L’Etat islamique (ou Daech) continue à reculer en Syrie. La semaine dernière, le groupe a été chassé de la ville stratégique d’Al-Bab par des frappes turques, perdant ainsi des positions- clés dans le Rif d’Alep. Cette même semaine, les Forces démocratiques syriennes, soutenues par les Etats-Unis, ont réussi à pénétrer dans Raqqa, bastion syrien du groupe depuis trois ans. Par ailleurs, Daech a perdu plusieurs de ses hauts commandants tels que Abou-Jandal Al-Kuwaiti, tué dans un raid de la coalition internationale. Enfin, sur le plan économique, le groupe souffre d’importantes restrictions de ses ressources depuis plus d’un an. « Ces indices n’annoncent pas pour autant une fin imminente de Daech », tempère Hani Nessira, spécialiste des mouvements djihadistes. Il estime que la politique internationale sur le sujet reste chaotique. « Daech adopte une tactique d’attaque et de retrait. Il reste capable de se déployer dans les zones qu’il n’a pas encore perdues », explique le chercheur. Concernant la liquidation de ses commandants, Nessira explique que le groupe dispose d’un deuxième rang, moins expérimenté mais prêt à prendre la relève à tout moment. En résumé, il ne serait pas réaliste d’envisager un effondrement rapide de Daech, comme le suggèrent certains cercles occidentaux. « En Occident, certains avancent que le groupe sera battu à Raqqa avant même qu’il ne perde Mossoul. Cela me paraît irréaliste. A Mossoul, la situation sur le terrain est difficile, et les combats devraient se poursuivre pendant plusieurs mois. A Raqqa, c’est encore plus compliqué », note Nessira. Et d’ajouter : « Le rapprochement entre la Russie et la Turquie a permis de reprendre certaines villes stratégiques, comme Al-Bab, mais Daech contrôle toujours près de 20 % du Rif d’Alep ».
Raqqa assiégée
D’après une étude du Centre de recherche Al-Mostaqbal basé à Abu-Dhabi, Daech a plusieurs options pour se dégager du siège qui lui est imposé à Raqqa. La première est de prendre la direction de Mossoul et de traverser l’Euphrate en barque pour franchir la frontière poreuse. Un autre scénario consiste à infiltrer des individus dans d’autres pays pour servir de cellules dormantes. D’après le site de l’Etat islamique « Aamaq », ces membres ont déjà perpétré 157 attentats suicides dans la seule ville de Bagdad. Toujours selon la même étude, d’autres facteurs permettraient à Daech de prolonger sa présence en Syrie. C’est le cas de l’influence grandissante des milices chiites et iraniennes, ainsi que les difficultés de contrôle à la frontière avec l’Iraq. Avec ces observations qui démontrent les différentes échappatoires de Daech, l’étude conclut que son effondrement ne sera pas immédiat. Sur le plan économique, Ibrahim Al-Ghitani, chercheur au Centre de recherche Al-Mostaqbal, affirme qu’on ne peut pas parler de « destruction totale de la structure économique de Daech ».
Bien que le groupe soit actuellement forcé de se confiner à Raqqa, il contrôle toujours certains puits pétroliers de la ville, et continue de collecter les impôts aux habitants. « On peut parler de lourdes restrictions de leurs ressources économiques mais pas d’un effondrement », insiste le chercheur. Concernant le cas de Mossoul, qui pourrait servir de renfort à Raqqa, l’analyste politique iraqien, Ihsane Al-Chamari, rappelle que la fermeture des frontières entre l’Iraq et la Syrie est l’un des objectifs actuels de la guerre anti- Daech. Estimant que l’armée iraqienne est entièrement capable de contrôler cette ligne, il explique que « ceci affaiblirait davantage Daech, mais en ce qui concerne Raqqa, son sort dépendra de l’avancée des négociations politiques qui prennent du temps ». Dans les zones habitées de Raqqa, les affrontements avec Daech se révèlent de plus en plus sensibles. Les habitants, entre 200 000 et 400 000 personnes, sont assiégés. Leurs seules issues sont les zones kurdes, mais contrairement à Mossoul, il n’existe aucun passage sécurisé pour leur évacuation. L’isolement de Raqqa résulte d’un plan mis en place sous la présidence d’Obama, mais celui-ci est désormais contesté par la nouvelle Administration américaine. Un nouveau modèle privilégiant « l’élimination » de Daech serait en cours d’élaboration. Un objectif difficile à atteindre selon de nombreux observateurs qui préfèrent parler d’endiguement. Actuellement, avec plusieurs cartes en main, Daech a prouvé sa capacité d’adaptation face à l’embargo de Raqqa. « Ce sont les civils qui payent le prix, entre le paiement d’impôts et une augmentation du coût de la vie », commente un analyste syrien résidant au Caire.
De plus, Daech innove militairement. Le groupe emploie de nouvelles armes comme les drones à grenades, qui lui ont permis de viser des militaires iraqiens et occidentaux de la coalition internationale. De nouveaux dispositifs qui seront sans doute employés en Syrie. Le confinement de Daech, la liquidation de ses commandants et la limitation de ses ressources économiques l’affaiblissent, mais son existence n’est pas pour autant menacée. Le groupe parvient à trouver les formules pour compenser ses pertes territoriales et investir de nouvelles zones. L’Administration Trump peut néanmoins changer la tendance, en soutenant les forces démocratiques syriennes pour une confrontation sur le terrain. Pour réussir une intervention terrestre à Raqqa, il faudrait envisager une participation régionale, notamment arabe, mais également internationale. Une intervention nécessaire pour empêcher le groupe Etat islamique de retrouver son équilibre.
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