Pour Washington, les Forces Démocratiques Syriennes (FDS) sont les seules forces à pouvoir faire tomber Raqqa.
(Photo : Reuters)
Toutes les parties impliquées d’une manière ou d’une autre dans la guerre syrienne se préparent pour l’assaut final qui devrait marquer la reprise de Raqqa, considérée comme la «
capitale » de l’Etat Islamique (EI) en Syrie et avant-dernier bastion de ce groupe avec Deir Ezzor. Une reprise, qui, si elle a lieu, sonnerait le glas de l’EI, également en déroute en Iraq (voir encadré).
Or, la bataille de Raqqa, et surtout ses conséquences, ne s’annoncent pas si simples que cela. Non pas à cause de la force de Daech ou de l’éventuelle résistance que le groupe terroriste y mènera, mais à cause de la multitude d’acteurs impliqués dans cette bataille. Des acteurs aux objectifs et aux intérêts différents, parfois opposés. En effet, Raqqa est l’objet de convoitises de forces rivales : il y a les Forces Démocratiques Syriennes (FDS), actives sur le sol puisqu’elles ne sont désormais plus qu’à 8 km au nord-est de Raqqa. Mais il y a aussi des rebelles syriens appuyés par Ankara, les Kurdes appuyés par Washington, et l’armée syrienne soutenue par Moscou qui veulent aussi conquérir la ville. Et, entre ces acteurs, ce n’est pas l’entente qui règne : les FDS dénoncent la Turquie comme une « force d’occupation qui ne peut être autorisée à occuper plus de territoires syriens », alors qu’Ankara, qui veut absolument faire partie du jeu, et qui cherche coûte que coûte à empêcher l’émergence d’une entité kurde à ses frontières, soupçonne les FDS, dont font partie les Unités de protection du peuple (YPG, milices kurdes), de liens étroits avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, organisation que la Turquie considère comme terroriste). De leur côté, les militaires américains estiment que les FDS sont les seules à pouvoir faire tomber rapidement la « capitale » des djihadistes.
Washington s’active
Face à ce dilemme, l’insistance de la Turquie pour participer à l’offensive sur Raqqa n’a toujours pas trouvé de réponse claire à Washington, pour qui la lutte contre Daech est la priorité des priorités, au point de risquer une politique aux contours peu clairs et aux aléas graves. La seule chose qui est aujourd’hui sûre, c’est que le président américain, Donald Trump, qui a promis d’éradiquer l’EI, pousse les feux en Syrie.
Depuis la semaine dernière, Washington multiplie en effet les annonces sur la lutte contre l’EI en Syrie. L’Administration américaine a ainsi annoncé, jeudi 9 mars, l’envoi de 400 militaires supplémentaires en prévision de l’assaut sur Raqqa, pendant que les FDS, grâce au soutien américain sont, elles, à proximité du bastion du groupe extrémiste et sur le point d’achever l’isolement du reste des territoires djihadistes. Les militaires supplémentaires déployés par le Pentagone, issus du corps des Marines, assureront un appui d’artillerie.
Or, l’affaire ne pourra être tranchée tant que Washington n’a pas clairement décidé de la participation (ou non) des Turcs. Devant la commission des forces armées du Sénat, jeudi 9 mars, le général Joseph Votel a dû affronter le scepticisme du président de la Commission des forces armées, John McCain, inquiet des tensions entre les alliés kurdes syriens des Etats-Unis et la Turquie. « Je ne suis pas sûr que l’Administration mesure combien le président turc (Recep Tayyip Erdogan) considère la menace que les Kurdes représentent. Sauf changements, nous allons dans le mur », a averti M. McCain. Ces tensions, qui ont déjà contraint les Etats-Unis à se transformer en force d’interposition dans la ville de Manbij, proche de la frontière turque, compliquent sérieusement l’offensive contre Raqqa.
Les Etats-Unis se trouvent ainsi dans une situation bien délicate. D’un côté, il n’est pas question pour Washington, qui veut une mobilisation générale contre l’EI dans la région, de laisser Erdogan saper les efforts des alliés kurdes syriens, de l’autre, il doit prendre en considération le jeu des alliances, où Ankara, membre de l’Otan et fidèle soutien de Washington, pourrait basculer totalement dans le giron de la Russie.
Toutes ces questions ont sans doute été au centre des discussions de la rencontre tripartite des chefs d’état-major turc, américain et russe mardi 7 mars, les trois pays qui combattent l’EI mais en s’appuyant sur des camps rivaux. Il s’agissait de parler de « questions sécuritaires régionales communes, à commencer par la Syrie et l’Iraq », selon l’armée turque, et « des questions sécuritaires en Syrie et en Iraq », selon le ministère russe de la Défense. Rien de concret n’a été annoncé suite aux discussions. Mais à la veille de la réunion trilatérale, le premier ministre turc, Binali Yildirim, avait ouvertement admis que son pays ne pourrait lancer une opération pour prendre Minbej, dans le nord de la Syrie, « sans une coordination avec la Russie et les Etats-Unis ». Et, lors d’une visite à Moscou vendredi 10 mars, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a clairement déclaré souhaiter instaurer une coopération militaire entre son pays et la Russie pour des opérations en Syrie afin de parvenir à la création d’une « zone de sécurité » débarrassée des djihadistes de l’Etat islamique mais aussi des miliciens kurdes des YPG.
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