S’attacher à une chèvre n’est pas un péché.
Chérif al-bendari arrive au long métrage, après un parcours marqué par plusieurs courts métrages à succès. Alors qu’il était encore étudiant à l’Institut du cinéma, le jeune réalisateur préparait déjà l’accueil de son film Ali Meaza et Ibrahim, dont il a toujours rêvé. A sa première projection, au dernier Festival de Dubaï, celui-ci a été chaleureusement reçu et a décroché le prix de la meilleure interprétation masculine. Le film est aussi le premier long métrage du scénariste Ahmad Amer, conçu d’après une idée du réalisateur Ibrahim Al-Battout. D’où une certaine fraîcheur, propre aux premières oeuvres, sans pour autant les balbutiements caractérisant souvent celles-ci.
Un voyage spirituel et thérapeutique regroupe Ali (campé par Ali Sobhi, prix de la meilleure interprétation à Dubaï) et Ibrahim (campé par Ahmad Magdi). Ali est tout le temps accompagné de sa chèvre, appelée Nada, il a un rapport particulier avec elle, qui n’est pas sans rappeler le personnage classique de l’idiot du village, dans les vieux films. Mais à la différence de ces dernières oeuvres en noir et blanc, Ali n’est guère un simplet, peut-être un peu naïf et inoffensif, mais il a bien la tête sur les épaules. Son entourage n’arrive pas à comprendre son lien avec la chèvre, on ne cesse de le tourner en dérision, et il devient la risée de tout le mode à un tel point que sa mère lui demande de déménager et d’être aidé par un thérapeute spirituel. Ibrahim, lui, est atteint d’une dépression nerveuse, associée à des hallucinations auditives. Il est cependant un musicien talentueux, qui a grandi avec un grand-père sourd. Et il a une sensibilité à fleur de peau. Les deux personnages sont réunis par la souffrance et le rejet, de quoi donner lieu à une aventure comique touchante et hors pair. Ils ont des réactions tout à fait différentes vis-à-vis des événements, mais ils se ressemblent de par leur sentiment d’étrangeté. Ils vivent dans une société sans merci, qui accepte peu la différence. Du coup, ils sont peu compris par les autres, dépassés par le tendre attachement à une chèvre ou les crises de colère d’un paria. La fiction Ali Meaza et Ibrahim s’attaque, intelligemment et non sans ironie, au rejet de l’autre, à l’intolérance. C’est la crise, de vive allure, menaçant la société actuelle, allant parfois jusqu’au fascisme. Les petits détails se poursuivent jusqu’à nous mener à la fin fantaisiste du film. Les gens faisant la sourde oreille, refusant de s’écouter entre eux, finiront par perdre l’audition, réellement. Ils seront condamnés à ne pas s’entendre, puisqu’ils le refusaient volontairement.
Un bon casting
Ali Sobhi a parfaitement incarné le rôle du jeune homme marginal, faisant fi des clichés. Le scénario l’a beaucoup aidé à mieux cerner la finesse du personnage, pour le présenter de manière naturelle et touchante. Ahmad Magdi, pour sa part, a fait preuve d’une empreinte très distincte du reste de sa génération. Loin de miser uniquement sur ses atouts physiques, il confirme son talent de comédien, à même d’interpréter les rôles les plus difficiles. Le réalisateur, Chérif Al-Bendari, excelle à diriger ses acteurs lesquels n’arrêtent pas de nous surprendre. Il a choisi de tourner un scénario très bien ficelé, différent au niveau de la construction dramatique et du langage. Tout en évitant les sujets soulevant un chahut sociopolitique, il plonge dans l’humain qui ne nous laisse pas insensibles. Cet aspect nous émeut et les protagonistes se dépassent, en toute simplicité. Sans doute le succès du film encouragera les boîtes de production à se lancer dans des aventures bien calculées comme celle-ci et à varier les contenus. Les recettes seront en tout cas le meilleur indicateur de ce qui suivra.
Lien court: