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Libye : Redistribution des cartes

Abir Taleb avec agences, Mercredi, 18 janvier 2017

Alors que les voisins africains et arabes de la Libye s'activent tant bien que mal pour trouver une issue à la crise libyenne, l'entrée en jeu de Moscou risque de changer la donne.

Libye : Redistribution des cartes
Le maréchal Khalifa Haftar s'est entretenu avec le chef d'état major russe Guérassimov (Photo : AFP)

Le ministre congolais des Affaires étran­gères, Jean-Claude Gakosso, a annoncé vendredi dernier, la tenue, le 25 janvier prochain à Brazzaville, d’un sommet des chefs d’Etat africains consacré à la crise libyenne, selon l’agence de presse chinoise Xinhua. L’objectif est, selon M. Gakosso, d’ap­porter « une contribution africaine » à la résolu­tion du conflit qui frappe ce pays depuis 2011. L’annonce a été faite suite à une tournée effec­tuée, début janvier par M. Gakosso dans plu­sieurs capitales africaines, pour sensibiliser et inviter à la réunion de Brazzaville les dirigeants de pays impliqués à la recherche de solutions à cette crise. Une réunion à laquelle assisteront les chefs d’Etat membres du Comité de haut niveau sur la Libye au sein de l’Union africaine, présidé par le Congo, ainsi que des pays voisins de la Libye. Au sortir de discussion avec son homolo­gue algérien, le 7 janvier dernier, le chef de la diplomatie congolaise a plaidé en faveur d’un « consensus encore plus large impliquant toutes les factions libyennes », invitant les pays afri­cains à prendre leur responsabilité vis-à-vis de ce dossier et ne pas laisser les autres « dicter » leurs solutions au continent.

Cette tentative d’impliquer davantage les Africains intervient à un moment où les voisins arabes de la Libye s’activent, eux aussi, à chercher une solution à la crise. Selon des sources libyennes citées par le journal algérien El Watan, le prési­dent tunisien Béji Caïd Essebsi aurait proposé de tenir un sommet avec ses homologues algérien et égyptien afin d’impulser une nouvelle dynamique au processus de règlement de la crise libyenne actuellement en panne. Toujours selon les sources citées par El Watan, la nouvelle initiative arabe s’explique par la crainte des voisins de la Libye d’une dégradation de la situation sécuritaire dans la région après l’annonce du maréchal Khalifa Haftar de sa ferme intention de marcher sur Tripoli pour en chasser les milices qui y font la loi depuis 2011.

L’envoyé spécial de la Ligue arabe pour la Libye, le Tunisien Salaheddine Jamali, qui a confirmé que des contacts avaient lieu entre les trois pays, a annoncé que la proposition de Béji Caïd Essebsi de tenir un sommet à trois sera d’abord précédée par une réunion des ministres des Affaires étrangères des pays voisins de la Libye. Il a cependant affirmé que la date et le lieu de la tenue du sommet n’ont pas encore été déter­minés, ajoutant que les contacts entre la Ligue arabe, l’Algérie, l’Egypte et la Tunisie se sont intensifiés ces derniers jours. En effet, à Alger, le ministre algérien des Affaires maghrébines, de l’Union africaine et de la Ligue arabe, Abdelkader Messahel, a reçu dimanche dernier une délégation de parlementaires de la Chambre des représen­tants de Libye, une rencontre qui fait suite aux différentes visites en Algérie de parlementaires libyens, dont le président de la Chambre des représentants, Salah Aguila, alors qu’au Caire, le président Abdel-Fattah Al-Sissi recevait jeudi dernier le chef du Gouvernement libyen d’union nationale (GNA), Fayez Al-Serraj (voir page 7).

Moscou et Haftar incontournables

Toutes les parties s’activent donc à trouver une issue à la crise libyenne. Mais toutes ces tentatives restent entourées de la plus grande discrétion. En effet, peu d’informations circulent sur les grandes lignes que veulent suivre ces parties dans un dos­sier aussi complexe que le dossier libyen. A cela s’ajoute une nouvelle donne : pendant que le pays reste morcelé — avec, à l’est, le GNA basé à Toubrouk et reconnu par la communauté internatio­nale mais concurrencé par les troupes du maréchal Khalifa Haftar, chef de l’autoproclamée Armée nationale libyenne (ALN), et à l’ouest, un autre gouvernement, basé à Tripoli et non reconnu par la communauté internationale —, et que les pays voi­sins tentent de s’entendre sur la voie à suivre, un autre acteur est venu s’incruster dans le dossier libyen, doucement mais sûrement : la Russie. Mercredi 11 décembre, dans un geste fort en signi­fications et en messages, le maréchal Haftar et des officiers russes hauts gradés, dont le chef d’état-major russe, Valéri Guérassimov, se sont rencontrés sur le porte-avions russe Amiral-Kouznetsov. Et le ministre de la Défense russe lui-même, Sergueï Choïgou, s’est entretenu avec Haftar par vidéocon­férence. Officiellement, l’objet de ces entretiens était la lutte antiterroriste au Moyen-Orient. Mais il a été aussi et surtout question de mettre fin à l’em­bargo sur les armes pour la Libye et de formation de l’armée libyenne par la Russie. De quoi renfor­cer l’armée dirigée par Haftar.

Voilà donc une façon directe pour Moscou de reconnaître le maréchal Haftar comme l’homme fort de la Libye avec lequel il faut compter, malgré ses mauvaises relations avec le gouvernement d’unité nationale, dont il conteste la légitimité. C’est aussi la preuve que pour Moscou, Haftar est désormais, comme l’a dit le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Guennadi Gatilov, « une figure politique et militaire de première importance » et qu’il est essentiel que les Libyens trouvent un com­promis afin de permettre sa participation au nou­veau pouvoir.

De ce déplacement très médiatisé — le premier du genre pour le chef de l’ALN —, deux messages sont donc à retenir : le retour de la Russie sur le terrain libyen et le puissant rôle du maréchal Haftar, qui s’est imposé comme un interlocuteur indispen­sable, notamment après s’être emparé, il y a plu­sieurs mois, de quatre terminaux pétroliers dans l’est, d’où s’exporte la majorité du pétrole libyen.

Quant au GNA, il ne s’oppose pas à une interven­tion russe. Début décembre, le vice-premier ministre libyen, Ahmed Maiteeq, avait déclaré à l’agence Sputnik : « Le Conseil présidentiel (du Gouvernement d’union nationale de Libye, soutenu par les Nations-Unies, ndlr) salue toute initiative russe en vue d’une réconciliation nationale en Libye, la Russie adoptant des positions pondérées et ayant de bons rapports avec toutes les parties. Nous appelons la Russie à mener sa diplomatie afin de persuader les autres parties à accepter l’accord politique qu’elles ont signé et à s’engager dans un processus politique ». Pour le GNA, l’espoir est que l’intervention politique russe puisse pousser Hatfar à le reconnaître.

Après la Syrie, voilà donc que Moscou effec­tue son grand retour en Libye, un pays d’où elle a été écartée depuis l’éclatement de la crise et l’intervention de l’Otan en 2011. Un retour bien calculé, Moscou jouant aujourd’hui une fois de plus le rôle de salvateur là où les autres ont échoué.

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