Qu’un long métrage de type documentaire sorte sur les grands écrans égyptiens est déjà un événement en soi. Car cela ne s’est récemment produit qu’avec la sortie de
Tahrir 2011, The Good, the Bad and the Politician (Tahrir 2011, le bon, le vilain et le politicien), portant sur les 18 jours de la révolution. Le nouveau documentaire
An yahoud Misr (sur les juifs d’Egypte) du jeune réalisateur Amir Ramsès défraie la chronique depuis des semaines. Après avoir failli être interdit par la censure, il est finalement sorti en salle le 27 mars.
Le cinéaste aborde un sujet sensible : l’histoire de la communauté juive d’Egypte pendant la première moitié du XXe siècle. La majeure partie de cette communauté importante a quitté le pays au lendemain de la nationalisation du Canal de Suez et l’agression tripartite contre l’Egypte en 1956. Le film commence par un sondage bref, demandant à des gens dans la rue leur conception du mot « juif ». Le résultat, significatif, dévoile la confusion existante entre « juif » et « sioniste ». De quoi introduire la première ligne scénaristique du film qui porte sur les témoignages. Le réalisateur a rencontré des juifs en exil, principalement à Paris, ainsi que certains rares représentants de la communauté restés en Egypte. Il s’appuie aussi sur l’avis des spécialistes de la question comme Mohamad Aboul-Ghar, Refaat Al-Saïd et Essam Fawzi. Ramsès tente de reconstruire les faits. Les souvenirs révèlent un profond traumatisme lié au départ d’Egypte.
Retour au passé
L’espace et le temps s’entrelacent à travers le scénario. On y voit des personnes émigrer de force en France, avec des figures aussi connues qu’Henri Curiel, ce fils de banquier, anticolonialiste internationaliste, amoureux de la langue française et vrai patriote égyptien. Curiel marque le film de son empreinte, tout comme son fils naturel Alain Gresh, la comédienne Isabelle de Botton et la journaliste Sylvie Braibant.
« Pour tous les juifs qui vivaient autrefois en Egypte, ce pays reste un monde plein de beaux souvenirs, d’odeurs, de rires et d’esprit. Personne ne posait de questions sur la religion, puisque seule la citoyenneté comptait », souligne Braibant dans le film. Un témoignage qui résume la base de la seconde ligne scénaristique du documentaire : le cosmopolitisme, le libéralisme et la tolérance d’antan. Amir Ramsès réussit son oeuvre dans un style simple et dialectique : introduction rapide, enchaînement d’informations chronologiques, montage rythmé, échanges logiques entre les différents témoins : tout cela allié à une bande-son finalement convenable.
Signée Khaled Al-Khamissi, producteur, co-scénariste et co-monteur avec Ramsès, la musique joue un rôle important dans le film, où le mariage entre le piano — héros des scènes tournées à Paris — et le luth — dans celles de l’Egypte — s’avère réussi. Les violons, quant à eux, interviennent dans les scènes où les deux mondes s’associent, le tout donnant un sentiment de nostalgie, d’amertume et de tristesse .
Un film qui excite la Toile
Tantôt critiqué, tantôt aimé, Sur les juifs d’Egypte d’Amir Ramsès n’a laissé personne indifférent. Au sein de la communauté des internautes, beaucoup ont apprécié le documentaire pour son « franc-parler », ses phrases exprimées crûment, sans ménagement aucun, telles qu’elles sont « lâchées » dans les discussions familiales égyptiennes. Les usagers des sites Facebook, Twitter et Tumblr dénoncent essentiellement le « racisme des anciens gouvernements » et « la misanthropie juive » exprimés à l’égard des citoyens juifs d’origine égyptienne. « Ce week-end, j’irai voir le film de bon coeur avec ma mère qui guette, par la même occasion, la sortie d’un éventuel Coptes d’Egypte », ricane la vidéo-blogueuse Farah S. sur Twitter. Toujours sur le même site, « la recherche n’était pas des plus précises. La cinématographie, elle, n’est pas exhaustive. Je suis déçu de ne pas être allé voir un autre film », lance Mohamad. Rawaa, elle, va jusqu’à appeler un chat, un chat : « Le documentaire passe un message clair, selon lequel la confrérie des Frères musulmans a été le seul mouvement à vouloir détruire l’histoire juive du pays ». Les membres de Facebook, Tumblr et Twitter de confession juive, eux, se sont le plus souvent contentés de se faire l’écho de la sortie, de l’interdiction puis de l’autorisation de diffuser l’oeuvre de Ramsès. Curieusement, le tohu-bohu médiatique ayant suivi le film a coïncidé avec la fête juive de la Pessah. En France, au Maroc ou en Belgique, plusieurs forums dédiés à la diaspora juive ont relevé « cette étrange coïncidence ». Les membres des sites comme Jforum.fr, CClj.be ou le forum marocain Dafina ont surtout constaté que « les Frères musulmans ont encouragé le sentiment antisémite bien avant la création d’Israël et la naissance de la question palestinienne ». De même, ceux-ci ont unanimement condamné « les propos anti-juifs tenus par Mohamad Morsi lors de sa campagne électorale ». Le jour J, à savoir le jour de la diffusion du film dans les salles cairotes, les internautes ont littéralement envahi la Toile de tweets, de statuts et de photos des salles, ostensiblement archicombles .
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