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Sinaï: Un statut délicat

Héba Nasreddine, Lundi, 22 avril 2013

Délaissés par les autorités depuis des décennies, les bédouins souffrent, même après la révolution, de l’oppression et de la méfiance de l’Etat. Passage en revue de la situation en questions/réponses.

Sinai
Marginalisés des projets du développement, les habitants du centre sont encore isolés. (Photo: Mohamed Abdou)

— Un bédouin peut-il se déplacer librement entre les gouvernorats ?

— Difficilement. Lorsque la plaque d’immatriculation d’une voiture montre qu’elle provient du Nord ou du Sud-Sinaï, le conducteur est fouillé, et parfois harcelé à chaque point de passage. Ces mesures rigoureuses ont commencé sous Moubarak après les attentats de Taba et de Charm Al-Cheikh en 2004 et 2006, suite à des soupçons sur l’appartenance des bédouins à des réseaux terroristes ou de trafic de drogue. Depuis, des arrestations arbitraires sont menées dans les rangs des bédouins. Après la révolution, ces mesures devaient changer, mais l’attaque d’un poste-frontière entre l’Egypte et Israël, tuant 16 gardes-frontières égyptiens, en août 2012, a de nouveau mené à un renforcement des mesures de sécurité.

— Les bédouins mènent-ils une vie paisible ?

— Non. La situation dans le Sinaï est délicate à cause du trafic de drogue et d’armes et de la faible présence de l’armée, conformément aux accords de paix avec Israël de 1979. Depuis la chute de Moubarak, la région est devenue plus instable. Plusieurs attaques ont eu lieu sur le gazoduc qui alimente Israël et la Jordanie, et des assauts continuels ont également eu lieu sur les postes de police. L’investiture du président Morsi n’a pas rétabli la sécurité, notamment après l’attaque du poste-frontière. Les forces armées ont lancé plusieurs opérations pour lutter contre le terrorisme. Mais les bédouins sont toujours dans la tourmente. Ils bloquent les routes et enlèvent des touristes pour protester contre la détention de leurs proches. Aujourd’hui, le régime tente des négociations, après avoir compris que la solution ne peut se limiter à des mesures de sécurité.

— Un bédouin jouit-il de ses droits de citoyen ?

— Non. Etant donné que les autorités doutent toujours de leur loyauté, ils sont interdits de s’inscrire à l’école militaire ou celle de la police, d’être recrutés dans la fonction publique comme le ministère des Affaires étrangères, et de servir dans l’armée. Même après la révolution, aucun bédouin n’a été nommé à un poste politique. En cas d’arrestation, les bédouins doivent comparaître devant un tribunal militaire dont le verdict est sans appel, vu qu’ils résident dans une zone considérée comme militaire. Ces mesures discriminatoires et humiliantes ont fait que les bédouins se sentent être des citoyens de seconde zone. De jeunes bédouins ont rejoint la révolution pour se débarrasser de ce statut mais ni le Conseil militaire, ni Morsi, n’ont répondu à leurs revendications.

— Dans quels domaines travaillent-ils ?

— Les bédouins constituent moins de la moitié des quelque 384 000 habitants de la péninsule du Sinaï (en 2010). Ils mènent une vie nomade à la recherche de pluies et d’eau souterraine. Ils étaient à l’origine des bergers. Ceux du Sud sont plus chanceux, ayant le tourisme comme source de revenu. Mais ils sont dérangés par le fait que tous les projets touristiques à Charm Al-Cheikh sont dirigés par des hommes d’affaires issus d’autres gouvernorats que le leur. Quant aux bédouins du Nord, ils ne sont pas recrutés dans la fonction publique. Le commerce est leur gagne-pain. Avec le blocus économique sur Gaza en 2006, le trafic de voitures, d’armes et de denrées alimentaires a prospéré ainsi que l’immigration clandestine vers Israël. Aggravant ainsi les problèmes entre bédouins et Etat.

— Les bédouins possèdent-ils des papiers officiels ?

— Pour la majorité d’entre eux, l’Etat civil n’existe pas. Tout ce qui concerne le statut personnel est déclaré devant le cheikh de la tribu et est inscrit dans un contrat coutumier pour devenir légal. Après les attentats terroristes, l’inscription dans les registres d’Etat civil est devenue obligatoire, question de mieux les surveiller.

— La propriété foncière est-elle autorisée aux bédouins ?

— Aucune législation ne l’interdit. Pourtant, les bédouins ne possèdent pas les terres et les maisons qu’ils occupent. L’ancien régime ne le leur a pas permis, sauf à des conditions strictes, de peur qu’ils ne les vendent à des étrangers, menaçant ainsi la sécurité nationale. Ils n’ont qu’un acte de propriété coutumier, qui leur a été octroyé par le gouvernement après le retrait israélien en 1982, en leur promettant de leur attribuer un contrat officiel. Mais, ils n’ont jamais rien reçu.

En 2007, dans le cadre d’une politique d’apaisement adoptée envers les bédouins, sous la pression des ONG internationales défendant les droits des minorités, la possession des terrains et des maisons est autorisée, mais pas dans la zone frontalière.

Après la révolution, le Conseil militaire a décidé la création de l’Organisme du développement du Sinaï pour régulariser les propriétés foncières des Egyptiens dans la péninsule.

— Les bédouins sont-ils isolés ?

— Le Sinaï, presque un tiers de la superficie de l’Egypte, est marginalisé malgré ses richesses. L’Etat a promis de développer la région pour l’intégrer au pays mais en vain, et toutes les recherches sur le développement du Sinaï sont restées encore sur papier. Il s’agit d’une question de sécurité nationale, notamment au centre du Sinaï, vu sa situation géopolitique qui fait que ses frontières orientales s’étendent le long d’Israël. Le Nord et le Sud assistent, depuis 1994, à un plan national de développement, de 75 milliards de L.E., visant à y lancer des projets socioéconomiques et des infrastructures jusqu’en 2017. Mais il avance avec lenteur et indifférence.

Après la révolution, le Conseil militaire a promis de reprendre le développement de la région sans délai. Morsi l’a promis aussi, et s’est engagé à résoudre les problèmes des bédouins pour assurer leur intégration au pays.

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