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La religion, arme fatale

Chahinaz Gheith et Abir Taleb, Mardi, 23 avril 2013

Satire
« Où que vous soyez, la poisse vous atteindra »

Deux caricaturistes ont récemment été accusés d’atteinte à la religion : Amr Sélim du quotidien Al-Shorouk et Doaa Al-Adl d’Al-Masry Al-Youm. Et dans les deux cas, ce sont des personnes à tendance islamiste qui étaient à l’origine de l’affaire.

Fin février dernier, l’avocat Mamdouh Ismaïl ainsi que neuf autres avocats ont porté plainte contre Amr Sélim et le rédacteur en chef d’Al-Shorouk, Emadeddine Hussein, pour atteinte à la religion à la suite d’une publication d’une caricature sous-titrée de la phrase suivante : « Où que vous soyez, la poisse vous atteindra ». L’objet de la plainte étant que c’est une parodie d’un verset du Coran (verset 78 de la sourate Al-Nissaa (Les Femmes) : « Où que vous soyez, la mort vous atteindra »). « Nous sommes avec toute forme de satire politique, mais cette utilisation inappropriée de la parole de Dieu est une transgression de l’islam et une atteinte aux articles 98 et 102 du code pénal », écrit Mamdouh Ismaïl dans sa plainte.

Une affaire qui n’a pas choqué Amr Sélim : « Face à mon stylo et ma feuille, je ne pense à rien, mais après, il m’arrive de m’inquiéter pour l’avenir de mes enfants. Je suis détesté de tous les régimes : celui de Moubarak, celui des militaires et celui de Morsi ».

Quant à Doaa, la plainte a été portée en décembre 2012 par … Khaled Al-Masri, secrétaire général du Centre national pour la défense des libertés, de la culture et du dialogue, mais qui est aussi, il ne faut pas l’oublier, membre du bureau politique du Front salafiste. La caricature en question représente un homme et une femme sous un pommier et une troisième personne, un mort, qui leur dit : « Si vous aviez dit oui comme moi, vous ne seriez pas sortis du paradis ». Une allusion à Adam et Eve, considérée blasphématoire, alors que la caricaturiste affirme de son côté qu’elle faisait allusion aux cheikhs qui prônaient le « oui » au référendum constitutionnel comme étant le choix conforme à l’islam. « Qui se donne le droit de décider de mes intentions et de les juger ? », s’insurge-t-elle contre ceux qui, selon elle, « dissèquent mes caricatures à leur manière ».

Satire
« Si vous aviez dit oui comme moi, vous ne seriez pas sortis du paradis »

Or, le point commun entre ces deux caricaturistes n’est pas l’atteinte à la religion, mais plutôt la critique du pouvoir. Chacun à sa manière s’en prend au régime actuel : Elle, en critiquant l’usage de la religion par les islamistes pour la répression de la femme (droits restreints de la femme dans la nouvelle Constitution, mariage précoce, violence contre la femme, harcèlement des manifestantes). Lui, en s’attaquant au régime de Morsi, à la confrérie qu’il considère détenir les véritables clés du pouvoir, à la proéminence du guide suprême et à ce qu’il nomme « la nouvelle dictature ».

Et, dans ces deux cas, l’accusation d’atteinte à la religion est l’arme fatale utilisée par leurs détracteurs. En mettant l’accent sur la religion, le sujet le plus délicat et le plus intouchable pour la plupart des Egyptiens, leurs détracteurs omettent volontairement les autres aspects de la satire, et ce, pour nuire à l’image de ces caricaturistes. Et, comme nous a déclaré Doaa Al-Adl, « la religion est une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes, et quand ils en font usage, c’est pour nous tuer ».

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