Ce n’est plus un secret pour personne. A l’ère du « tout-cliquable » et du « tout-téléchargeable », les salles de cinéma doivent mener une guerre contre l’oubli et l’abandon. Partant de ce principe, un jeune artiste et cinéphile marocain a créé, en 2007, « Save Cinemas In Morocco » (SCIM). Une association cinématographique et cinéphile qui a soulevé un sujet jusqu’ici délaissé par l’opinion publique et les pouvoirs étatiques du Maroc.
« Les salles de cinéma ne faisaient déjà plus partie du paysage culturel au Maroc, mis à part quelques multiplexes accessibles à une poignée de privilégiés et quelques petites salles essayant de survivre », se souvient Tarik Mounim. C’est plus exactement grâce à la Chambre marocaine des salles de cinéma et au Centre cinématographique marocain que cet amoureux du grand écran fait ressusciter plusieurs dizaines de salles menacées de fermeture. Aujourd’hui, au Maroc, l’association sillonne un grand nombre d’événements culturels dans le but de sensibiliser les gens à l’importance de sauvegarder les salles du septième art. Et curieusement, le jeune homme constate que la plus grande difficulté à laquelle il fut confronté n’est pas d’ordre financier.
« Les difficultés rencontrées par la SCIM étaient plus de l’ordre de la prise en compte de la réalité suivante : Alors que le Maroc abrite de nombreux festivals internationaux de films, beaucoup de Marocains ne sentaient même pas qu’en marge de ces événements, les salles de cinéma étaient en train de disparaître », constate Tarik Mounim. Autrement dit, les festivités cinématographiques ont longuement donné l’impression au citoyen lambda que le septième art se portait comme un charme, alors qu’une pratique « articide » se répandait dans les vieilles artères du pays. « Grâce à nos actions de sensibilisation et notre travail de terrain pour la constitution d’un répertoire des salles fermées et ouvertes dans tout le Maroc, nous avons dressé un constat chiffré.
Depuis 2007, malheureusement, le chiffre a continué de baisser : aujourd’hui, nous en sommes à 35 salles de cinéma contre 280 au début des années 1980 ! ». Les efforts déployés par Tarik Mounim et sa petite équipe ne sont pas sans plaire aux entités culturelles du Maroc. « Nos actions ne sont pas seulement reconnues, elles sont aussi soutenues. Nous apportons notre savoir, notre connaissance du terrain et surtout notre énergie pour créer une dynamique commune entre les organismes culturels relevant des organismes étatiques et les acteurs associatifs. Nous collaborons aux journées du patrimoine de Casablanca et de Marrakech. Nous travaillons avec les écoles, avec les collectivités territoriales, ainsi que le ministère de la Culture », précise Mounim.
L'économie, principal facteur
L’ouverture ou la fermeture d’une salle de cinéma restent soumises à plusieurs facteurs. En général, de telles décisions ne dépendent pas seulement du propriétaire. Les raisons économiques qui concernent la rénovation du matériel, pour diffuser un genre spécifique de film, arrivent en tête. Celles-ci sont suivies par les raisons d’ordre juridique, comme les longues procédures administratives. Pourtant, les membres de la SCIM ont pu éviter en six ans la fermeture de plusieurs salles. « Des salles qui portent les traces d’un passé glorieux et représentent un patrimoine matériel et immatériel incontestable pour le quartier dans lequel elles sont situées. Depuis 2007, notre cause a fait du chemin.
Aujourd’hui, les problèmes dont souffrent les salles sont sérieusement pris en compte », se réjouit le fondateur de la SCIM. Grâce aux campagnes lancées par la SCIM, des textes de lois qui défendent le patrimoine des salles ont fini par voir le jour. De même, une commission pour l’aide au développement et à l’équipement des salles a été créée tout récemment dans le pays. Des fonds ont aussi été alloués pour la mise à niveau de plusieurs cinémas. « Nous n’en sommes qu’au début, mais cela présage un véritable changement dans la vision de l’avenir des salles de cinéma au Maroc », juge Mounim qui estime que les distributeurs et les propriétaires de salles doivent travailler ensemble, les actions de l’un affectant les autres.
Chute des entrées, un cinéma moribond
Au Maroc, le nombre des salles de cinéma est passé de près de 300 à 35 en trois décennies. Les villes les moins touchées sont Casablanca, Rabat, Marrakech, Tanger, Fès et Meknès. Plusieurs autres villes de plus de 20 000 habitants n’ont pas de salles de cinéma, comme El Jadida, Essaouira ou El Hoceima, entre autres. Ouarzazate, une ville qui comporte des studios de cinéma de luxe et qui attire des tournages de grands films internationaux, n’en compte aujourd’hui aucune ! Si l’on décortique les chiffres publiés par le Centre cinématographique marocain, l’évolution du nombre d’entrées dans les salles entre 2004 et 2008 montre une situation de crise évidente. Le nombre d’entrées pour l’ensemble des salles de cinéma a chuté de 7 à 3 millions en quatre ans. Les observateurs accusent en premier lieu les CD et DVD de films piratés ainsi que les chaînes satellites internationales qui diffusent beaucoup de nouveaux films.
A Casablanca, la plus grande ville marocaine, les spécialistes du septième art n’ont prononcé l’oraison funèbre d’un certain passé glorieux que lorsque la grande et fameuse salle casablancaise « Verdun » a mis la clé sous le paillasson en 2009. Ses responsables ont avancé qu’en 2008, « elle n’a enregistré que 19 000 entrées, contre 48 000 en 2004 ». Le manque de rentabilité demeure le mal principal des salles au Maroc.
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