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Al-Azhar en croisade contre le chiisme

Aliaa Al-Korachi, Lundi, 08 avril 2013

Malgré des tentatives de rapprochement, Al-Azhar a mis en place une série de mesures visant à lutter fermement contre le chiisme. En 50 ans, la position de l’institution religieuse du Caire a fortement changé et le ton ne cesse de monter face à l’autre grand courant de l’islam

Azhar
Une rencontre manquée de chaleur pour le président iranien Ahmadinejad à Al-Azhar.

« Pensée contre pensée », tel semble être le mot d’ordre des agissements d’Al-Azhar, la haute référence sunnite en Egypte et dans le monde islamique, face à une hypothétique percée du chiisme dans la société sunnite.

Aujourd’hui, les craintes sur une influence grandissante du chiisme sont à leur comble. Al-Azhar redoute que les sanctuaires islamiques égyptiens accueillent des touristes iraniens dont les rites ne sont pas reconnus par la doctrine sunnite. Al-Azhar a déjà pris des « mesures pratiques » il y a presque un an.

L’histoire remonte au mois de mai dernier, quand une première « Husseiniya », une sorte de mosquée chiite, ouvre ses portes au Caire. Celle-ci est inaugurée par le chiite libanais Ali Al-Korani, lors d’une visite dans la capitale.

Des chiites égyptiens s’y sont alors rassemblés pour pratiquer des rituels chiites, battant leur poitrine en scandant des hymnes en l’honneur de certains descendants du prophète Mohamad, comme le font les chiites en Iraq, en Iran, en Afghanistan, au Pakistan et au Liban. Le lieu fut définitivement fermé par la police qui n’a pas hésité à confisquer les publications, les affiches et les enregistrements religieux trouvés sur place.

Mais l’ouverture d’un tel lieu de culte a secoué Al-Azhar, qui a protesté contre « une tentative de répandre le chiisme en Egypte, qui aura comme conséquence la diffusion de la division et de la dispersion qui se voient actuellement dans des pays comme le Liban, la Syrie, l’Iraq et dans les pays de l’Asie de l’Est et du Golfe persique ».

Une réunion d’urgence a par la suite réuni à machiakha, le siège d’Al-Azhar, les différentes tendances islamiques : les salafistes, les Frères musulmans et les soufis. Un « comité de lutte contre l’expansion du chiisme » a été alors formé par des représentants qui ont pris pour mission de « défendre le sunnisme non seulement en Egypte, mais aussi dans tous les pays arabes ».

Une série de cours de formation intensive intitulée « Comment endiguer l’expansion du chiisme ? » a été organisée par Al-Azhar, durant un mois, destinée aux imams d’Al-Azhar, du ministère d’Al-Waqf et du Gameiya chareiya. Ces cours avaient comme titres : Les croyances des chiites, La différence entre eux et les sunnites, La carte politique des chiites contemporains, ou encore Les caractéristiques de la jurisprudence chiite et de l’idéologie chiite. Ces prédicateurs sont rapidement devenus des missionnaires, notamment dans les endroits où se trouve une présence chiite, comme Al-Mahalla et Tanta, pour sensibiliser les sunnites à ne pas se laisser influencer.

De petits manuels ont été distribués également dans les mosquées, apprenant « comment aimer Ahlul-bayt (la famille du Prophète) selon la manière sunnite et répondre aux hérésies et aux mythes présumés par les chiites ».

Les manuels scolaires d’Al-Azhar sont devenus une autre arme pour combattre le chiisme. Un autre comité se trouve actuellement en train de rédiger d’autres manuels pour les différents cycles scolaires, en insistant sur les doctrines sunnites. « Al-Azhar ne vise pas à apostasier les chiites, mais seulement à expliquer la doctrine des sunnites pour protéger la société contre le chiisme », explique Hassan Al-Chaféi, conseiller du grand imam.

Au sein de l’assemblée constituante, parmi les demandes-clés des représentants d’Al-Azhar, figurait la rédaction d’un article conservant « l’identité sunnite de l’Egypte ». Chose faite : l’article 44 interdit « de porter toutes formes d’atteintes à tous les prophètes », un article qui vise essentiellement les chiites.

Précisons que les sunnites s’opposent aux chiites d’après qui plusieurs compagnons du Prophète, révérés par les sunnites, ont usurpé, après sa mort, le pouvoir qui aurait dû revenir, selon eux, à Ali, cousin et gendre du Prophète et premier imam du chiisme (voir fiche).

Changement de position

Ce ton ferme d’Al-Azhar face au chiisme va à l’encontre de sa tendance à entretenir un dialogue avec les religieux d’Iran. Al-Azhar, après les années 1950, avait affiché une ouverture envers les chiites qui n’avaient pas fait l’unanimité au sein de cette institution religieuse.

A l’époque, le grand imam Mahmoud Chaltout et l’Ayatollah Taqi Al-Din avaient entamé une initiative dite de « rapprochement entre les sectes chiites et sunnites ». Dès lors, la secte chiite ismaélienne faisait parti des études comparées des cours d’Al-Azhar. L’objectif affiché en ce temps par les oulémas d’Al-Azhar était d’« unir la nation islamique », à condition que « chaque secte n’essaye pas d’influencer l’autre pour éviter tout type de division ».

Au cours des années, Al-Azhar a toujours émis des messages positifs envers les communautés chiites. D’ailleurs, en 2010, le cheikh Al-Tayeb s’était prononcé en faveur de l’accueil d’étudiants iraniens à Al-Azhar. Mais l’Iran ne fait toujours pas parti des 104 pays qui envoient leurs étudiants à Al-Azhar.

Ces tentatives de rapprochement sont vites apparues difficiles à appliquer. C’est ce qu’affirme Mohamad Emara, membre du comité de lutte contre le chiisme et rédacteur en chef de la revue Al-Azhar. « Toutes les initiatives lancées au cours des deux dernières années, pour créer des canaux de communication entre les autorités religieuses sunnites et chiites sont dans l’impasse. Face aux démarches sérieuses d’Al-Azhar, le côté iranien n’a pas répondu de la même manière ».

Les deux revendications essentielles d’Al-Azhar sont, en effet, restées toujours sans réponses : à savoir « émettre une fatwa interdisant les insultes contre les compagnons et les épouses du Prophète » et « protéger les droits des sunnites en Iran ». Les sunnites en Iran sont une minorité qui forme 10 % de la population et est victime de discrimination.

Les relations restent donc tendues. La récente visite du président iranien Ahmadinejad à Al-Azhar l’a révélé. Lors de la conférence de presse, Ahmadinejad est apparut mal à l’aise face aux propos virulents que lui adressait le cheikh Al-Tayeb. Ce dernier n’était, en effet, pas enchanté par cette visite. Al-Tayeb a fermement exprimé son « rejet d’une expansion du chiisme dans les pays sunnites ». Un message clair et fort.

Qui sont les chiites ?

— Après la mort du Prophète Mohamad, en 632, les chiites et les sunnites ne lui reconnaissent pas le même successeur. Ceux qui choisissent Ali, gendre du prophète, deviendront les chiites, tandis que ceux, majoritaires, qui préfèrent suivre Abou-Bakr, compagnon de Mohamad, deviendront les sunnites.

— Les chiites reconnaissent 12 imams, réputés infaillibles dans l’interprétation du Coran. Ils croient que le douzième imam reviendra à la fin des temps pour juger les hommes.

— Le chiisme se distingue également du sunnisme par l’existence d’un clergé très hiérarchisé. Pour eux, le pouvoir politique doit compter avec le pouvoir, distinct, des autorités religieuses (les ayatollahs en Iran, par exemple).

— Dans le monde, les musulmans se divisent entre environ 85 % de sunnites contre 15 % de chiites.

Les chiites sont majoritaires en Iran, en Iraq, au Bahreïn et au Liban.

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