Amr Aboul-Ata, délégué permanent de l'Egypte auprès des Nations-Unies, lors de son discours devant le Conseil de sécurité.
(Photo : AP)
Peu de jours après le refus du Qatar de se soumettre aux demandes qui lui ont été faites par l’Egypte, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et Bahreïn, notamment « d’arrêter son soutien au terrorisme et son ingérence dans les affaires des autres pays », Le Caire a réagi en présentant au Conseil de sécurité des preuves attestant l’implication de Doha dans le soutien d’organisations terroristes en Libye et le sabotage du processus politique dans ce pays. Lors d’une réunion du comité antiterroriste du Conseil de sécurité de l’Onu organisée la semaine dernière, Tarek Al-Qouni, ministre adjoint des Affaires étrangères, chargé des Affaires arabes, a proposé une série de mesures en vue d’une issue politique à la crise libyenne. Le diplomate égyptien a en outre exhorté la mission onusienne en Libye (UNSMIL) à veiller à l’application de l’accord politique et a appelé à la levée de l’embargo imposé à l’armée nationale libyenne. Une source proche du dossier affirme que l’Egypte déploie d’importants efforts, avec d’autres parties internationales, pour empêcher l’acheminement d’armes aux milices en Libye, tout en insistant sur l’importance de lever l’embargo sur les armes imposé à l’armée nationale qui combat ces milices.
Preuve à l’appui
Selon cette même source, Le Caire disposerait de preuves sur l’implication du Qatar et d’autres pays dans le financement de transactions d’armes destinées à la Libye. La Turquie aurait utilisé les lignes aériennes pour transporter des armes vers la Libye, elle aurait également financé le départ de djihadistes voulant quitter la Libye vers d’autres destinations. « Ceci en plus du déplacement d’organisations extrémistes armées à travers le Soudan et le Tchad vers la Libye. Al-Qouni a mis l’accent sur le danger grandissant du terrorisme en Libye, « notamment suite à l’appel lancé par Abou-Bakr Al-Baghdadi aux combattants étrangers voulant adhérer aux rangs de l’EI de se diriger vers la Libye », poursuit la source. Les preuves que Le Caire a fournies avaient déjà été rapportées par le porte-parole de l’armée libyenne, le colonel Ahmed Al-Mismari, au début de la crise libyenne. Il s’agit de l’implication d’éléments de l’armée qatari dans le déploiement et le financement de milices à Benghazi et Maatika. Le financement, qui aurait atteint 8 milliards de dollars, a été assuré à travers le chargé d’affaires qatari en Libye, Mohammed Hamad Al Hajri, et Salem Ali Jarboui, un officier des services de renseignements du même pays.
Cette somme a été transférée vers la Libye à travers la Banque nationale du Qatar, puis la Banque publique de l’habitat à Tataouine (Tunisie), via une série de virements bancaires. Une autre source au Caire affirme que les autorités égyptiennes avaient intercepté il y a quelques mois des opérations de trafic d’argent depuis la Libye destinées à financer des organisations terroristes en Egypte. 27 citoyens égyptiens arrêtés à Misrata ont reconnu avoir obtenu des sommes de la même source avant de les transférer à leurs épouses au Caire par virement bancaire. Les enquêtes ont aussi révélé que l’argent servait également à financer des hommes politiques extrémistes dont notamment le maire de Tripoli, Mahdi Al-Harati, un excommandant djihadiste en Syrie. D’après une source libyenne basée au Caire, le Qatar et la Turquie avaient dans un premier temps financé l’envoi de combattants vers la Syrie via la frontière turque. Et d’ajouter que les enquêtes sur un incident ayant eu lieu à Derna en 2012 ont révélé le rôle d’Abdelhakim Belhadj, soutenu par Doha et Ankara, dans l’envoi d’agents intermédiaires dans les villes libyennes pour recruter des candidats djihadistes parmi les jeunes étudiants, contre une commission de 2 000 dollars pour chaque combattant envoyé en Syrie.
Un refuge pour les terroristes
L'armée libyenne est engagée dans une âpre lutte contre les djihadistes.
(Photo : AFP)
Pour sa part, l’armée libyenne a publié des photocopies de documents attestant l’implication du Qatar dans l’envoi de plusieurs milliers de combattants en Syrie, avant de les rapatrier en Libye à bord d’avions de ligne qatari. La Libye abrite de nombreux extrémistes partisans d’organisations terroristes, comme Hicham Achmawi, l’émir du groupuscule Al-Mourabitoun, qui était actif dans le Sinaï et qui a commis de nombreux attentats en Egypte contre l’armée et les forces de sécurité. Ce groupe est aussi responsable de l’assassinat de l’exprocureur général égyptien. Parmi les autres noms connus figurent Mohamad Sourour, commandant du groupe Al-Muhajiroun, ainsi que Sarwat Chéhata, arrêté en avril 2014 et qui fut le bras droit du numéro un d’Al-Qaëda, Aymane Al-Zawahri. Chéhata était un commandant du groupe Ansar Al-Charia en Libye et est responsable du recrutement et de l’envoi de nombreux Egyptiens en Libye. Le camp d’entraînement Al- Fatah à Derna est la station de transit des candidats djihadistes. Ceux-ci sont par la suite répartis, grâce à l’association Al-Daawa wal Ihsan, sur les divers « fronts de combat » en Syrie, en Iraq, en Afghanistan, en Egypte, au Mali, ou à l’intérieur même de la Libye. Cette dernière fut aussi le refuge des membres de la Gamaa Islamiya et du Djihad islamique, voire de certains dirigeants des Frères musulmans qui ont pris la fuite dans la foulée de la dispersion des sit-in de Rabea et d’Al-Nahda en Egypte.
Quand Le Caire a demandé à Khartoum de ne pas accueillir sur son sol les islamistes en fuite, beaucoup de salafistes et de Frères musulmans ont quitté le Soudan pour la Libye. Les interrogatoires de djihadistes arrêtés ont permis le recensement de dizaines d’Egyptiens en Libye. L’Egypte a été la cible de plusieurs attentats terroristes commandités depuis la Libye, comme les attaques contre un poste de contrôle à Farafra en juin et juillet 2014, ainsi que l’assassinat de 20 citoyens coptes sur le sol libyen, crime auquel l’Egypte a riposté en bombardant des camps d’entraînement à Derna début 2015. Et plus récemment, l’attentat à Minya en mai dernier qui a visé un autocar de pèlerins coptes. Si d’après les sources interrogées, Le Caire continuera son escalade contre Doha, ses efforts risquent d’être contrariés par les prises de position du gouvernement, reconnu par la communauté internationale, de Fayez Al-Sarraj, lequel s’aligne du côté du Qatar. Au sein du Conseil de sécurité de l’Onu, le gouvernement Sarraj s’est opposé à la levée de l’embargo sur les armes qui frappe l’armée nationale.
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