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La mise en garde du Caire

May Al-Maghrabi, Mercredi, 07 juin 2017

Le gouvernement égyptien a justifié la rupture de ses relations diplomatiques avec le Qatar par l'insistance du petit émirat à « s’opposer à l’Egypte », et par la menace qu’il représente pour sa sécurité nationale.

La mise en garde du Caire

L’egypte a décidé de rompre ses rela­tions diplomatiques avec le Qatar sine die, emboîtant le pas aux pays du Golfe. Le Caire dénonce notamment le soutien de Doha aux groupes terroristes et ses relations avec les Frères musulmans. Le président Abdel-Fattah Al-Sissi avait récemment déclaré à Riyad que des pays de la région « soutiennent, financent et abritent les groupes terroristes ». « Le terroriste n’est pas uniquement celui qui porte l’arme, mais aussi celui qui l’abrite, le finance et lui offre un couvert politique », avait déclaré le président.

Sur fond de cette rupture diplomatique égypto-qatari, l’Egypte a donné 48 heures, à partir du lundi 5 mai, à l’ambassadeur du Qatar pour quitter le pays. Le chargé d’affaires égyp­tien à Doha a également été rappelé et devrait rentrer au Caire sous les 48 heures, a annoncé le ministère égyptien des Affaires étrangères dans un communiqué. De même, Le Caire a décidé la fermeture des frontières maritimes et aériennes et la suspension des liaisons aériennes avec le Qatar à partir de mardi. « L’arrêt de tous les vols aériens entre l’Egypte et le Qatar sera appliqué dès mardi 6 juin à 6h, heure du Caire, et ce, jusqu’à nouvel ordre », a indiqué le ministère de l’Aviation civile dans un com­muniqué. Les avions du Qatar n’auront le droit ni d’emprunter l’espace aérien égyptien, ni d’atterrir dans le pays, précise ce texte. De son côté, la compagnie aérienne égyptienne Egyptair a annoncé dans un communiqué « la suspension de ses vols reliant Le Caire à Doha, à partir de mardi, jusqu’à nouvel ordre ». Six compagnies aériennes du Golfe ont annoncé une décision similaire dans la journée.

Des questions se posent cependant sur le sort de la communauté égyptienne résidente au Qatar. La ministre de l’Immigration et des Affaires des Egyptiens à l’étranger, Nabila Makram, a déclaré avoir effectué des contacts avec les autorités qatari qui lui ont affirmé que le statut des Egyptiens travaillant à Qatar « ne sera pas affecté par les événements en cours ». Une importante communauté égyptienne est installée au Qatar. « Il y a 80 000 Egyptiens inscrits à l’ambassade (d’Egypte à Doha), mais en réalité, il y aurait près de 300 000 Egyptiens dans l’émirat », a indiqué Maha Salem, porte-parole du ministère. « D’après nos contacts avec l’ambassade et les communautés, il n’y a pas eu de licenciements », a-t-elle précisé.

Cette rupture diplomatique intervient dans le sillage du bannissement collectif de Doha du cénacle arabo-musulman. Au centre de l’ire des capitales arabes, des propos, plus tard démentis du prince du Qatar, Cheikh Tamim bin Hamad, désignant l’Iran comme un « allié straté­gique », quelques jours après la tenue du Sommet islamo-américain à Riyad. De même, des commentaires négatifs auraient été faits sur l’Administration Trump et le Hamas présenté comme le représentant légal du peuple palesti­nien. Or, même avant les récents propos de l’émir Tamim, les relations entre Le Caire et Doha n’étaient pas au beau fixe.

Les arguments de l’Egypte

Le ministère égyptien des Affaires étrangères a publié, lundi matin, un communiqué détaillant les raisons qui ont poussé l’Egypte à rompre ses relations avec le Qatar. « La République arabe d’Egypte a décidé de rompre ses relations diplomatiques avec le Qatar étant donné la persistance de ce pays arabe du Golfe à s’op­poser à l’Egypte, et l’échec de toute tentative visant à l’empêcher de soutenir des organisa­tions terroristes, dont les Frères musulmans », indique le communiqué. Le Caire accuse direc­tement le Qatar de soutenir la confrérie des Frères musulmans, classée organisation terro­riste et interdite par Le Caire. Mais en dépit de cette interdiction, argumente l’Egypte dans son annonce, le Qatar « continue à abriter, sur son sol, des leaders des Frères musulmans ». L’Egypte justifie cette rupture par la promotion d’idées extrémistes d’Al-Qaëda et de l’organi­sation de l’Etat islamique par le Qatar, son soutien aux opérations terroristes perpétrées dans le Sinaï ainsi que son ingérence dans les affaires intérieures de l’Egypte qui menacent la sécurité nationale égyptienne.

Les relations entre l’Egypte et le Qatar se sont notamment crispées après la destitution, en juillet 2013, du président Mohamad Morsi, issu des Frères musulmans. Principal allié et bailleur de fonds de la confrérie quand elle était au pouvoir en Egypte, le gouvernement de Doha n’avait eu de cesse de dénoncer la destitution de Morsi, lançant une guerre médiatique à travers sa chaîne Al-Jazeera Mubasher Misr contre l’Egypte. Les médias égyptiens ont accusé, à leur tour, les autorités qatari de soutenir les Frères musulmans, dont plusieurs dirigeants ont trouvé refuge à Doha, devenue avec le temps la capitale de l’opposi­tion islamiste au président Sissi. Contrairement aux autres pays du Golfe qui voyaient en la confrérie une menace à leurs intérêts (notam­ment l’Arabie saoudite, qui a déclaré la confrérie organisation terroriste), le Qatar a politiquement et financièrement soutenu le régime des Frères en Egypte. Après la chute des Frères, le Qatar a abrité les cadres de la confrérie ayant fui l’Egypte.

Les paris ratés du Qatar

Le député Samir Ghattas salue un pas tardif que Le Caire a « fini par franchir ». « Doha paye aujourd’hui la facture de son soutien au terrorisme, de son ingérence dans les affaires égyptiennes, et surtout de ses complots visant à déstabiliser toute la région », se félicite Ghattas, affirmant que le Qatar est directement impliqué dans le financement des mouvements terroristes en Egypte, en Libye et en Syrie. Selon lui, en soutenant le régime des Frères musulmans en Egypte, le Qatar voulait exercer un rôle régional à partir du Caire. Un objectif qui a été avorté par la révolution du 30 juin. Il juge la décision du Caire de rompre ses relations avec le Qatar de « primordiale » en vue de protéger sa sécurité nationale. « L’appui qatari aux groupes isla­mistes en Libye qui, à leur tour, soutiennent les Frères musulmans, et d’autres groupes terro­ristes en Egypte, est une menace directe à l’Egypte visant à déstabiliser son régime poli­tique. L’Egypte ne pouvait pas rester les bras croisés face à cette situation, surtout qu’il existe des preuves sur l’implication du Qatar dans des récents actes terroristes survenus en Egypte, dont ceux visant deux églises le 9 avril der­nier », affirme Ghattas.

Décryptage partagé par le politologue Hassan Abou-Taleb, qui souligne que si le Qatar se trouve aujourd’hui isolé, c’est parce qu’il n’a pas pu réaliser l’ampleur des changements sur­venus dans les relations interarabes et le change­ment radical de la nouvelle Administration américaine du président Donald Trump. « Le problème du Qatar est qu’il est resté convaincu qu’avec les énormes moyens financiers qu’il donnait à certains groupuscules dans différents pays arabes, il était capable de jouer un rôle régional et d’opérer de grands changements sur la carte géopolitique de la région, de sorte à devenir l’un des artisans des politiques régio­nales. Cependant, lorsqu’un pays poursuit de telles politiques, son échec est souvent fatal », estime Abou-Taleb. Bien qu’il exclue un retour à la normale entre le Qatar et les pays arabes, dont l’Egypte, il conclut que « la balle est main­tenant dans le camp du Qatar, qui devra tout d’abord se débarrasser du régime de Tamim et revoir ensuite ses positions régionales insolites, menaçant la sécurité régionale ».

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