette conjoncture, la seule issue semble le retour à la table des négociations à six (Corée du Nord, Corée du Sud, Etats-Unis, Chine, Japon, Russie) interrompues en 2008. Mais le problème est que, selon Dr Mourad, « Kim Jong-Un n’est pas flexible comme son père Kim Jong Il, qui voulait stopper son programme nucléaire en contrepartie d’aides économiques et énergétiques. Ce qui fait que la reprise des négociations avec un leader aux positions aussi radicales semble difficile pour le moment ».

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