Des soldats de l'armée nationale libyenne en patrouille à Qanfudah au sud de Benghazi.
(Photo : AFP)
Au cours des deux dernières années, l’Egypte, avec l’Italie, l’Allemagne et le Royaume-Uni, trois pays européens qui suivent de près les évolutions en Libye depuis 2011, ont relevé les liens importants qu’entretenaient des terroristes actifs en Europe avec les réseaux djihadistes en Libye. Ce fut le cas, par exemple, de Salman Abedi, auteur de l’attentat suicide de Manchester. Les services de renseignements allemands ont, de leur côté, intercepté des appels entre un extrémiste et des membres d’un groupe affilié à Daech, acculés dans le sud de la ville de Syrte. Rappelons que la coalition militaire d’Al-Bunyan Al-Marsous, fidèle au Gouvernement d’Union Nationale (GUN), a réussi fin 2016 à récupérer le contrôle de la ville de Syrte des mains de Daech. Alors que depuis deux ans, plusieurs forces libyennes, que ce soit à l’est du pays comme l’armée nationale du général Khalifa Haftar, ou à l’ouest comme Al-Bunyan, le Conseil militaire de la ville libyenne de Sabratha, ou encore le Conseil consultatif des Moudjahidine de Derna (qui se revendique d’Al-Qaëda), ont toutes combattu, pour des raisons diverses, Daech à Derna, Benghazi, Syrte et Sabratha. Malgré l’efficacité de ces combats qui ont réussi à déloger les combattants de Daech de leurs bastions, la crise politique, les divisions institutionnelles et la guerre civile ont vidé ces avancées sur le terrain de tout sens. Plusieurs incidents prouvent que Daech a réussi à conclure des arrangements avec certaines parties belligérantes en Libye.
Ainsi, dans la ville de Derna, des éléments du groupe extrémiste ont pris la fuite vers Syrte en juin 2016 après des combats contre le Conseil consultatif des Moudjahidine de Derna. Leur convoi n’a rencontré aucune résistance de la part de l’armée nationale qui, pourtant, dispose de plusieurs postes à Benghazi et Ajdabiya sur la route menant à Syrte. Le même scénario s’est reproduit à Benghazi en janvier 2017, suscitant des points d’interrogation dans les milieux locaux. Les rapports des experts onusiens ont noté ces deux dernières années une activité accrue des combattants de Daech dans plusieurs zones du pays, ainsi que les relations qu’ils ont tissées avec certains acteurs locaux. Ces mêmes rapports, dont le plus récent a été soumis au Conseil de sécurité le mois dernier, expliquent comment Daech a exploité les divisions politiques qui minent le pays pour se procurer des armes et des munitions auprès des milices locales. De même source, on ajoute qu’à Syrte, lors des combats opposant les forces d’Al-Bunyan à Daech, ce dernier avait acheté des armes et des munitions à Oussama Al-Jedran, frère d’Ibrahim Jedran, responsable des gardiens des sites pétroliers.
Deux listes terroristes
En parlant de terrorisme en Libye, il existe une liste internationale et une autre locale. Celle de l’Onu inclut des groupes comme Ansar Al-Charia, Al-Qaëda et l’Etat islamique. A ces trois organisations, les autorités libyennes ajoutent d’autres groupes comme les Frères musulmans, le Groupe Islamique Combattant en Libye (GICL, Al-Gamaa Al-Islamiya Al-Moqatila), ainsi que certains groupes d’opposition. La liste locale des groupes terroristes est donc plus aléatoire et contribue à l’aggravation de la crise dans la mesure où elle inclut les opposants. Le mois dernier, dans la foulée de la rupture des relations diplomatiques avec le Qatar, le Comité libyen de défense et de sécurité nationales (qui dépend du Conseil des députés et du gouvernement de transition) a ajouté une cinquantaine de noms, dont des hommes politiques, à la liste des entités terroristes. Depuis 2014, un nouveau front terroriste est apparu en Libye, regroupant des groupuscules et des milices armées d’obédience islamiste, dont le Conseil consultatif des révolutionnaires et le Conseil consultatif des Moudjahidine, qui ont fait leur apparition à Derna, Benghazi et Ajdabiya. Le Conseil des Moudjahidine de Derna, à titre d’exemple, regroupe des éléments appartenant aux Frères musulmans et d’autres appartenant au Bataillon des martyrs d’Abou-Sélim (ex-combattants de la Gamaa des combattants libyens dissoute en 2009). Sans parler d’Ansar Al-Charia, ce groupuscule créé en juin 2012. Alors qu’un Conseil consultatif des révolutionnaires de Benghazi vient d’être créé dans cette ville. Il regroupe des milices islamistes, des jeunes habitants et des éléments d’Ansar Al-Charia, qui fait aussi partie du conseil d’Ajdabiya. Ces conseils consultatifs des révolutionnaires et des Moudjahidine qui combattent l’armée nationale du général Haftar ne comptent pas dans leurs rangs des éléments de Daech. En fait, leur relation avec celle-ci oscille entre l’hostilité (comme c’est le cas à Derna) et la coopération (comme c’est le cas à Benghazi et Ajdabiya). Cette coopération a, bien entendu, alimenté la guerre qui fait ravage dans le pays, ainsi que l’hostilité vis-à-vis de l’armée nationale du général Haftar. Au sein même d’Ansar Al-Charia, il y a eu une division entre des conseils consultatifs et les partisans de Daech, ce qui a eu pour résultat la dissolution du groupe en juin dernier dans la foulée des pertes qu’il a subies dans les combats et de l’assassinat de la majorité de ses cadres.
Daech, le plus actif
Parmi cette multitude de groupuscules et d’organisations djihadistes, c’est Daech qui a été le plus actif en Libye durant ces trois dernières années. Pour ce qui est d’Al-Qaëda, cette organisation a fait de la Libye une base logistique pour ses attentats dans les pays voisins, dont les plus récents ont été perpétrés à Ain Amenas, dans le sud-est de l’Algérie, et trois autres attentats au Niger. Cela dit, Al-Qaëda n’a pas eu le même niveau d’activité en Libye que le groupe Daech lequel, malgré les frappes qui l’ont affaibli, reste actif dans plusieurs régions du pays.
Les Libyens, qui sont généralement attachés à leur culture et au système de valeurs de leur société, semblent rejeter les organisations djihadistes. Ce constat est aussi valable au sein même de ces organisations. En juin 2016, un commandant de Daech à Syrte, Abou-Azzam Al-Yamani, a envoyé une missive à ses supérieurs se plaignant du mauvais traitement des membres venus de l’étranger par les autochtones. Il souligne que les Libyens sont attachés aux habitudes tribales et refusent de se soumettre aux ordres, se considérant comme plus méritants que ceux de passage. Néanmoins, la guerre civile, les divisions et la polarisation politique qui sévissent depuis 2011 ont offert un terreau propice aux organisations djihadistes qui ont su exploiter le conservatisme de la société libyenne pour se procurer un refuge auprès des grandes familles tribales.
Chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram
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