Le général Khalifa Haftar reçu en grande pompe à bord d'un porte-avions de la marine russe.
Une visite très médiatisée mais loin d’être surprise, elle est plutôt révélatrice de l’implication de la Russie de Poutine en Méditerranée. Le très controversé général de l’Armée Nationale Libyenne (ANL), Khalifa Haftar, qui contrôle l’Est de la Libye, a été reçu en grande pompe à bord d’un porte-avions de la marine russe et s’est entretenu par vidéoconférence avec le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou. Haftar, appuyé par l’Egypte et les Emirats arabes et aussi récemment par le Tchad, s’était déjà rendu à deux reprises en Russie en 2016. D’abord, pour solliciter la levée de l’embargo sur les armes. Aujourd’hui, il se présente comme un rempart contre les milices djihadistes, notamment dans l’est du pays, mais aussi comme l’homme de Moscou, même si le Kremlin reconnaît officiellement, tout comme la communauté internationale, l’autorité du Gouvernement libyen d’union nationale (GNA). «
Parce que la Russie estime que ce général peut facilement servir ses objectifs et lui permettre des gains importants », estime Ziyad Aql, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’
Al-Ahram. Selon lui, «
la Russie a les yeux braqués sur les contrats d’armements avec la Libye dès qu’un gouvernement sera formé et l’embargo sur les armes complètement levé ».
Mais bien avant, la politique russe depuis un moment démontre que Moscou est à la recherche d’un rôle plus actif au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, même si ses relations avec la Libye remontent à l’ère soviétique, c’est-à-dire aux années 1960. Et le recul des années 1980 a été marqué par un certain retour économique, surtout en pétrole et gaz dans les années 2000.
« La Syrie était sa porte sur le Moyen-Orient, mais elle manquait de pas en Afrique du Nord. La Libye est idéale pour assurer cette vision », estime Aql. Ceci coïncide avec un Donald Trump américain qui affiche une politique en retrait dans la région et une division des Européens sur le dossier. Selon Kamel Abdallah, spécialiste du dossier libyen, Moscou pèse de son poids désormais en Libye pour déranger les Européens et alléger leur pression sur sa politique dans son voisinage. « L’implication de la Russie a vite poussé l’Italie à entamer des entretiens avec les Russes indépendamment des Européens ». La haute représentante pour la sécurité et la politique étrangère de l’Union Européenne (UE), Federica Mogherini, a pourtant déclaré, à l’issue de la réunion des ministres des Affaires étrangères des Etats membres de l’Union européenne à Bruxelles, que l’UE ne voyait aucun problème dans l’intervention de la Russie dans le dossier libyen. Elle a même jugé « positifs » les efforts de la Russie pour promouvoir la stabilité dans la région méditerranéenne. « Renforcés par leur avancée en Syrie, les Russes, même s’ils n’optent pas pour une intervention militaire, jouent la carte Haftar et pensent répliquer le scénario égyptien. Une transition politique sous un Conseil présidentiel, puis des élections où le chef de l’armée se présentera comme le favori. Une intervention pour garantir l’arrivée d’un allié, telle est sa politique », croit Aql. Un allié en Egypte, un autre en Syrie et un troisième en Libye, Moscou contrôlera ainsi l’échiquier en Méditerranée. « Une façon de dire qu’ils sont incontournables et qu’ils peuvent bouleverser les arrangements dans la région s’ils en sont écartés », précise Abdallah.
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