Le qatar attire depuis deux semaines l’attention du monde entier. La fronde arabe contre le riche émirat pétrolier, accusé de soutenir et financer le terrorisme et de déstabiliser la région, provoque bien des remous. Même si les conséquences de l’isolement diplomatique imposé notamment par l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, Bahreïn et l’Egypte sont encore difficiles à mesurer, les premiers impacts se font déjà ressentir sur le plan économique (lire page 5).
Le Qatar a pourtant choisi pour l’instant de jouer la carte de l’apaisement en annonçant qu’il ne prendrait aucune mesure de rétorsion contre les ressortissants des pays « frères et amis qui ont rompu ou réduit leurs relations diplomatiques », selon un communiqué du ministère qatari de l’Intérieur. « Difficile pourtant de savoir ce qui se passerait dans deux semaines par exemple », estime Moustapha Kamel Al-Sayed, professeur de relations internationales à l’Université du Caire. « Il est encore tôt pour parler des conséquences stratégiques de cette crise », ajoute-t-il, en précisant que la famille régnante du Qatar a plus ou moins maintenu le silence.
En même temps, Doha a fait appel au cabinet d’avocats de John Ashcroft, un ancien secrétaire à la Justice sous Georges Bush junior, pour tenter de désamorcer la crise diplomatique avec ses voisins du Golfe et les Etats-Unis. Le cabinet a conclu un contrat d’un montant de 2,5 millions de dollars et d’une durée de 90 jours avec l’émirat pour vérifier et évaluer les efforts du Qatar en matière de lutte contre le terrorisme, alors que le président américain, Donald Trump, avait accusé Doha « d’avoir historiquement financé le terrorisme à un très haut niveau ».
Parallèlement, des médiations timides commencent à prendre forme. L’une est menée par le Koweït, autre pays du Golfe, mais qui a choisi de se démarquer de ses voisins du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) et maintient, tout comme le Sultanat d’Oman, les relations avec le voisin qatari. L’émir du Koweït, cheikh Sabah Al Ahmad Al Sabah, s’est ainsi rendu en Arabie saoudite et au Qatar pour tenter de trouver une issue à ce conflit. Son ministre des Affaires étrangères a, dans des déclarations à l’agence officielle, affirmé que le Qatar était désormais « prêt à comprendre les inquiétudes de ses voisins et à réagir aux efforts déployés pour trouver une solution à cette crise ».
Aucun détail n’a filtré sur le contenu de la médiation, mais le Koweït insiste sur la nécessité de parvenir à un règlement. C’est le Koweït qui avait permis le rétablissement des relations entre Doha d’un côté et Riyad, Manama et Abu-Dhabi de l’autre, au terme d’une crise diplomatique en 2014.
La Russie, elle aussi, a proposé son aide. « Nous appelons les uns et les autres à s’asseoir à la table des négociations pour dialoguer dans le respect mutuel », a déclaré le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, après avoir rencontré son homologue qatari, cheikh Mohamad bin Abderrahmane Al Thani. L’essentiel pour Moscou dans cette crise est que ces divergences entre le Qatar et ses voisins ne débouchent pas sur des oscillations sur le marché des hydrocarbures. Le Qatar possède en effet les 3es réserves de gaz naturel au monde.
Quelle médiation ?
Il est à présent question de médiation, mais sous quelles conditions ? Les analystes estiment qu’une réconciliation est possible même si elle n’interviendra pas dans l’immédiat. Le Qatar serait amené à faire profil bas jusqu’à ce que la crise passe. La crise de 2014, moins importante, s’était achevée par une réconciliation avec le roi Abdallah d’Arabie, avant que Doha ne reprenne la même direction politique. Al-Sayed note que même si le Qatar maintient sa position, cela « n’aura pas d’effets sur le terrain car les présumées organisations qu’il soutient sont plus en plus faibles ».
Quant aux Frères musulmans, ils n’ont plus aucun poids en Egypte. « Les grands dirigeants de la confrérie sont basés en Turquie et non pas au Qatar. Et les chaînes de télévision destinées à l’Egypte n’ont presque aucune influence sur la rue », dit Al-Sayed.
Les analystes écartent en même temps qu’un renforcement de la pression sur Doha le pousse dans les bras de l’Iran, ennemi numéro un des Saoudiens. « Les relations avec l’Iran étaient fortes par le passé, mais Doha a toujours maintenu l’équilibre d’autant plus que le pays accueille la base militaire américaine d’Al-Udeid, qui abrite quelque 10 000 soldats américains », analyse Moustapha Kamel Al-Sayed. Moataz Salama, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, estime que la solution passera par Washington. « La position des Américains est tranchante. Il est très difficile d’imaginer les pays du Golfe s’arrêter au milieu du chemin et revenir sur leurs positions après une telle escalade sans obtenir un changement clair de la part de Doha », souligne-t-il.
Abdel-Khaleq Abdallah, professeur de sciences politiques et conseiller du prince héritier, estime, lui aussi, que « la crise perdurerait et aucune réconciliation ne serait possible dans l’immédiat, et ce, à cause de l’obstination du Qatar ». (Lire entretien page 4). Le professeur égyptien estime que « le Qatar finirait peut-être par accepter de cesser le financement des Frères et continuerait à héberger certains de leurs dirigeants ou encore des opposants saoudiens et bahreïnis, mais avec les conditions de l’asile politique qui les empêchent de s’engager dans toute activité politique depuis son territoire ». En attendant, le pays peut survivre un certain moment sous les fortes pressions de ses voisins, grâce à ses ressources financières et ses relations avec la Turquie et l’Iran, mais non pas pour longtemps. Une concession est à l’horizon.
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