Le président Sissi et le roi Salman, lors de leur rencontre la semaine dernière à Amman.
(Photo : Reuters)
Le président Abdel-Fattah Al-Sissi et le roi saoudien, Salman bin Abdel-Aziz, se sont rencontrés, mercredi 29 mars à Amman, en marge du 28
e Sommet de la Ligue arabe. La réunion concernait «
les relations stratégiques entre les deux pays et les moyens de les renforcer », a indiqué un communiqué de presse publié à l’issue de la réunion. Le président Abdel-Fattah Al-Sissi a également accepté l’invitation du roi saoudien pour se rendre à Riyad. A son tour, le roi Salman a promis de venir très prochainement au Caire.
Les dirigeants ne s’étaient plus rencontrés depuis la visite du monarque saoudien au Caire en avril 2016. Cette rencontre vient atténuer l’impact de plusieurs mois de tensions entre les deux puissances régionales. Les relations entre l’Egypte et l’Arabie saoudite ont, en effet, traversé une période de turbulences en raison des positions divergentes des deux pays sur certaines problématiques régionales, notamment celles du Yémen et de la Syrie. Le dossier syrien a, en effet, mis à mal les relations auparavant privilégiées entre Riyad et Le Caire. Le fait que l’Egypte a voté en faveur du projet de résolution russe en octobre 2016 pour un cessez-le-feu en Syrie avait déplu à Riyad, puisque dans le même temps, l’Arabie saoudite exerçait une pression militaire et diplomatique sur le régime de Bachar Al-Assad. L’Arabie saoudite voulait entamer une période de transition pour permettre à l’opposition syrienne de jouer son rôle. L’Egypte, quant à elle, fait de la stabilité de la Syrie une priorité et soutient l’armée syrienne.
Quant à la question du Yémen, l’Egypte fait officiellement partie de la coalition militaire créée en 2015 par l’Arabie saoudite pour lutter contre les Houthis. Cependant, Le Caire a refusé d’envoyer des troupes au sol, ce qui a fait que Riyad a demandé à l’Egypte d’être de plus en plus réticente à s’impliquer dans le conflit.
Au-delà des différends
Selon la politologue Nourhane Al-Cheikh, ce réchauffement des relations égypto-saoudiennes devait arriver. « Malgré les divergences entre les pays, on s’attendait à cette réconciliation. Ce scénario est exigé par les intérêts et les défis communs », souligne Al-Cheikh. Sur le plan bilatéral, Al-Cheikh estime que les deux pays ont intérêt à renouer leurs relations et parvenir à une réconciliation. « L’Egypte ne peut pas tourner le dos à son confrère saoudien. Personne ne peut nier que, depuis 2013, l’Arabie saoudite a beaucoup soutenu l’Egypte financièrement et politiquement. Il suffit de rappeler les importantes livraisons pétrolières saoudiennes à l’Egypte. Riyad fournit environ 40 % des besoins pétroliers de l’Egypte et elle lui permet des facilitations de paiement. Les aides financières de l’Arabie saoudite à l’Egypte au cours des dernières années s’élèvent à plusieurs dizaines de milliards de dollars », souligne-t-elle.
Quant à l’Arabie saoudite, ses intérêts envers l’Egypte sont d’ordre politique et militaire, l’Egypte étant un allié stratégique dans la région. « L’inquiétude de Riyad face à la menace chiite la pousse à vouloir un partenaire régional fort comme l’Egypte, sur lequel l’Arabie saoudite pourra compter en cas du danger », ajoute-t-elle. Al-Cheikh ajoute que « les différences entre les priorités des deux pays ne les empêchent pas de partager le même point de vue sur les dangers menaçant la région. Les pays craignent ainsi la menace terroriste — notamment en provenance de Daech —, l’expansion de l’influence régionale de l’Iran et ses effets déstabilisateurs et le danger de l’islam politique, notamment celui des Frères musulmans. Les deux pays sont conscients qu’ils doivent unir leurs efforts pour lutter contre ces menaces et pour présenter une position arabe unifiée face à la nouvelle Administration américaine », estime-t-elle.
Pragmatisme politique
Cependant, pour Hicham Mourad, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, « on ne peut pas encore parler de véritable réconciliation entre les deux pays, mais plutôt d’une détente relative des relations bilatérales ». Pour lui, cette rencontre est un pas en avant. Celle-ci intervient peu de temps après la décision de la compagnie pétrolière Aramco de reprendre ses livraisons pétrolières à l’Egypte, suspendues il y a 6 mois du fait des tensions existant entre les deux pays. « Cette rencontre ne démontre qu’un signe d’apaisement et la volonté des deux parties de maintenir des relations stables. C’est par pragmatisme politique que les deux alliés stratégiques veulent dépasser leurs différends », estime-t-il. Selon Mourad, on peut s’attendre prochainement à un allègement des positions politiques des deux pays sur les dossiers régionaux les plus controversés, afin de permettre un retour à la normale des relations bilatérales. « Par exemple, l’Arabie saoudite a prévu de ne plus discuter la position de l’Egypte sur le dossier syrien, d’autant plus qu’elle est convaincue que l’Egypte aura peu d’influence sur l’avenir de la Syrie. L’Egypte se focalisera, quant à elle, sur la relance de ses relations avec l’Arabie saoudite et évitera d’évoquer les sujets de discorde », prévoit Mourad. « Cela ne veut pas dire que l’Egypte ou l’Arabie saoudite vont changer les positions qu’elles ont prises sur les dossiers régionaux. Mais c’est par pragmatisme politique qu’elles doivent éviter de nouvelles tensions sur ces dossiers. Des compromis politiques exigent la reprise de l’aide économique saoudienne à l’Egypte et le soutien politique et militaire égyptien à l’Arabie saoudite », explique Mourad. Il rappelle que les relations égypto-saoudiennes ont toujours connu des hauts et des bas. Parmi les bas, on peut évoquer les tensions provoquées par la guerre du Yémen dans les années 1960 ou encore la rupture des relations égypto-saoudiennes entre 1979 et 1989 du fait de la signature d’accords de paix entre l'Egypte et Israël. Ces différends avaient mis à l’épreuve les relations entre les deux pays, mais ils ont été surmontés. « Les deux pays sont loin des relations conflictuelles », conclut-il.
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