La grève a donné lieu à 25 millions de L.E. de pertes.
15 000 ouvriers et fonctionnaires de l’usine de textile de Mahalla sont en grève depuis une semaine. Raison : ils protestent contre le non-paiement de leurs primes. Les grévistes accusent la direction de mauvaise gestion, ce qui a entraîné des pertes matérielles et donc une baisse des revenus des ouvriers.
Entamée le 6 août dernier, cette grève a entraîné l’arrêt de toutes les lignes de production, ce qui a causé jusqu’à présent des pertes estimées à 25 millions de L.E. Les médiations se poursuivent entre les grévistes et la direction de l’usine à la recherche d’un compromis permettant de désamorcer la crise. Le conseil d’administration de l’usine n’a payé aux ouvriers ni la prime annuelle de 10 %, ni la prime de cherté de la vie, également de 10 %, décidées cette année par le gouvernement. Ils réclament aussi l’augmentation de la prime de panier, de 210 L.E. à 500 L.E. Des revendications qu’ils jugent équitables pour pouvoir faire face aux répercussions de la dévaluation de la monnaie et à la flambée des prix. Or, le conseil d’administration se rattache à son refus de satisfaire à leurs revendications, sous prétexte que ces primes concernent uniquement le secteur public et ne s’appliquent pas au secteur des affaires, d’autant plus que l’usine a subi des pertes financières.
Dans une tentative d’apaisement, Mohamad Wahballah, vice-président de la commission de la main-d’oeuvre au parlement, et secrétaire général de l’Union Générale des Syndicats Ouvriers (UGSO), promet d’oeuvrer pour régler le problème. « L’union négocie avec le gouvernement et la direction de l’usine pour payer cette prime à titre exceptionnel aux ouvriers du secteur des affaires au même titre que les secteurs public et privé », rassure Wahballah.
Malgré la grève, le calme règne à Mahalla
Jeudi 10 août, dans les locaux de l’usine de textile de Mahalla, qui s’étend sur environ 600 feddans et où travaillent plus de 15 000 ouvriers, l’ambiance paraît presque normale. Rien ne laisse entrevoir qu’il y a des contestations. Tout paraît calme. Les ouvriers sortent à la fin de la journée de travail comme d’habitude. Mais les journalistes, eux, sont empêchés d’accéder à l’usine. L’usine de Mahalla est l’une des plus anciennes de l’industrie textile égyptienne. Elle date de 1932 et a été le fer de lance du mouvement des ouvriers depuis les années 1960. On se souvient encore des célèbres manifestations de 2006, qui avaient mené à la création du mouvement de protestation du 6 Avril, fer de lance de la révolution du 25 janvier 2011.
« On vient tous les jours aux horaires normaux, mais toutes les lignes de production sont à l’arrêt. L’administration ne nous a pas laissé pas d’autre choix pour réclamer nos droits », affirme Waël Habib, un autre ouvrier. Il explique que les cadres ouvriers qui organisaient les grèves depuis des années ont été transférés dans d’autres administrations. Certains ont même été licenciés. « C’est ce qui explique ce calme », dit-il.
Au-delà de l’affaire des primes
En ce qui concerne la position de la direction de l’usine qui refuse de se plier aux revendications des ouvriers, certains l’imputent à la mauvaise gestion qui a causé des pertes colossales dans ce secteur industriel des plus importants. Les ouvriers ne réclament pas seulement le paiement des primes, mais également une meilleure gestion de leur usine. « Il existe d’autres usines dépendant aussi du secteur des affaires comme celles qui produisent l’huile, le savon ou encore celles de l’industrie sidérurgique qui ont payé les primes aux ouvriers. Mais notre usine refuse de le faire à cause des pertes. Chaque année, c’est le même problème. On nous dit qu’il n’y aura pas de prime de fin d’année, car les bénéfices réalisés par la compagnie sont modestes. Et ceci alors que les problèmes de fond ne sont jamais résolus, comme la mauvaise gestion de l’entreprise », se plaint Feissal Lakoucha, cadre ouvrier de l’usine.
Il explique que la situation a commencé à se détériorer dans les années 1990, lorsque le gouvernement a arrêté son soutien à la culture du coton. « L’usine a besoin de gros investissements pour réaliser des bénéfices. Aujourd’hui, le nombre modeste de paysans qui cultivent le coton préfère le vendre aux hommes d’affaires qui l’utilisent dans leurs usines privées ou l’exportent. Résultat : les usines de Mahalla se sont trouvé obligées d’importer du Soudan du coton de mauvaise qualité par rapport au coton égyptien. Les produits fabriqués avec ce genre de coton ne peuvent pas concurrencer sur le marché les autres produits fabriqués avec le coton égyptien », explique Lakoucha. Il ajoute que l’usine souffre aussi d’un manque de machines et de main-d’oeuvre à cause de la politique d’austérité. La direction a réduit le nombre d’ouvriers. Celui-ci est passé de 27 000 en 2006 à 15 000 aujourd’hui. « Les conditions dans lesquelles on travaille expliquent bien les pertes subies par l’usine qui sont passées de 70 millions de L.E. en 2007 à 400 millions en 2016. Or, pourquoi les ouvriers endosseraient-ils l’échec d’une administration qui ne semble pas vouloir faire sortir l’usine de sa détresse ? », fustige Lakoucha. Il demande au gouvernement de donner un coup de main. « Si l’Etat n’aide pas les usines, rien ne pourra changer. L’usine a besoin de beaucoup d’investissements pour réaliser des bénéfices. Cette modernisation nécessite un plan gouvernemental, organisé et sérieux, qui permet aux usines de réaliser des bénéfices et de rendre les salaires des ouvriers plus convenables », appelle-t-il. Sur un autre volet, Fatma Ramadan, militante ouvrière, trouve que tant que les ouvriers « n’ont pas de syndicat indépendant qui défende leurs droits, leur malaise persistera ». En fait, l’UGSO reste la seule force syndicale représentant les ouvriers. Certains estiment que cette union est une formation gouvernementale qui ne s’aligne pas sur le côté des ouvriers. Après la révolution de 2011, 800 syndicats indépendants et 2 confédérations de syndicats indépendants ont été créés. Or, le statut de ces formations syndicales n’a pas été légalisé jusqu’à présent et la loi ne reconnaît que l’UGSO comme représentant officiel des ouvriers .
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