Un vent d’assouplissement ou un jeu d’équilibriste ? Le Hamas, principal mouvement de résistance contre l’occupation israélienne, vient de publier un tout nouveau manifeste et de renouveler ses dirigeants. Le document rappelle un autre plus ancien, il y a un quart de siècle. Celui d’un Yasser Arafat, alors chef de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP). En mai 1989 à Paris, la figure emblématique de la résistance palestinienne décide de déclarer «
caduque » la charte nationale palestinienne, la débarrassant des articles qui tenaient pour illégal le plan de partage de la Palestine voté par l’Onu en 1947 et l’établissement de l’Etat d’Israël. Un mot qui ouvrira plus tard la voie aux premières négociations entre Palestiniens et Israéliens à Oslo, pour tenter de mettre un terme à l’occupation d’Israël. L’ancienne charte du Hamas datait de 1988.
Aujourd’hui, le mouvement rejoint Arafat, adoucit le ton et accepte la création d’un Etat Palestinien dans les frontières de 1967 et non sur l’ensemble de la Palestine. Le document, de 42 articles, indique que l’organisation est en conflit avec le « projet sioniste » et non pas avec « les juifs, en raison de leur religion ».
Le mouvement se définit comme un large mouvement islamique et national de libération palestinien, mais les références aux Frères musulmans, dont il est issu, sont écartées, alors que la charte de 1988 présentait le Hamas comme la branche palestinienne des Frères musulmans (lire page 4).
Le nouveau programme politique semble avoir été préparé depuis un bon moment déjà, mais le Hamas a bien choisi le timing. Le texte n’est diffusé publiquement que le 1er mai, à 48 heures de la rencontre entre le président palestinien, Mahmoud Abbas, et son homologue américain, Donald Trump, qui ne cache pas sa volonté de parvenir à une solution finale entre Palestiniens et Israéliens (lire page 5). Khaled Mechaal, chef sortant du Hamas, accorde alors une interview à la CNN et exhorte Trump qui, selon lui, a un « plus grand seuil d’audace que les précédentes administrations américaines » à trouver une « solution équitable » à la question palestinienne. « C’est une occasion historique pour faire pression sur Israël ... pour trouver une solution équitable pour le peuple palestinien. Ce sera au crédit du monde civilisé et de l’Administration américaine d’arrêter l’obscurité dont nous souffrons depuis de nombreuses années », déclare-t-il. Un changement de rhétorique, mais aussi de face.
Elections internes
Le timing est aussi lié aux élections internes du mouvement, mettant sur les bancs la figure historique et chef charismatique Khaled Mechaal, président du bureau politique du Hamas depuis 1995 et qui vient d’achever deux mandats. Son successeur est le premier ministre du gouvernement d’union palestinien entre 2007 et 2008, Ismaïl Hanniyeh.
En février, Yahya Sinwar, l’un des fondateurs de l’aile militaire du Hamas, a été élu chef du Hamas dans la bande de Gaza. C’est un ancien détenu ayant passé près d’un quart de siècle dans les prisons israéliennes.
Le mouvement avait déjà préparé le terrain à une telle approche. Déjà en 2005, le mouvement né dans la foulée de l’Intifada et qui prônait la seule lutte armée acceptait de participer aux élections législatives qu’il avait remportées en 2006, et avait depuis approuvé de cohabiter avec le programme politique de son rival le Fatah, où les frontières de 1967 semblent être la référence. « Il s’agit d’un coup politique plutôt qu’un véritable tournant dans la politique du Hamas », estime l’écrivain et chercheur français, Alain Gresh. Gresh, qui était en Palestine après ces changements, croit que le Hamas « essaye de faire un certain nombre de gestes, mais qui sont, sur le fond, comme les accords d’entente entre le Fatah et le Hamas qui ne mènent à rien ».
Un mouvement affaibli
Le Hamas pousse ses pions, croient les observateurs. Il veut se présenter comme « un partenaire sérieux qui fait partie de la solution et non du problème », estime Saïd Okacha, spécialiste des affaires israéliennes au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Le chercheur place cette démarche du Hamas dans un contexte régional « défavorable » pour le mouvement et dans une situation « difficile » dans la bande de Gaza. « Le mouvement a perdu ses principaux alliés. La Syrie est disloquée et l’Iran comprend désormais que pour préserver son accord nucléaire avec l’Occident, il ne doit pas menacer la survie d’Israël », estime Okacha. A ceci s’ajoutent la chute du président issu des Frères musulmans en Egypte et un rapprochement entre la Turquie et Israël.
Pourtant, l’élément moteur de cette nouvelle approche du Hamas, d’après le chercheur, a comme titre le retour d’Abou-Mazen. Ce dernier semblait récemment être écarté, et des puissances régionales travaillaient sur sa succession. Le nom de l’ancien chef de la sécurité et ami d’Israël, Mohamad Dahlane, a été ainsi avancé avant de disparaître de nouveau devant la montée en flèche du président palestinien. « Abou-Mazen est de retour à cause de la faiblesse de ses ennemis, ceux-ci n’ont presque aucune légitimité. Et tout comme Arafat, il s’est renforcé car simplement, il n’y a pas d’autres alternatives », explique Okacha.
Du coup, en adoptant cette nouvelle approche, le mouvement palestinien évite la dégringolade, se rapproche de l’Egypte et se repositionne sur la scène palestinienne, tout en ménageant sa base populaire. « Nous sommes prêts à coopérer avec quiconque pouvant nous aider à obtenir un Etat palestinien », avait affirmé Mechaal.
L’audace de Yasser Arafat avait à l’époque permis de lancer les pourparlers, mais n’a toujours pas débouché sur une paix durable. 25 ans plus tard, un changement de texte semble loin d’ériger cet Etat. Gresh croit que « de toute façon, il n’y a pas de l’autre côté un interlocuteur prêt à faire des concessions : ni les Américains, ni les Israéliens ne sont vraiment prêts à bouger. Les Américains ne sont pas prêts à mettre leur poids et faire pression sur Israël, et en Israël, il y a un gouvernement hostile à la paix. Ce sont les Israéliens qui refusent les négociations et non pas les Palestiniens ».
Les principaux points du document du Hamas
Le Hamas rejette toute alternative à la libération totale de la Palestine du fleuve (Jourdain) à la mer (Méditerranée).
Sans compromis sur son rejet de l’entité sioniste et sans abandonner un quelconque droit palestinien, le Hamas considère que l’établissement d’un Etat palestinien entièrement souverain et indépendant, avec Jérusalem pour capitale, dans les frontières du 4 juin 1967 (...), est une formule de consensus national.
Jérusalem est la capitale de la Palestine.
L’établissement d’Israël est totalement illégal et contrevient aux droits inaliénables du peuple palestinien.
Le conflit est avec le projet sioniste et non avec les juifs en raison de leur religion. Le Hamas ne mène pas de lutte contre les juifs parce qu’ils sont juifs, mais mène une lutte contre les sionistes qui occupent la Palestine.
Le droit au retour des réfugiés palestiniens et des déplacés palestiniens, que ce soit sur les terres occupées en 1948 ou en 1967, est un droit naturel, individuel et collectif. Ils devront recevoir une compensation à leur retour.
L’OLP doit être préservée, développée et reconstruite sur des bases démocratiques, afin de garantir la participation de toutes les composantes et forces du peuple palestinien.
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