De notre envoyée spéciale —
C’est le temps des cerisiers à Beijing. Ils sont en fleurs, durant le printemps, comme sur les dessins des écharpes traditionnelles en soie. Symboles de l’entrée de plain-pied dans la saison de la croissance et du renouveau. Les 14 et 15 mai, le sommet sur l’initiative La Ceinture et la Route a fait bouger toute la capitale, ayant reçu 29 présidents, plus de 1 200 délégués de 110 pays et les représentants de quelque 60 organisations internationales. La cérémonie d’ouverture s’est tenue au Centre national des conférences, donnant par la suite le feu vert à des séances plénières de haut niveau et 6 réunions à thèmes parallèles. Et les principales rencontres des hôtes du forum se sont déroulées à Huaison, une banlieue de Beijing vers laquelle les yeux étaient rivés, avec l’espoir de se joindre au cercle d’amis qui s’élargit tous les jours davantage, et de construire ensemble une plateforme internationale de coopération et un réseau de partenariat plus étroit, promettant un système de gouvernance plus équitable et équilibré.
Les yeux sont rivés vers ce mélange d'ancienneté et de modernité.
(Photos : Dalia Chams)
La Chine a voulu en profiter pour mieux identifier les directions de coopération et faire avancer la mise en oeuvre des projets, vivifiant l’esprit de l’ancienne route de la soie, à savoir « la paix et la coopération, l’ouverture et l’inclusion, l’apprentissage mutuel et les bénéfices réciproques ». Car l’initiative, lancée en 2013, cible un réseau transnational moderne connectant l’Asie avec l’Europe et l’Afrique, à travers six corridors de développement, permettant à tout un chacun de sortir gagnant. Ces six corridors sont le nouveau pont continental eurasien, le corridor Chine-Mongolie-Russie, le corridor Chine-Asie centrale-Asie de l’Ouest, le corridor Chine-péninsule indochinoise, le corridor Chine-Pakistan et le corridor Bangladesh-Chine-Inde-Myanmar. Et jusqu’ici, le bilan a été plus qu’optimiste. En 2016, le commerce entre la Chine et les pays de La Ceinture et la Route a totalisé 6 300 milliards de yuans (environ 931 milliards de dollars), soit plus d’un quart du volume commercial total de la Chine. Ses entreprises ont investi plus de 50 milliards de dollars dans ces pays et ont aidé à construire 56 zones économiques et de coopération commerciale dans 20 de ces pays, générant presque 1,1 milliard de dollars en recettes fiscales, créant 180 000 emplois locaux. Les résultats du forum des 14 et 15 mai se sont traduits par la mise en oeuvre de mesures concrètes, la formation de groupes de travail, la signature d’accords de financement et de plans d’action concernant les infrastructures, l’énergie et les ressources, la capacité de production, le commerce et l’investissement.
Dans tout ceci, la sagesse et le rêve chinois sont souvent évoqués, et en parlant de « liaisons souples » comme les ports et les chemins de fer, lesquels facilitent les voyages et la connexion des peuples, un continent aussi pauvre que riche comme l’Afrique a le droit de rêver à la chinoise, notamment avec Beijing devenant en 2009 le premier partenaire commercial de l’Afrique. Elle lui achète surtout des matières premières et lui vend en retour des produits manufacturés.
Coopération gagnant-gagnant
Ouvrir de nouveaux marchés dans 3 continents est une priorité chinoise.
(Photos : Dalia Chams)
L’ampleur des besoins de l’Afrique en matière d’infrastructures et de solutions innovantes pour le financement ainsi que la volonté de la Chine d’y répondre poussent parfois les spécialistes à dire que l’initiative chinoise de coopération économique internationale peut aussi s’appeler « une ceinture, une route, un continent », tellement la Chine est d’ores et déjà présente sur le terrain en Afrique et engagée à lui fournir son aide. Au cours des dix premiers mois de 2016, les IDE non financiers de la Chine sur le continent ont dépassé 2,5 milliards de dollars, une croissance en glissement annuel de 31 %, d’après le ministère du Commerce de Chine. Plus de 3 000 entreprises chinoises ont investi dans 52 pays et régions d’Afrique. Le continent est le second plus grand marché pour les projets contractuels de la Chine. D’après le plan d’action du sommet de Johannesburg du Forum sur la Coopération Sino-Africaine (FCSA, 2016-2018), la Chine va accroître ses investissements directs sur le continent pour les faire passer à 100 milliards de dollars en 2020, ce qui contribuera à davantage de transactions civiles et commerciales entre les deux parties.
En fait, le rapport entre les deux parties est merveilleusement illustré par les propos d’un expert agricole chinois, Hu Huojin, installé en Ethiopie depuis mai 2016, afin de cultiver du riz. Il déclare à la revue ChinAfrique, dans sa livraison d’avril dernier : « La vie est un processus d’auto-amélioration. L’Afrique, malgré ses conditions vraiment difficiles, est un endroit où notre valeur de la vie peut être mieux réalisée ». Et d’ajouter : « Je suis né dans les années 1960 en Chine, un moment où notre pays a connu une pénurie de nourriture. Lorsque nous sommes venus en Afrique, nous nous sommes inspirés du passé pour aider l’Afrique et sa population et leur éviter les épreuves que nous avons vécues ». Cette manière de voir le partenariat avec l’Afrique, de s’adresser à ses peuples, correspond en effet au nouveau modèle de relations internationales, adapté par la Chine, ayant pour essence une coopération gagnant-gagnant. Le président chinois, monté pour la première fois à la tribune de l’Onu, y a exposé ses idées dessus, le 28 septembre 2015, à l’occasion du 70e anniversaire de l’Organisation internationale et de la victoire de la Guerre mondiale antifasciste.
« Nous ne sommes pas Trump, nous ne sommes pas Poutine »
La Chine est le premier partenaire commercial de l'Afrique depuis 2009.
(Photos : Dalia Chams)
Le sens de cette déclaration revient sans cesse dans les propos de l’intelligentsia chinoise, responsables officiels, diplomates, chercheurs … C’est la formule que l’on utilise souvent afin de divulguer leur théorie sur la mondialisation de l’économie, dans un esprit d’ouverture et d’inclusion.
Il est simplement question d’élargir le gâteau pour que chacun ait sa part, de quoi réduire les potentialités du conflit, comme l’explique Chen Xiaochen, 34 ans, directeur d’un think tank économique, affilié à l’Université populaire de Chine.
Concilier la justice et les bénéfices, traiter ses partenaires d’égal à égal, favoriser les scénarios gagnant-gagnant, voilà les mots d’ordre de ce modèle prôné par la Chine, s’éloignant de toute référence idéologique, politique ou autre. Le rêve chinois doit ainsi mieux caresser les esprits, remplaçant peut-être « l’American Dream », installé dans l’imaginaire depuis plusieurs décennies, tout en jouant sur les points de similitude entre les histoires de sous-développement et les success stories de l’émergence économique.
A partir de l’an 2000, le Forum sur la Coopération Sino-Africaine (FCSA) se tient régulièrement, regroupant 55 membres, et leurs rapports sont souvent décrits par ces mots que reprend aisément Ren Xiaoping, ancienne ambassadrice en Afrique et diplomate chevronnée : « La sincérité. L’affinité. La bonne foi. Les bénéfices mutuels ». Ceux-ci peuvent être réalisés grâce d’abord « à la volonté divine, celle du gouvernement », puis « aux lois de la gravité ou l’économie du marché que représentent les hommes d’affaires, capables de donner corps au projet », souligne Chen Xiaochen lequel voyage un peu partout en Afrique pour tâter le terrain et mieux étudier les marchés. Son think tank est l’un de ces instituts à la mode depuis 4 ans en Chine ; la moyenne d’âge n’y dépasse pas la trentaine, avec notamment des chercheurs aux parcours assez pluridisciplinaires ou atypiques. Un peu à l’image de l’évolution du pays.
« Un groupe devra s’enrichir d’abord »
Aux alentours du Centre national des conférences où s'est déroulé le sommet, au nord de Beijing.
(Photo : Reuters)
Le président Deng Xiaoping (1904-1997), le père des réformes économiques, avait déjà prévenu le peuple qu’il y aurait désormais une place aux ambitieux qui cherchent à se bâtir une « fortune à mains nues ». Ceci dit, il y aurait toujours un groupe « d’enrichis d’abord » et que le temps n’était plus à la ferveur maoïste qui a aplati les inégalités des revenus. Bref, l’époque où les militaires étaient obligés de s’identifier par le nombre de poches de leurs uniformes, car l’armée avait supprimé les grades, était belle et bien révolue. Aujourd’hui, on peut dénombrer quelque 10 000 entreprises chinoises qui veulent travailler à l’étranger et ouvrir de nouveaux marchés, selon les estimes de l’homme d’affaires Moustapha Ibrahim, membre de l’Association des businessmen égyptiens, qui travaille constamment avec des sociétés chinoises. Son association avait tenu une conférence, début avril dernier, afin de se préparer au sommet de La Ceinture et la Route, adhérant complètement à l’idée que la prospérité économique peut bien garantir la stabilité, mieux que n’importe quel autre outil diplomatique.
Mais apparemment, sur le terrain, le reste des pays africains ont capté le message, mieux que les Egyptiens, du moins sur le plan officiel. Ils ont bien compris que le ralentissement consécutif de la croissance du PIB de la Chine oblige ses dirigeants politiques à rechercher un avenir économique au-delà du modèle manufacturier, fondé sur l’exportation de biens à forte intensité de main-d’oeuvre et à faible valeur ajoutée. Le taux et le niveau élevés d’épargne en Chine ainsi que le vieillissement rapide de la population (16,7 % de la population ont 60 ans) incitent également les dirigeants à rechercher des investissements à l’étranger. Et de ce point de vue, l’Afrique, assez jeune et bon marché, peut sembler comme une destination idéale pour les Chinois. Il existe une logique de complémentarité globale entre une grande économie en développement, relativement pauvre en ressources et à la population vieillissante, et un grand continent riche en ressources avec une population très jeune. D’où les flux chinois dirigés principalement vers les industries minières et pétrolières ainsi que vers de grands projets d’infrastructures.
« Il faut construire un bon nid pour attirer les phénix »
Justement, les dirigeants suivent bien ce proverbe chinois. Le premier déplacement international de Xi Jinping, en tant que président, avait été en Russie voisine, puis immédiatement en Afrique (Tanzanie). Les déclarations officielles rappellent sans cesse que les relations avec les pays en développement, notamment en Afrique, sont le socle de la diplomatie chinoise, et qu’elles sont le cadre utile pour des résultats tangibles. Ainsi, en octobre dernier, la première ligne électrifiée, reliant la capitale éthiopienne Addis-Abeba au port de Djibouti, est entrée en exploitation. Cette ligne de 752,7 km, construite par China Railway Group et China Civil Engineering Construction Corp, va donner à l’Ethiopie enclavée un accès plus rapide à la mer. « Nous voulons installer des usines pour fabriquer des chaussures, par exemple, en Ethiopie, les faire parvenir au port de Djibouti où nous comptons avoir un free zone, pour les exporter ensuite vers l’Occident. C’est le modèle de business que nous cherchons à établir », indique l’analyste Chen Xiaochen, soulignant que pour ce faire, son pays doit aider l’Afrique à développer son infrastructure et mieux attirer les investissements.
Dans cette même optique, se situe l’ouverture au Kenya de la ligne à écart standard Nairobi-Naivasha, soit un premier tronçon de la ligne Nairobi-Malaba de 120,4 km et d’une extension de la ligne Nairobi-Mombassa. Et en Tanzanie a été inauguré le pont Kigamboni, un ouvrage de 680 mètres à 6 voies, construit également par des sociétés chinoises. Bref, la Chine développe actuellement un réseau ferroviaire à grande vitesse qui devrait atteindre 16 000 km d’ici 2020, selon les estimations.
Pour fournir l’aide nécessaire pour la construction des infrastructures locales, des institutions financières chinoises ont été mises sur pied, contribuant aussi aux initiatives dans l’agriculture, la santé et la protection de l’environnement. Il s’agit notamment de la Banque de Chine, la Banque industrielle et commerciale de Chine, la Banque d’import-export de Chine et le Fonds de développement Chine-Afrique. De quoi attirer à Beijing les foudres d’aucuns, l’accusant de néo-colonialisme en Afrique, sachant que cette dernière semble de plus en plus chercher des solutions à ses problèmes, auprès de la Chine qu’auprès du Fonds Monétaire International (FMI).
« Traverser la rivière en tâtant les pierres »
Ce procédé de réforme propre à la Chine répond à ses réalités, mais il peut très bien s’exporter vers l’Afrique aussi. Jugeant qu’il n’y avait ni précédent ni expérience auxquels la réforme et l’ouverture de la Chine pouvaient se référer, il fallait suivre son propre rythme et avancer à tâtons. Et aujourd’hui, à cette nouvelle phase de son économie, la Chine juge toujours bon d’aborder l’Afrique, cas par cas, en tâtant les pierres. « Nous discutons ensemble comment préparer le plat, incluant sans doute des partenariats publics-privés. Nous n’imposons rien, mais nous sommes plutôt comme un chef de cuisine qui offre plusieurs menus à la carte. Ceux qui ne veulent pas nous joindre tout de suite, les Américains inclus, ils peuvent le faire plus tard. On peut toujours attendre », précise Chen Xiaochen.
En fait, c’est à chacune des parties de jouer. « La Chine est forcément le partenaire le plus gagnant, en ouvrant, à travers l’initiative, des marchés qui s’étendent sur trois continents, de quoi asseoir sans doute son poids politique. Mais les autres aussi peuvent maximaliser les bénéfices ou les réduire, en fonction de leur capacité et leur volonté à en profiter. La voie maritime proposée par la Chine, dans le cadre de l’initiative, qui arrivera jusqu’à Venise, en Italie, passera par le Canal de Suez. D’où l’intérêt des Chinois au projet de la zone libre dans la région du Canal », affirme Moustapha Kamel Al-Sayed, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, invité récemment par l’Université des langues étrangères de Pékin, afin de débattre des relations égypto-chinoises. Le volume des échanges commerciaux entre l’Egypte et la Chine est de 11 milliards de dollars, et les investissements chinois en Egypte sont de l’ordre de 594 millions de dollars, contre 4,5 milliards de dollars au Zimbabwe, fait remarquer l’homme d’affaires Moustapha Ibrahim, commentant : « Il faut être deux pour danser le tango ».
Certes, il est utile de traverser la rivière en tâtant les pierres, à condition d’avoir une conception plus globalisée, pour mieux s’approprier le rêve chinois.
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