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Libye : Une nouvelle feuille de route

Ahmad Eleiba, Mercredi, 02 août 2017

La rencontre à Paris entre le chef du gouvernement d'union nationale, Fayez Al-Sarraj, et le maréchal Khalifa Haftar représente une percée sur la voie de la réconciliation libyenne, après des mois de piétinement.

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Rencontre à l'initiative du président français, Emmanuel Macron, entre les Libyens Sarraj et Haftar. (Photo : AFP)

Le Chef du Gouvernement d’union nationale (GNA) Fayez Al-Sarraj s’est réuni la semaine dernière en région parisienne avec le commandant de l’armée nationale, Khalifa Haftar, sous les auspices du président français Emmanuel Macron. Il s’agit de la deuxième réunion entre les deux hommes en trois mois après celle qui a eu lieu à Abu-Dhabi en mai dernier et qui s’est soldée par aucun accord concret. La réunion de Paris, en revanche, a donné lieu à une déclaration conjointe de dix points portant sur certains sujets qui ont été abordés pour la première fois. Dans leurs déclarations à la presse, les deux responsables libyens ont laissé entendre un certain rapprochement de vues. Interviewé sur France24, Sarraj a déclaré que la réunion de Paris serait suivie par d’autres rencontres avec la participation du Haut conseil d’Etat et du Conseil des députés. Ajoutant que le dialogue serait élargi pour inclure les acteurs institutionnels, sécuritaires et militaires de l’Etat. D’après Sarraj, les points essentiels de la feuille de route ont été inclus dans la déclaration de Paris. Sarraj a insisté sur l’importance d’un cessezle- feu (qui ne doit pas s’appliquer à la lutte contre le terrorisme), et sur l’unification des institutions de l’Etat, pour aboutir à des élections présidentielle et parlementaires. L’objectif final, selon lui, serait la construction d’un « Etat civil et démocratique ». C’est à peu près le même discours qu’a tenu le maréchal Haftar dans ses déclarations au Journal londonien Al- Hayat. « Après la chute de Kadhafi, on s’attendait à une reconstruction de l’Etat, or, ce fut le chaos. Aujourd’hui, nous voulons que le pays retrouve sa stabilité à travers un régime démocratique », a-t-il déclaré.

Haftar s’est surtout intéressé au dossier de l’armée, affirmant qu’il resterait aux commandes. Dans ses déclarations, il a fait savoir que ses entretiens avec Sarraj n’ont pas abordé les candidatures à la future élection présidentielle. Pour ce qui est du dossier militaire et sécuritaire, Sarraj a évoqué la possibilité d’une réunification de l’armée nationale avec les forces loyales au GNA, ajoutant qu’une réunion d’officiers libyens aurait lieu prochainement au Caire pour en discuter. « Certains de ces officiers appartiennent à l’armée nationale et d’autres viennent de Misrata. D’aucuns prétendent, contrairement à la vérité, que les deux parties ont des choses à se reprocher. En fait, nous sommes tous les fils d’une même institution et on ne reconnaît pas le cloisonnement est-ouest », a-t-il poursuivi. Des propos qui renvoient à l’article 34, relatif aux arrangements sécuritaires de l’accord politique interlibyen.

Le soutien du Caire

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(Photo : AFP)

Des sources au Caire affirment que ces principes ont déjà été acceptés par les deux hommes lors de leurs négociations en Egypte en février dernier. Ces négociations avaient pour objectif de parachever une feuille de route pour une sortie de crise. « L’Egypte a soutenu toutes les démarches qui ont conduit à la réunion de Paris qu’elle salue. Le Caire accueillera les réunions portant sur la restructuration de l’institution militaire libyenne et la formation d’un comité conjoint formé de membres du parlement et du Haut conseil d’Etat qui sera accepté par ces deux institutions », affirment ces sources. « Nous déployons tous des efforts pour intégrer les combattants qui le souhaitent au sein des forces régulières et appelons au désarmement, à la démobilisation et à la réintégration des autres dans la vie civile. L’armée libyenne sera constituée de forces militaires régulières assurant la défense du territoire libyen dans le respect de l’article 33 de l’accord politique interlibyen », lit-on dans la déclaration des parties libyennes réunies à Paris. Citant un diplomate français, une source cairote affirme que les positions du Caire et de Paris sur le dossier libyen étaient proches. « Il est important que les pays qui ont une présence en Libye aient des positions proches. Et ce, pour des raisons sécuritaires, mais aussi pour lutter contre l’immigration clandestine. Il faut que chacun de ces pays prenne en considération les intérêts des autres pays, ce qui devrait se traduire par une coordination et un partage de décisions », affirme la source. « Des sources au ministère français de la Défense m’avaient affirmé en février dernier, soit 3 mois avant l’élection de Macron, que le général Haftar bénéficiait du soutien de la France », ajoute la source, commentant la déclaration du président Macron faisant allusion à la légitimité de Haftar et Sarraj, lors de la conférence de presse conjointe. Dans le même contexte, une source politique française proche du dossier a confirmé l’intention du président Macron de n’épargner aucun effort pour que la Libye retrouve sa stabilité. C’est un engagement qui s’inscrit dans le cadre de la lutte contre l’immigration clandestine et la lutte antiterroriste, selon la source. Mais cette même source note que la rencontre de Paris n’a pas réuni tous les protagonistes libyens, ce qui, selon elle, ne manquera pas de rendre encore plus difficile la conclusion d’un accord final.

Les réunions de Paris ne se sont pas limitées aux deux principaux protagonistes libyens, mais ont inclus d’autres parties arabes et européennes, en plus du nouvel émissaire onusien pour la Libye, Ghassan Salamé, qui a été le dénominateur commun dans toutes les réunions. Parmi les réunions importantes figurent celles du chef de la diplomatie égyptienne, Sameh Choukri, avec Khalifa Haftar, Fayez Al-Sarraj et Ghassan Salamé. Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Ahmad Abou- Zeid, a déclaré que le chef de la diplomatie égyptienne avait salué la réunion de Haftar et Sarraj à Paris, la considérant comme un pas important sur la voie de la réconciliation. Toujours selon le porte-parole, Sarraj a informé le ministre égyptien des détails de sa réunion avec Haftar qui s’est déroulée dans un esprit positif et avec une vraie volonté de dialogue. Sarraj a également insisté sur l’importance de l’accord de Skhirat comme base à toute solution négociée.

Outre Paris, Sarraj s’est rendu à Rome et à Alger. Il a affirmé avoir demandé à l’Italie de lui fournir un appui technique et un soutien naval pour lutter contre le trafic de migrants. « Il serait difficile, dans la phase actuelle de transition, que les demandes libyennes en armement soient satisfaites. Cela dit, la Libye a un besoin important en armes pour faire face aux menaces », estime l’expert militaire Mohamad Kachkouch. En Algérie, Sarraj a informé le premier ministre algérien, Abdelmadjid Tebboune, de ses rencontres à Paris, ce que ce dernier a considéré comme une « évolution positive ». Des observateurs au Caire estiment que ces rencontres diplomatiques et la coordination dans le cadre de la Ligue arabe contribueraient aux efforts de pacification. Bref, la rencontre de Paris représente une percée sur les volets politique et sécuritaire en Libye après des mois de piétinement. Elle indique que les intérêts des parties concernées par la crise libyenne commencent enfin à converger.

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